Le pays au million de poètes

La poésie est un patrimoine national en Mauritanie. On la récite, on la chante, on l’écrit. En arabe ou en hassaniya, en pulaar, en soninké ou en wolof et, depuis les années 1960, en français.

Manuscrit ancien dans la bibliothèque de Chinguetti. © D.R.

Manuscrit ancien dans la bibliothèque de Chinguetti. © D.R.

Publié le 17 janvier 2011 Lecture : 4 minutes.

Mauritanie : chronique d’une nation
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Mauritanie : chronique d’une nation

Sommaire

« Mon pays est une perle discrète / Telle des traces dans le sable / Mon pays est une perle discrète / Telle des murmures des vagues / Sous un bruissement vespéral / Mon pays est un palimpseste / Où s’usent mes yeux insomniaques / Pour traquer la mémoire. » Tel est le chant à son pays du poète et linguiste Ousmane Moussa Diagana (disparu en 2001), dans son premier recueil, Notules de rêves pour une symphonie amoureuse (1994).

Ces quelques vers résument les principaux thèmes de la poésie mauritanienne d’expression française : nationalisme, mémoire africaine, déchirement entre ceux du Nord, les nomades arabo-berbères (« les fils des nuages »), et ceux du Sud, les Négro-Africains (« les gens du fleuve »). Comme une perle, la Mauritanie est un croisement entre l’eau du fleuve Sénégal et le sable du Sahara.

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Poésie populaire

Ici, à ses débuts, la poésie francophone – dont les premiers textes n’ont été publiés qu’après l’indépendance –, a été marquée par la négritude. Elle s’est ensuite libérée des modèles venus de l’autre côté du fleuve Sénégal (Senghor, Birago Diop) pour s’ouvrir aux influences de la poésie arabe, dont « le pays au million de poètes », comme on l’a surnommé, fut et reste un haut lieu. La Mauritanie demeure en effet un producteur très dynamique de poésies populaires, notamment dans le dialecte arabe du pays, le hassaniya. Aux côtés de la création en arabe survivent des genres traditionnels négro-africains en langues pulaar et soninké, tels que l’épopée et le lelé, qui, inspiré de la poésie antéislamique, célèbre le romantisme et l’amour.

Ce n’est pourtant qu’en 1966 que paraît Presque griffonnages ou la Francophonie, d’Oumar Bâ, la première œuvre francophone signée par un Mauritanien. Cette entrée en scène tardive du pays dans la francophonie littéraire s’explique par son faible taux de scolarisation tout au long de la période coloniale et par la perception que beaucoup de musulmans avaient de la langue de Molière, considérée comme la « langue des mécréants ». Historiquement, ce sont les Négro-Mauritaniens du Sud qui furent les premiers à adopter le français, comme un outil d’affirmation de leur identité face à la domination politique et culturelle séculaire des Maures. Il n’est donc pas étonnant que les premiers poètes à publier en français soient issus de leurs rangs.

Avec son œuvre composée, d’une part, de traductions et de mises en forme de poésies, de dictons et de récits en langue pulaar (Poèmes peuls modernes, 1965, publiés en bilingue pulaar-français) et, d’autre part, de textes de sa création, en français, célébrant l’Afrique sahélienne, sa nature crépusculaire, ses mythes et ses grands hommes (Odes sahéliennes, 1978), Oumar Bâ en est le précurseur. Né en 1921 dans un village frontalier avec le Sénégal, Bâ met en scène une Afrique des régions, plutôt qu’une Afrique des États.

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Historien, il évoque les empires du passé (« Le pays du Tekrour qui plonge ses racines / Dans Mali, dans Ghana, ces royautés voisines »), confrontant les splendeurs d’antan aux malheurs et impuissances du présent. Classique dans sa forme et dans sa versification (alexandrins), la poésie d’Oumar Bâ prend des accents senghoriens, ouvrant la voie à un courant de néonégritude, alors même que la vision idyllique de l’Afrique précoloniale proposée par le mouvement de la négritude était de plus en plus contestée.

Nouvelle vague

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À Nouakchott et à Nouadhibou, la contestation n’est cependant pas encore à l’ordre du jour, et la poésie francophone balbutiante s’enfonce résolument dans la brèche ouverte par Oumar Bâ et revisite les grandes thématiques de la négritude : exaltation du passé, célébration de la femme noire… Les principaux épigones de ce courant sont Djibril Sall, Assane Diallo, Youssouf Guèye, Mar Fall Diagne. « Mes racines aux confins de l’invisible / Puisent leur sève dans la négritude », confesse Sall dans son recueil Cimetière rectiligne (1977), une superbe déclaration d’amour de l’enfant prodigue à « l’Afrique, mère aimée ».

Diallo, pour sa part, chante la femme, grâce à laquelle la réconciliation avec le pays natal devient possible. Son poème Leyd’am (1967), qui signifie « terroir » en pulaar, rappelle la fusion mystique d’Aimé Césaire avec sa Martinique natale. Un sentiment de déjà-vu qui fait que ce courant tardif de la négritude n’a peut-être pas rencontré le succès qu’il méritait… Et que la plupart des textes représentatifs de cette première vague de poésie mauritanienne d’expression française sont désormais introuvables.

Il faudra attendre la fin des années 1980 pour qu’elle déferle à nouveau. Avec de nouveaux thèmes. Désormais, bye-bye la négritude, bonjour l’hybridité à la Mauritanienne. Qu’ils soient d’origine maure ou négro-africaine, les poètes francophones mauritaniens puisent aujourd’hui leur inspiration autant dans les mythologies peule, soninké et wolof que dans la foisonnante tradition poétique hassaniya. Ils disent l’amour et la nostalgie. Ils disent leur pays, riche de son hybridité, tiraillé entre son arabité et son africanité.

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Pour en savoir plus, lire le n° 120-121 (janvier-mars 1995) de Notre librairie, et Éléments de la littérature mauritanienne de langue française, par M’Bouh Seta Diagana, éd. L’Harmattan, 2008.

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