L’opposition mauritanienne entre alliance et confusion
Depuis l’élection de Mohamed Ould Abdelaziz, les rivalités refont surface au sein de l’opposition, et les coalisés peinent à trouver un positionnement clair face au chef de l’État.
Mauritanie : chronique d’une nation
C’était un fidèle du président Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Avant d’en faire son Premier ministre, en mai 2008, ce dernier l’avait chargé de fixer les députés « indépendants » dans un parti, Adil, pour consolider ses assises. Quand « Sidi » est tombé, le 6 août 2008, il est tombé avec lui. Mais en Mauritanie, le nomadisme vaut aussi pour la politique.
Le 11 décembre, Yahya Ould Ahmed el-Waghf, président d’Adil, a signé un « accord d’entente politique » avec la majorité présidentielle. En clair, avec Mohamed Ould Abdelaziz, qu’il soutiendra désormais. De Lemden, son village natal adossé aux dunes, qu’il ne quitte plus – et où il lui arrive de célébrer la prière, à la mosquée –, « Sidi » n’a pas réagi. Certains cadres d’Adil ont quant à eux refusé de prendre le virage, négocié depuis plusieurs mois. Ils continuent de revendiquer leur appartenance à l’opposition. Mais au final, Adil, qui compte quatre députés à l’Assemblée nationale (dont trois femmes), se déchire.
Un compagnonnage antiputsch
Hétérogène, en guerre de leadership, l’opposition mauritanienne offre un spectacle de désunion depuis l’élection de Mohamed Ould Abdelaziz, en juillet 2009.
Quand il était chef de junte, le général cimentait malgré lui le bloc de ses détracteurs. Ahmed Ould Daddah, le patron du Rassemblement des forces démocratiques (RFD) et Messaoud Ould Boulkheir, celui de l’Alliance populaire progressiste (APP), également président de l’Assemblée nationale, avaient mis leur vieille rivalité entre parenthèses pour dénoncer le retour des militaires. Pendant un an, ils ont mené un combat sans relâche. À leurs côtés, notamment, Mohamed Ould Maouloud et son parti, l’Union des forces de progrès (UFP), Jemil Ould Mansour, à la tête d’une formation « à référentiel islamique », Tawassoul, et Yahya Ould Ahmed el-Waghf, d’Adil.
Avec la normalisation politique, la confusion a remplacé l’union sacrée. Au lieu d’une candidature unique, Messaoud Ould Boulkheir et Ahmed Ould Daddah se sont tous deux présentés à l’élection du 18 juillet. Mais, au lendemain de la victoire d’Aziz, ils dénonçaient des fraudes d’une seule voix.
D’autres compagnons, comme Mohamed Ould Maouloud, se joignaient à eux. Une Coordination de l’opposition démocratique (COD) a ensuite vu le jour, comprenant notamment le RFD, l’APP, l’UFP et Adil. Elle a unanimement critiqué le refus du nouveau président d’ouvrir un dialogue sur les grands sujets nationaux (rôle de l’armée, système électoral), pourtant prévu par l’accord de Dakar, signé en juin 2009.
Partie de cache-cache
Mais, une nouvelle fois, l’union s’est fissurée. En septembre dernier, la COD dénonce les incursions de l’armée mauritanienne au Mali. Le RFD, lui, se singularise en apportant son soutien aux troupes. Une source au sein de l’UFP fustige aujourd’hui les « zigzags » du RFD. Sa position après le coup d’État du 6 août 2008 donnait déjà un indice des ambiguïtés futures. Membre de l’Internationale socialiste, leader historique de la lutte contre la dictature d’Ould Taya, le RFD s’est en effet contenté de « prendre acte » du renversement du premier président civil démocratiquement élu. « Il n’y a pas plus opposant que le RFD ! » se défend aujourd’hui Limam Ahmed, son secrétaire permanent.
Tawassoul tient lui aussi une position originale. Membre de l’opposition, il reconnaît l’élection de 2009. « Il y a eu des insuffisances, mais elles ne remettent pas en cause le résultat, dit Jemil Ould Mansour. Et puis, nous avons perdu assez de temps. La critique systématique n’est pas une bonne manière de s’opposer. » En quête d’une normalisation atténuant son identité islamiste, Jemil Ould Mansour est prêt à une entrée au gouvernement « à condition de pouvoir discuter sur le programme ». Il sait gré à Aziz d’avoir rompu les relations diplomatiques avec Israël.
Absorbée par des ajustements de position et une unique revendication – l’application de l’accord de Dakar –, l’opposition n’est pas encore mobilisée par les prochaines échéances : les législatives et les municipales de novembre 2011. Le fauteuil de président de l’Assemblée nationale, occupé par Messaoud Ould Boulkheir, dont le parti compte trois députés, sera pourtant remis en jeu. Comme celui d’Ahmed Ould Daddah, chef de l’institution de l’opposition. En vertu d’une loi votée en 2006, l’opposition parlementaire dispose en effet d’un statut légal et reçoit un budget annuel – 67 millions d’ouguiyas (170 000 d’euros) pour 2010. Le chef du parti le plus représenté la dirige et jouit du rang de ministre. Le RFD ayant huit députés et deux sénateurs, c’est donc Ahmed Ould Daddah qui occupe aujourd’hui le poste. Sera-t-il reconduit en 2011 ? Son éternel rival, Messaoud Ould Boulkheir, l’a devancé à la présidentielle de 2009.
Quel que soit l’élu, il devra tout construire. « L’institution de l’opposition ne tourne pas normalement aujourd’hui », reconnaît Limam Ahmed. Plus généralement, l’opposition devra renouveler un positionnement anti-Ould Taya hérité d’années de lutte, puisque Mohamed Ould Abdelaziz a décidé d’occuper le créneau.
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