Nollywood, le retour

Les DVD pirates ont failli tuer l’industrie du film nigérian. Mais avec l’émergence des réseaux privés de multiplexes et des bouquets de télévision payants, les producteurs reprennent confiance.

ProfilAuteur_ChristopheLeBec

Publié le 19 janvier 2011 Lecture : 4 minutes.

Le cinéma The Galleria, à Lagos, est bondé. En cette période de Noël, les familles de Victoria Island et Ikoyi, quartiers huppés de la mégapole nigériane (18 millions d’habitants), se pressent dans les files d’attente de ce multiplexe créé en 2004 par le groupe Silverbird, leader du secteur. Cornets de pop-corn en main, les cinéphiles peuvent aller regarder le dernier Walt Disney, Raiponce, mais aussi et surtout des films africains : cette semaine de fin décembre, ce sont Anchor Baby et Challenge of Our Times, deux films nigérians, ainsi que Six Hours to Christmas, du studio ghanéen Sparrow, qui sont à l’affiche.

Alors qu’ils avaient disparu pendant les années 1980 en raison de l’insécurité des centres-villes, depuis cinq ans les réseaux privés de salles se multiplient dans les quartiers aisés de la capitale économique, d’Abuja et de Port-Harcourt. « À notre lancement en 2004, nous projetions des films américains, mais devant la forte demande de la clientèle, notamment féminine, nous avons commencé à diffuser des longs-métrages nigérians de qualité. Certains, comme Ijé [de Chineze Anyaene, 2010, NDLR] et Through the Glass [de Stephanie Okereke, 2008], ont été de vrais succès car le public s’identifie aux héros », explique Jonathan Bruce, directeur général de Silverbird Cinemas, qui gère déjà cinq multiplexes (quatre au Nigeria, un au Ghana), reçoit plus de 1 000 spectateurs par jour rien qu’à Lagos et réalise un chiffre d’affaires annuel estimé à 12 millions d’euros. Pour la promotion, il peut s’appuyer sur les autres filiales du groupe Silverbird (fondé par son père Ben Bruce) : la radio Rhythm et la chaîne de télévision Silverbird TV.

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Jonathan Bruce ne compte pas s’arrêter en si bon chemin : « Après les métropoles, nous nous installerons dans les villes moyennes. Nous prévoyons deux ouvertures annuelles de multiplexes équipés de quatre salles. Nous voulons aussi coproduire des films pour encourager un cinéma local de qualité qui réponde aux attentes de notre clientèle. » Plus petits, mais tout autant ambitieux, les groupes Hi Cinema Zone (deux multiplexes) et Genesis (trois multiplexes) se sont eux aussi positionnés sur ce créneau « très lucratif », selon Jonathan Bruce.

Copies à prix cassés

« Bien sûr, ces salles s’adressent à une élite au porte-monnaie bien garni [1 300 nairas la place, soit 6,40 euros], mais elles nous offrent un canal de distribution moins vulnérable à la piraterie que la diffusion de DVD, habituellement prisée par Nollywood », estime Femi Odugbemi, ancien président de l’Association des producteurs de télévision indépendants du Nigeria (Itpan) et réalisateur de Bárigà Boy, en 2008. Ces réseaux privés poussent également à la qualité : pour être diffusé chez eux, il faut réaliser le film en 35 mm, offrir un son irréprochable, et surtout présenter un scénario plus original que les romances nollywoodiennes habituelles.

Les producteurs professionnels, fragiles économiquement à cause des copies illégales mais aussi de la profusion de films de piètre qualité, voient d’un bon œil le renouveau des cinémas. « Pour mon dernier film, Arugba, diffusé sur DVD, au lieu des 400 000 exemplaires prévus, je n’ai pu en écouler que 50 000, se désole Tunde Kelani, l’un des producteurs de films les plus connus du pays, réalisateur du Vase brisé, en 2006. Et pour cause : en à peine trois jours, les circuits pirates vendaient des dizaines de milliers de copies illégales de mon film à prix cassé [150 nairas l’unité au lieu de 400 nairas au prix légal]. J’ai investi 100 000 euros dans la production de ce film, la perte est abyssale. » Face aux difficultés, Tunde Kelani a dû réduire le personnel de sa société, Mainframe Production, de 25 à 4 personnes. Il compte désormais sur les salles obscures pour lui sauver la mise.

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« Quand nous distribuons par DVD, nous n’avons aucune idée sur la manière dont notre œuvre est reçue : les pirates qui copient notre œuvre en sont les principaux distributeurs. En diffusant exclusivement dans les cinémas, nous connaissons notre audience, et nous bénéficions du succès d’un film grâce à un pourcentage sur le prix des places [30 % en général] », se réjouit Tunde Kelani, qui pour sa prochaine œuvre, Ma’ami, privilégie une diffusion dans des cinémas publics démontables, subventionnés par l’État de Lagos, pour toucher un public large.

Pour Femi Odugbemi, les producteurs de Nollywood pourraient aussi profiter de l’essor d’un autre débouché, les bouquets payants de chaînes de télévision à contenu africain : MultiChoice (groupe Naspers, sud-africain), qui a créé les trois chaînes Africa Magic (en anglais, en yoruba et en haoussa, 500 000 abonnés nigérians), ou HiTV. « Si ces chaînes ont, à leur démarrage, racheté à prix cassé les films de Nollywood, c’est que les producteurs se sont montrés faibles dans la négociation et désunis. Des catalogues d’anciens films ont parfois été bradés à des prix indécents : 1 500 dollars le film et 700 dollars l’épisode de série. Mais depuis, certains ont compris que ces chaînes étaient prêtes à payer correctement des programmes de qualité, à condition qu’ils leur en réservent l’exclusivité », indique Femi Odugbemi, qui produit pour Africa Magic la série futuriste Tinsel. MultiChoice s’est d’ailleurs investi dans la production, en installant notamment un studio à Lagos.

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Un marché en gestation

Pour l’industrie, l’étape suivante est la structuration de groupes de production économiquement solides, capables de négocier avec les différents canaux de distribution qui montent en puissance (réseaux de cinémas, chaînes de télévision, mais aussi distributeurs internationaux comme Panafrican Film et Canal France International). « Il nous faut des avocats et des hommes d’affaires connaissant les lois du marché pour nous épauler. Mais je suis optimiste, le cinéma nigérian parviendra à se professionnaliser, et même à concurrencer Bollywood », estime Femi Odugbemi.

Preuve que Nollywood a de nouveau le vent en poupe, les groupes bancaires comme Diamond Bank, Guaranty Trust Bank et Bank PHB ont créé des guichets cinéma qui étudient les business plans de producteurs et commencent à les financer. Lagos n’est pas encore Los Angeles ou Bombay, mais les studios nigérians du futur sont en gestation.

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