Mauritanie : cinquante ans après l’indépendance, l’élan brisé
Au seuil de son indépendance, la Mauritanie avait tout à construire : l’État, l’unité nationale, l’économie. Cinquante ans plus tard, fragilisée par les dérives autoritaires et les putschs à répétition, elle cherche encore la voie du développement.
Mauritanie : chronique d’une nation
Le 28 novembre 1960, c’est dans un hangar, à Nouakchott, que Moktar Ould Daddah proclame l’indépendance. La capitale n’est alors qu’un simple fortin de 5 000 âmes. La jeune République islamique de Mauritanie, avec son million de km2 de superficie (deux fois la France), dont les deux tiers dans le Sahara, ne possède presque aucune infrastructure de base, la France coloniale ayant préféré concentrer ses efforts sur les abords du fleuve Sénégal et sur Saint-Louis, capitale de l’Afrique-occidentale française (AOF), et donc du territoire de la Mauritanie, jusqu’en juillet 1957.
La tâche qui attend Moktar Ould Daddah est immense. Tout est à construire : l’État, l’unité nationale et l’économie. À l’époque, cette dernière repose sur l’exploitation du fer et sur un important secteur agropastoral. Le nomadisme est prédominant, et le tissu urbain peu dense.
Cinquante ans plus tard, la société est largement sédentarisée et urbanisée (à plus de 40 %), un mouvement amorcé en 1973, à la suite des grandes sécheresses qui ont poussé nombre de ruraux vers les villes. De 1970 à 1990, le taux annuel moyen d’accroissement de la population urbaine était d’ailleurs de 7,7 %, contre 2,9 % de 2000 à 2010. L’activité agropastorale contribue à 20 % au produit intérieur brut (PIB), tandis que la pêche maritime, l’exploitation du fer et, depuis 2006, du pétrole (25 % du PIB) sont les principaux pourvoyeurs de devises. Si le PIB s’est accru, la pauvreté, quasi générale en 1960, touche encore plus de 45 % des 3 millions de Mauritaniens, et les inégalités sociales se sont creusées.
Deux autres problèmes persistent, qui fragilisent l’unité nationale : l’esclavage, pourtant officiellement aboli en 1980 et criminalisé par une loi de 2007, ainsi que les tensions entre Maures et Négro-Mauritaniens, que les régimes qui se sont succédé ne sont pas parvenus à réconcilier.
Couleurs, langues et identité
Point de jonction entre l’Afrique blanche arabophone et l’Afrique noire francophone, la Mauritanie est peuplée de Maures arabo-berbères blancs (les Beydanes) et noirs (les Haratines, descendants de leurs anciens tributaires), dont la langue est l’arabe hassaniya, ainsi que de Négro-Mauritaniens – Peuls Toucouleurs, Soninkés et Wolofs – originaires de la région du fleuve Sénégal, parlant le français et leurs propres langues (le pulaar, le soninké et le wolof).
Si tous ont en commun l’islam, les Négro-Mauritaniens ne se reconnaissent pas, en revanche, dans l’identité arabe revendiquée par la quasi-totalité des régimes qui ont dirigé le pays. Les premières émeutes éclatent en 1966, à la suite d’un décret sur l’arabisation de l’enseignement secondaire, et s’exacerbent en 1968, quand l’Assemblée nationale fait de l’arabe une langue officielle, aux côtés du pulaar, du soninké, du wolof et du français.
Dans la foulée de l’arabisation, le pays sort de la zone franc en juin 1973 pour mettre en circulation sa propre monnaie, l’ouguiya, et, en novembre de la même année, adhère à la Ligue arabe. En décembre 1980, l’arabe est décrété seule langue officielle.
Les tensions nées de cette politique, qui éloigne le pays de ses voisins francophones, atteignent leur paroxysme sous Ould Taya, quand éclate, en avril 1989, le conflit sénégalo-mauritanien. Tout est parti d’un accrochage entre des bergers maures mauritaniens et des paysans soninkés sénégalais, à Diawara, au Sénégal oriental, qui débouche sur des affrontements entre les deux communautés à Nouakchott et à Dakar. Bilan : des milliers de morts et de blessés, des dizaines de milliers de réfugiés de part et d’autre. En août 1989, les deux pays ferment leur frontière et rompent leurs relations diplomatiques, qui ne seront rétablies qu’en mai 1992.
Un pouvoir militarisé
Le choix de l’arabité n’a pas pour autant facilité les relations avec les voisins arabes. Au moment de l’indépendance, le Maroc, alors suivi par la Ligue arabe, refuse de reconnaître le nouvel État. Les deux pays se rapprochent en novembre 1975, avec la signature des accords de Madrid, sur le partage du Sahara occidental entre le Maroc (deux tiers) et la Mauritanie (un tiers), qui annexe donc la région de Dakhla (renommée Tiris el-Gharbia) et s’engage, aux côtés du Maroc, dans une guerre contre le Polisario, soutenu par l’Algérie. Ajoutée à la montée de la contestation, tant du côté des Négro-Mauritaniens que d’une fraction ultranationaliste arabe, cette coûteuse guerre de deux ans sera fatale à Ould Daddah.
Certains mettront le bilan mitigé des cinquante ans d’indépendance du pays sur le compte d’un manque de volonté politique de la plupart de ses dirigeants, davantage préoccupés par l’idéologie que par le développement et la modernisation du pays, et de l’instabilité née des coups d’État à répétition.
Depuis le renversement d’Ould Daddah en juillet 1978, la Mauritanie a en effet connu sept chefs d’État – tous Maures –, dont six militaires. Une militarisation du pouvoir que la démocratisation engagée en 1991 n’a pas enrayée. D’ailleurs, quelques années plus tard, Ould Taya ne s’encombrera pas des droits de l’homme, exacerbant au passage la question raciale en faisant fusiller plusieurs officiers peuls accusés de vouloir le renverser.
C’est « pour mettre fin au régime totalitaire du président Taya », diront-ils alors, que des militaires finissent par le renverser, en août 2005, sous la conduite de celui qui fut son responsable de la sûreté nationale pendant dix-huit ans, le colonel Ely Ould Mohamed Vall. Ce dernier, fidèle à sa promesse, ne se présente pas à la présidentielle de mars 2007, qui est remportée par un civil : Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Mais le 6 août 2008, un nouveau coup d’État porte au pouvoir le général Mohamed Ould Abdelaziz. Ce dernier est élu président un an plus tard, dès le premier tour du scrutin, avec plus de 52 % des suffrages exprimés.
Outre les défis socioéconomiques, Aziz hérite du lourd dossier de l’islamisme radical, dont les premières actions remontent à 2003 avec la tentative d’assassinat d’Ould Taya par les « Cavaliers du changement ». Depuis 2005, le pays est frappé par une vague d’attentats perpétrés par des djihadistes : assassinat de quatre touristes français à Aleg (Sud-Est) en décembre 2007, attaque de l’ambassade d’Israël en février 2008, attentat suicide contre l’ambassade de France en août 2009… Des événements qui n’ont pas manqué de surprendre au « pays de Chinguetti », jadis réputé pour ses sages érudits et son islam tolérant.
La menace de l’islam radical
Divers facteurs ont favorisé la montée de l’islamisme. Les idéologies modernistes (nassérisme, baasisme) qui se sont développées dans le pays dans les années 1970 ont suscité une réaction défensive au sein des milieux conservateurs. Les politiques menées par les régimes successifs dans le sens d’un repli sur l’islam (instauration de la charia par Ould Daddah en 1978 et par Ould Haïdallah en 1980) ou d’une ouverture sur l’Occident (rapprochement avec les États-Unis et établissement de relations diplomatiques avec Israël sous Ould Taya) ont également contribué à l’émergence de ces courants radicaux.
Si le raid lancé par l’armée en juillet 2010 contre un camp d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) n’a pas permis de sauver l’otage français Michel Germaneau, un point a toutefois été marqué par l’État mauritanien : neuf combattants d’Aqmi ont été tués.
Reste que les courants radicaux ont de plus en plus d’adeptes au sein des couches populaires, notamment chez les Haratines, paupérisés par les difficultés économiques. En cela, les deux chantiers prioritaires du mandat d’Ould Abdelaziz, contrer l’islamisme radical et engager le pays sur le chemin de la croissance, sont intimement liés.
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