Chasseur de têtes

Au centre, pagne à l’effigie du premier président tchadien. © Vincent Fournier/J.A.

Au centre, pagne à l’effigie du premier président tchadien. © Vincent Fournier/J.A.

Publié le 10 janvier 2011 Lecture : 4 minutes.

Libreville, 1970. Une vieille dame marche le long de la route goudronnée qui mène à l’aéroport. Elle arbore une tenue aux couleurs chatoyantes. Dans le dos, imprimé au milieu des figures géométriques du pagne, un médaillon encercle une photographie de Charles de Gaulle. Sur le buste, un autre président honoré, Léon Mba. Bernard Collet l’observe, amusé.

Une image « sympathique » qui lui donnera envie, dix-sept ans plus tard, de collectionner les pagnes à l’effigie de chefs d’État subsahariens. À ce jour, il en possède entre 350 et 400, dont trente-cinq sont exposés jusqu’en janvier 2011 au Musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren (Belgique), à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance de la RD Congo.

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Espace publicitaire

Pour raconter l’histoire de ses pagnes, le photographe reçoit dans son appartement du 7e arrondissement parisien, où 200 étoffes sont soigneusement pliées dans un meuble ancien. « J’en stocke aussi dans mon studio de prises de vue et dans une chambre de bonne à l’étage », explique-t-il en dépliant une pièce à l’effigie de Bokassa « en grande tenue ». « Je m’intéresse uniquement aux pagnes politiques, qui sont majoritairement produits en Afrique francophone », précise ce passionné très organisé. Chaque pagne est répertorié. Dans ses petits classeurs noirs – un par zone géographique –, il range la photo de chacun d’eux, avec au dos sa provenance et le numéro du sac dans lequel il est rangé. « J’ai commencé à les répertorier cette année après ma première exposition, au Tropenmuseum­ d’Amsterdam », raconte-t-il. Jusqu’au mois d’août dernier, une centaine de pagnes étaient en effet exposés aux Pays-Bas dans ce musée dédié aux arts non occidentaux, dont 56 appartenaient à Bernard Collet.

« Les pagnes à effigie sont fabriqués à diverses occasions, justifie Bernard Collet. Au moment des élections surtout, mais aussi à l’occasion de célébrations particulières, lorsqu’un pays fête son indépendance ou un président ses années de règne. Ils sont souvent édités par le groupe des femmes du parti au pouvoir ou ils sont directement commandés par les hommes politiques eux-mêmes. » La visite d’un chef d’État étranger est aussi l’une des rares occasions où deux personnages sont représentés sur un même tissu. Parmi les trésors de Bernard Collet, l’on peut en trouver un à l’effigie de François Mitterrand et d’Abdou Diouf, de Georges Pompidou et de François Tombalbaye, ou encore de Baudouin de Belgique et de Mobutu. « J’en ai même un de la reine d’Angleterre, mais toute seule, s’enorgueillit-il. Mais le plus surprenant reste celui de Charles de Gaulle et d’Ahmed Ben Bella, car c’est le seul que je possède avec un chef d’État maghrébin, mais je n’ai, hélas, aucune indication me permettant de le dater. »

Véronique, la gérante congolaise de la boutique de textile Parilux, en plein cœur de Château-Rouge, quartier africain de la capitale française, est devenue l’une des principales sources d’approvisionnement du collectionneur. Deux ou trois séjours sur le continent, mais aussi des amis missionnés, une femme ex-navigante chez Air France et quelques rabatteurs à Lomé et à Abidjan, lui ont permis d’étoffer sa collection. Avec environ 80 tissus semblables, il échange aussi parfois, mais très rarement. « En Afrique, un pagne de 5,40 m coûte entre 6 000 et 8 000 F CFA, soit autour de 10 euros. À Paris, ça vaut 30 euros », explique Bernard Collet, qui ne vend ni ne donne aucun de ses pagnes. Pas même au musée du Quai Branly : Hélène Joubert, la directrice de la collection Afrique, lui avait suggéré un don, se déclarant non « habilitée à montrer des collections privées » ; ce qu’il refusa catégoriquement.

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Si Bernard Collet recherche surtout les pagnes anciens, il lui est bien difficile de citer une pièce qu’il convoite particulièrement. Et pour cause, rien n’est référencé. « Il n’y a pas d’archives, déplore-t-il. Hormis quelques articles, pas un historien ni un sociologue ne s’est spécifiquement intéressé aux pagnes politiques. » Un constat partagé par Samuel Sidibé, directeur du Musée national du Mali, à Bamako : « Il n’existe, à ma connaissance, aucun spécialiste sur le sujet, mais il y a un département du pagne africain au musée de l’Impression sur étoffes, à Mulhouse. » Difficile donc de dater l’origine de ce phénomène, mais, avant les indépendances, on en imprimait déjà. « Le plus ancien que j’ai vu, à Mulhouse, date de la création de la Fédération du Mali par Modibo Keita, poursuit Samuel Sidibé. Il faut dire que le pagne est un formidable moyen de communication politique. Dès qu’ils le portent, les gens se transforment en espace publicitaire ! » commente Samuel Sidibé, qui vient d’ailleurs de commencer une collection de pagnes imprimés spécialement pour le cinquantenaire des indépendances. « À long terme, ils deviendront les témoins de notre époque et de ces événements », assure-t-il.

Eyadéma et Chirac

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Si Bamako compte deux usines de production, la plupart ont aujourd’hui disparu, mais, selon Samuel Sidibé, il en reste encore une dans chaque pays. Il y a six ans, à Kinshasa, Bernard Collet a visité l’une d’elles, Utexafrica : les ouvriers avaient sorti pour lui tous les pagnes politiques qu’ils avaient fabriqués. « Pendant deux heures, j’ai photographié les pièces pendant qu’ils les repassaient », se remémore-t-il. « Depuis, la Chine a racheté l’usine », ajoute-t-il en rangeant un pagne à l’effigie de Gnassingbé Eyadéma et de Jacques Chirac. Une pièce emblématique, qu’il ressortira bientôt. Fin 2011-début 2012, ses pagnes sur les « rapports Europe-Afrique » seront exposés à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, à Paris.

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