Eric Raisina

Ce styliste malgache installé au Cambodge a su séduire les plus grands couturiers français. Amoureux des matières, il revendique la pratique de la « haute texture ».

Publié le 5 janvier 2011 Lecture : 5 minutes.

Difficile de classer Éric Raisina. Ce Malgache est aussi à l’aise dans le stylisme que dans la conception textile, comme un artiste qui aurait choisi de redevenir artisan. Plus que de la haute couture, c’est la pratique de la « haute texture » qu’il revendique. Et plus que des modèles, ce sont des œuvres qu’il compose, allant jusqu’à choisir la moindre fibre de soie, de sisal ou de raphia qui fera de sa dernière création une pièce unique. Un éclectisme auquel Éric a toujours donné libre cours… Son père l’aurait bien vu faire une fac de gestion. Lui envisageait de devenir cuisinier. Finalement, c’est un peu le hasard qui a décidé pour lui.

La machine à coudre Singer de ma mère me fascinait tout petit déjà, j’adorais le son qu’elle produisait, explique Raisina. Celui d’une mécanique bien huilée… Jusqu’à ce que je me mette à l’utiliser. » À 14 ans, il fabrique ses premiers vêtements. Il s’initie à la surpiqûre, dessine des patrons, prend plaisir à créer ses propres modèles. Ses sœurs et ses camarades d’école le sollicitent. Un embryon de clientèle qui stimule son imagination d’adolescent.

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Raisina ne perd pas pour autant de vue son goût pour la gastronomie. En 1993, il prépare son bac et passe le concours d’entrée à l’Institut national du tourisme et de l’hôtellerie (INTH) d’Antananarivo. Il est reçu. Parallèlement, ses sœurs l’incitent à présenter ses créations au festival Manja, qui récompense les professionnels malgaches de la confection et du stylisme. Avec sa famille et ses amis, Éric organise un défilé qui retient l’attention. Et se voit décerner le prix Jeune Talent. Cerise sur le gâteau : l’ambassade de France lui octroie une bourse d’études.

Quelques mois plus tard, il entre en première année de BTS création textile à l’École supérieure des arts appliqués, près de la place de la République, à Paris. Non loin du quartier branché du Marais et de celui du Sentier, où les fabricants de fringues tiennent le haut du pavé. « C’est là que j’ai pu pratiquer la peinture, le dessin, la photo, la teinture… Et c’est là que j’ai véritablement découvert ma passion. » Une passion qui va le conduire sur les bancs de l’Institut français de la mode (IFM), dont il ressort avec un master en poche, en 1999.

Parallèlement, Éric se sent attiré par l’Extrême-Orient. « Alors que j’effectuais un stage au musée de l’Homme, j’ai découvert les textiles d’Asie du Sud-Est et j’ai été frappé par la finesse des motifs obtenue grâce au tissage. Et comme une partie de la population malgache est originaire de cette région du monde, j’avais toujours eu envie de découvrir l’Asie. Alors je me suis acheté un billet d’avion pour Phnom Penh. »

Dès son arrivée au Cambodge, il a l’impression de retrouver Madagascar. « Les avenues bordées de flamboyants me rappelaient Tamatave. Et les matières travaillées n’étaient pas très différentes de celles que je connaissais à Tana. » Il effectue un stage au Centre de la soie de Siem Reap, où l’on pratique l’élevage du bombyx, la filature et le tissage. « Cette fibre est magique, explique Raisina, car le processus qu’on utilise pour la produire, à partir de la fécondation du ver à soie, est unique. De plus, je viens d’un pays où elle occupe une place très importante. Elle est portée par les femmes d’un certain rang social et elle est utilisée pour envelopper les corps des défunts lors de leur inhumation. Pour les Malgaches, c’est la matière noble par excellence. » De fait, la soie est omniprésente dans ses créations.

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À l’issue de cette initiation, Éric Raisina rentre à Paris avec une première moisson de tissus. Il travaille alors avec le couturier français Christian Lacroix, qui utilise ces textiles pour sa collection. Dans le lot, un bustier fabriqué par Raisina se vend 15 000 francs (environ 2 300 euros). Une somme qu’il utilise pour retourner s’installer au Cambodge.

En 2000, il ouvre son propre atelier de création textile à proximité de l’ancienne capitale de l’empire khmer, Angkor. Dans ce lieu, il réalise ses premières collections en adoptant les techniques traditionnelles de tissage et de teinture. Une vingtaine de personnes, tisserands, couturiers, brodeurs, travaillent avec lui. De la dentelle de raphia naturel à la fourrure de soie en passant par le sisal, le lin ou le coton, les fibres naturelles sont privilégiées.

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« C’est là que j’ai compris l’importance de la matière », confie le jeune homme. Une matière qui séduit les plus grands, de Christian Dior à Yves Saint Laurent. C’est d’ailleurs ce dernier qui va utiliser la fourrure de soie conçue par Éric, un produit à l’élaboration duquel il a consacré pas moins de six mois de recherches.

Même s’il travaille avec de grands noms, Éric Raisina s’est volontairement positionné en marge de la mode, préférant garder sa liberté de créer plutôt que de se plier aux règles d’une maison de haute couture. Une liberté qu’il met à profit en multipliant les découvertes.

« J’ai toujours voyagé, y compris au sein de ma propre famille. Mon père est betsimisaraka (ethnie de la côte est de Madagascar) alors que la famille de ma mère était plus métissée, créole d’origine mauricienne. J’avais aussi des parents originaires de Chine et de France. Cette diversité m’a aidé à capter les influences du monde. »

Influences du monde… et d’Afrique, un continent qu’il n’a jamais perdu de vue, malgré son attirance pour l’Orient. Déjà, au cours de ses études, Éric avait fait un séjour au Mali pour étudier l’art dogon. Aujourd’hui, il organise chaque année un défilé dans la capitale sénégalaise, où sa dernière prestation s’est tenue en novembre 2010 : « Je me sens bien à Dakar parce que c’est une ville qui dégage une énergie folle. » Enfin, même si de Paris à New York et de Pékin à Berlin ses créations sont de plus en plus visibles sur les podiums internationaux, le jeune créateur garde en tête l’idée de mener à bien un projet d’envergure à Madagascar. « J’aimerais y créer un centre de formation aux métiers de la mode… Une manière de faire connaître la beauté des créations malgaches. »

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