Recrutement : champ libre pour les managers locaux
Les compagnies pétrolières embauchent de plus en plus d’Africains à des postes d’ingénieurs ou de cadres dirigeants. Une évolution guidée par des contraintes réglementaires, sociales et financières.
Hydrocarbures : des surprises en réserve
« Il y a cinq ans, l’africanisation des effectifs restait un sujet de colloque. Aujourd’hui, les directeurs des ressources humaines [DRH] du secteur pétrolier viennent dans mon bureau pour recruter des talents locaux. » Paul Mercier, directeur général du cabinet de recrutement Michael Page Africa, en est persuadé : les mentalités évoluent et, avec elles, les politiques d’embauche et de promotion des compagnies occidentales. Le recours aux expatriés n’est plus systématique, loin de là.
Un changement de cap dans lequel les gouvernements africains ont joué un rôle de premier plan, en imposant des quotas pour les salariés nationaux dans les majors et chez leurs sous-traitants. Ce fut d’abord le cas en Angola à partir de 2003, puis en Guinée équatoriale, au Nigeria et au Ghana. Bien sûr, la mesure n’est pas sans poser des difficultés, « notamment en Angola, un pays dévasté par la guerre », explique Alexandre Fabre, directeur associé du cabinet de recrutement Adexen. Et même au Nigeria, où la population est très importante, l’objectif fixé par les autorités publiques – 70 % des effectifs pour 2010 – n’a été finalement qu’à moitié atteint.
Gain en négociations
Tous les échelons profitent de cette évolution, y compris les fonctions dirigeantes. Parmi les multinationales les plus en pointe, les professionnels du recrutement citent Shell, British Gas, Afren pour les compagnies, Transocean, Schlumberger ou Acergy pour les sociétés de services. De nombreux Africains occupent les fonctions de DRH ou de responsable de la communication dans les filiales des grands groupes. C’est le cas d’Abdelkrim Sekkak, DRH de Shell Maroc depuis 2003, ou de son homologue Cyriaque Bibang, chez Total Gabon depuis 2008. Avantage : mieux qu’un expatrié, l’enfant du pays saura comprendre les enjeux locaux, négocier avec un syndicaliste ou un ministre.
Pour les postes à vocation technique, cela reste plus difficile, admet Tony Brisset, DRH Afrique et Moyen-Orient du groupe Total pour la division marketing et raffinage. La faute à des cursus locaux pas encore au niveau des meilleurs. Si Total incite depuis quelques mois ses filiales à se rapprocher des meilleures formations africaines – des accords avec l’Institut international d’ingénierie de l’eau et de l’environnement (2IE) au Burkina Faso ou l’université de Wits en Afrique du Sud ont déjà été signés –, une grande partie des ingénieurs africains continuent d’être formés hors du continent, en France, aux États-Unis ou au Royaume-Uni. La crise mondiale, durement ressentie en Occident, en a poussé un certain nombre à revenir en Afrique, à la grande joie des recruteurs locaux.
Moins cher qu’un expatrié
Tenant compte de toutes leurs contraintes réglementaires, sociales et financières, les majors se sont engagées dans des stratégies de ressources humaines à long terme pour développer leur réservoir de managers locaux. En Angola, Total dépense ainsi 30 millions d’euros par an pour former son personnel et vient d’annoncer la création d’un Institut du pétrole au Gabon. Pour les cadres dirigeants, cela prend plus d’une dizaine d’années pendant lesquelles l’élu va parfaire ses compétences en travaillant dans différentes filiales du groupe, mais aussi au siège. Ainsi Total suit environ 250 hauts potentiels africains qui, un jour, seront amenés, comme Antonin Fotso, secrétaire général Afrique de la branche exploration et production, à occuper les plus hautes fonctions au niveau régional. Reste qu’aujourd’hui, moins de 50 % des directeurs généraux des filiales du groupe français sur le continent sont des Africains.
Les activités « aval » (raffinage et distribution) sont celles où l’africanisation du management a été la plus importante. Pourquoi ? Parce que les marges des compagnies y sont moins grandes et que les talents locaux restent beaucoup moins chers que les expatriés occidentaux. Un manager camerounais travaillant au Gabon sera en effet payé, hors avantages (logement, assurances, scolarité des enfants…), « 30 % à 40 % moins cher que son homologue français », reconnaît Patrice Kombot-Naguemon, du cabinet Michael Page. Le niveau de vie du pays d’origine et l’éloignement du salarié par rapport à ce dernier sont autant de critères qui expliquent cette différence.
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