Des galettes pour tous les goûts
« Peu m’importe le support. Ce que j’aime, c’est le son, qu’il soit sur disque, cassette, CD ou lecteur MP3. » Dans la bouche d’un collectionneur de vinyles dont la réputation dépasse les frontières hexagonales, c’est une phrase qui peut faire désordre. À voir Manu Boubli, cheveux longs, gilet jaune, nonchalamment appuyé à un présentoir, on pourrait le croire blasé. Mais derrière des lunettes à montures noires, ses yeux bruns pétillent lorsqu’il parle disques, musique, recherches et trouvailles. Un petit sourire relève les coins de sa bouche lorsqu’il se remémore la collection de bandes dessinées commencée lorsqu’il avait 15 ans, abandonnée quelques mois plus tard pour des galettes, « encombrantes, mais beaucoup plus passionnantes ». Trente ans après, il fait partie du cercle très fermé des collectionneurs-vendeurs de disques d’anthologie, microcosme qui regroupe une centaine de personnes en Europe. Superfly Records, le magasin qu’il possède avec son alter ego Paulo Goncalves, est devenu incontournable pour tous les aventuriers à la recherche d’artistes oubliés ou d’éditions rares.
Depuis un peu plus d’un an, Superfly Records a pris ses quartiers dans le 3e arrondissement de Paris, entre grossistes de vêtements et restaurants. Dans le magasin à la décoration sobre – murs blancs, quelques pochettes accrochées en guise de décor –, des présentoirs pleins de disques, classés par genres ou par zones. En bonne place, la musique africaine des années 1970 et 1980. Gloires éphémères ou légendes vivantes, ils sont tous là, du Nigérian Fela Anikulapo Kuti à l’Angolais Ruy Mingas, de la Zaïroise Abéti Masikini à l’Éthiopien Mahmoud Ahmed, « glanés çà et là, un peu partout dans le monde. En Afrique, mais aussi aux États-Unis et en Europe, raconte Manu Boubli. Pour trouver le disque qu’on cherche, il faut être prêt à sauter dans un avion à tout moment. Et quand les disques arrivent, ils sont parfois très abîmés, il faut les restaurer. »
Lustre d’antan
La délicate opération a lieu dans la cave, dont l’éclairage au néon fait penser à un bloc opératoire. Rangés sur des étagères ou dans des cartons, quelque 30 000 disques – toutes origines confondues – exhalent une odeur de moisi. Des années passées entassés dans des garages humides, ou échoués au soleil sur les étals poussiéreux des « marchés par terre » des capitales africaines, ça laisse des traces. Et lorsqu’un lifting s’impose, il y a tout ce qu’il faut pour leur rendre leur lustre d’antan. Une machine pour redonner forme au disque, une autre pour nettoyer la galette. Pour ce qui est de la pochette, un peu de jus de poignet, un emballage dûment étiqueté, et voilà les vinyles comme neufs, prêts à rejoindre les présentoirs, puis les discothèques d’amateurs avertis.
« C’est un travail d’artisan », commente Manu Boubli avec un petit sourire. Remis à neuf, les disques peuvent valoir entre 15 et 1 500 euros. De quoi faire hésiter entre un disque compact et l’écoute gratuite sur le web… « Les CD se vendent plus, c’est sûr. Mais les vinyles, c’est un autre public », souligne Manu Boubli, avec un sourire entendu. Le collectionneur sait de quoi il parle. Producteur mais aussi DJ de renom, il avoue avoir acheté, à certaines périodes, des disques « 350 jours par an ». Cela paraît compulsif ? Lui explique sa frénésie par sa faim inextinguible : « J’ai sans cesse envie de découvrir des choses différentes. Alors j’achète et j’écoute. Et parfois qu’une seule fois : il y en a tant d’autres à écouter qu’on n’a pas forcément le temps de repasser deux fois le même morceau. » Aussi Manu Boubli ne possède-t-il que « 8 000 vinyles, parce qu’il a fallu faire de la place à la maison ».
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