Ainsi font, font, font, les petites marionnettes

Non content de conduire, plutôt mal, le char de l’État, Silvio Berlusconi, 74 ans, se croit obligé de mettre dans son lit des cohortes entières de jeunes femmes peu farouches. En dehors de lui-même, qui croit-il épater ?

ProfilAuteur_JeanMichelAubriet

Publié le 5 janvier 2011 Lecture : 5 minutes.

Mais quand trouve-t-il le temps de travailler ? À en croire un sénateur de gauche, le président du Conseil italien aurait, depuis son retour aux affaires en mai 2008, reçu dans l’une ou l’autre de ses luxueuses résidences un millier de belles et vulgaires jeunes femmes prêtes à tout pour côtoyer les « people » – et, accessoirement, gagner l’argent du loyer. Faites le compte, c’est beaucoup, même pour un septuagénaire initié aux arcanes de la pharmacopée sexuelle – et rescapé d’un cancer de la prostate. Avec son vieux pote Mouammar Kadhafi, Silvio Berlusconi se livrerait, dit-on, entre deux négociations stratégiques, à des concours de garnements : « T’en a eu combien, l’autre nuit ? Quoi, seulement dix ? »

On comprend qu’Elizabeth Dibble, la chargée d’affaires américaine à Rome, qu’on imagine un peu prude, un peu effarée par tant d’exubérance méditerranéenne, juge sévèrement, dans ses mémos adressés au département d’État rendus publics par WiliLeaks, les frasques cavalièresques. « Irresponsable, imbu de lui-même et inefficace », le chef du gouvernement italien serait, dit-elle, « physiquement et politiquement affaibli » par ses « longues nuits sans sommeil » et son « penchant pour la fête ». D’où cette maternelle réprimande : « Il ne se repose pas assez. » Mais si, voyons, il se repose, mais pendant ses heures de travail ! À en croire les mauvaises langues, le Dom Juan sénescent du Palazzo Chigi ne consacrerait aux affaires de l’État guère plus d’une heure par jour. E pur si muove ! protestait Galilée. En dépit de la cynique incurie de son chef, l’Italie, comme la Terre, continue de tourner. Mais de moins en moins rond.

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César de bas empire

Car c’est un système tout à la fois rationnel et délirant que Berlusconi a peu à peu mis en place autour de son empire télévisuel. Un système où tout est faux, à commencer par sa propre personne continuellement rajeunie, et où tout s’achète : hommes, femmes, électeurs, élus ou magistrats. Faut-il croire que, parvenu au faîte de la fortune (la sienne est la première d’Italie) et du pouvoir, plus rien n’a de sens ? César de bas empire, il danse au-dessus du vide, ne s’affaire qu’à ses plaisirs, drague ou fait draguer dans ses studios TV (ou ailleurs) des bataillons de paumées (les veline, dit-on ici), se vante de les avoir séduites quand il n’a fait que les payer, s’inquiète soudain de leurs possibles indiscrétions et, pour finir, le silence aussi ayant un prix, les nomme dans son gouvernement ou les fait élire au Parlement, à Bruxelles, n’importe où.

« Sorte de Peter Pan phallique et obsessionnel », comme l’écrit, dans l’hebdomadaire L’Espresso, l’écrivain Marco Belpoliti, Berlusconi a longtemps fasciné ses compatriotes plus qu’il ne les scandalisait. Mais trop, c’est trop : la tendance est apparemment en train de s’inverser. Toute une série d’affaires, qui, bien sûr, ne constituent que la partie émergée de l’iceberg, ont fini par faire plonger sa cote de popularité, longtemps stratosphérique, à des profondeurs quasi sarkoziennes (34 %).

Il y eut d’abord, en 2008, Patrizia D’Addario, escort vieillissante (42 ans, à l’époque) que des déboires familiaux conduisirent, paraît-il, sur les chemins escarpés de la prostitution soft, et qui, au terme d’une soirée déjantée au palais Grazioli, finit dans le lit à baldaquin ultrakitsch du Cavaliere, cadeau facétieux de Vladimir Poutine, non sans s’être préalablement munie d’un magnétophone. Déçue dans ses espérances, voyant s’éloigner le poste de députée européenne qu’on lui avait fait miroiter et ne se contentant point d’une place non éligible sur une liste pour les municipales dans une obscure bourgade des Pouilles, inquiète de surcroît d’un étrange cambriolage à son domicile, la belle finit par se fâcher. Après avoir balancé au Corriere della Serra l’enregistrement de ses présidentiels ébats, elle ouvrit son cœur meurtri au monde entier.

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Saturnales

L’année suivante, ce fut le tour de Noemi Letizia, gentille bécasse napolitaine acheminée, avec nombre d’autres volatiles, à bord d’avions du gouvernement jusqu’à la villa Certosa, le domaine « babylonien » de 120 ha que Berlusconi possède sur la Costa Smeralda, en Sardaigne. Problème : elle était mineure lors de ces saturnales. Autre problème : un paparazzi, qui avait secrètement shooté les évolutions dénudées des invité(e)s du Cavaliere, menaça de publier les clichés, qui furent in extremis saisis par le parquet. Pour faire bonne mesure, le chef du gouvernement, alias Papounet, commit l’imprudence de s’inviter à la party organisée à l’occasion du dix-huitième anniversaire de Noemi, porteur d’un précieux joyau.

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Il y a sept mois, enfin, une certaine Ruby, fille de Marocains établis en Sicile (elle se prénomme, en réalité, Malika), esquissa quelques arabesques sur l’immense scène du harem berlusconien. Interpellée à la suite d’un larcin, elle fut libérée en pleine nuit après l’intervention du sultan – pardon, du président du Conseil – en personne, qui affirma aux policiers incrédules qu’elle était la nièce du président égyptien Moubarak. Quelques mois plus tard, les magistrats finirent par découvrir que la jeune personne était mineure, dépourvue de papiers et assidue aux orgies de son protecteur. En simple spectatrice, minaude-t-elle. Le « spectacle » lui a quand même rapporté 150 000 euros et une berline de marque allemande.

Qui reprochera à Veronica Lario (54 ans), sa compagne, puis son épouse depuis trente ans, d’avoir fini par se lasser ? En 2007, après les avances faites publiquement, à la télévision, à Mara Carfagna, brune pin-up pour camionneur qu’il fera élire députée et propulsera au ministère de l’Égalité des chances – ce qui n’est pas illogique : avec Berlusconi, toute femme peu farouche a ses chances –, elle avait, dans La Repubblica, le grand quotidien d’opposition, demandé – et obtenu – des excuses publiques. Après le scandale Noemi, elle avait chassé d’un revers de main l’essaim de « fausses vierges » bourdonnant autour de son mari, déploré la propension de ce dernier à s’afficher avec des mineures, puis demandé – et obtenu – le divorce, déclenchant du même coup un conflit entre les héritiers.

Consternation au Vatican

Nés d’un premier lit, Marina et Piersilvio sont déjà aux commandes de l’empire familial. La quarantaine venue, l’aînée, qui préside le conseil d’administration de Fininvest, le holding du groupe, passe même pour la femme la plus influente d’Italie. Outre quelques menus avantages pour elle-même (notamment 300 000 euros de pension mensuelle), Veronica a donc exigé – et, pour l’essentiel, obtenu – une part du gâteau pour ses propres enfants : Barbara, Eleonora et Luigi.

Bref, la belle ne supporte plus, mais alors plus du tout, son ex-mari. Comme tout le monde. D’ordinaire si circonspect, le Vatican est consterné. Discrètement, il sermonne les électeurs catholiques et sonde les candidats à la succession. Présidente de la Confindustria (le syndicat patronal), Emma Marcegalia, que Berlusconi tenta de nommer ministre puis de faire chanter, lui décoche flèche sur flèche. Même ses alliés le lâchent, un à un, à l’exception notable de la très populiste Ligue du Nord. En toute logique, tout cela devrait très mal finir. Reste à savoir quand.

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