Un Premier ministre en sursis au Gabon
Pas sûr que Paul Biyoghé Mba reste longtemps à la tête du gouvernement. À l’approche des législatives, le président pourrait décider de se passer de lui et d’ouvrir son gouvernement.
On dit de lui qu’il est un Premier ministre en sursis. Que le couple formé à la tête de l’exécutif du Gabon par Paul Biyoghé Mba et le président Ali Bongo Ondimba (ABO) ne tiendra pas jusqu’aux législatives prévues fin 2011. Les visiteurs réguliers du Palais du bord de mer soutiennent qu’un remaniement pourrait, dans les prochaines semaines, confirmer la rupture entre les deux hommes. Ceux qui, depuis des mois, plaidaient pour le limogeage de ce natif de Donguila (Estuaire) auraient donc fini par avoir sa tête.
Les raisons de ce désamour tiennent autant au contexte politique qu’à la personnalité et au parcours de ce Premier ministre atypique. Plusieurs fois élu député et sénateur, membre du gouvernement depuis 2002, Biyoghé Mba est un poids lourd de la politique gabonaise. En juillet 2009, les partisans du candidat « Ali 9 » se sont réjouis à l’annonce de sa nomination et y ont vu un renfort susceptible de faire oublier la « trahison » de Jean Eyéghé Ndong, son prédécesseur à la tête du gouvernement, qui avait démissionné pour se présenter face à ABO à la présidentielle.
Habile et travailleur
À l’époque, c’est Rose Rogombé, présidente par intérim, qui avait nommé Biyoghé Mba après avoir consulté les barons fangs de Libreville, dont Jean-François Ntoutoume Emane et Henri Minko. Mais les proches du chef de l’État ont toujours scruté avec attention les faits et gestes de ce politicien habile, formé auprès d’Omar Bongo Ondimba, et qui n’hésita pas à démissionner du parti présidentiel en 1994 pour créer son propre parti, le Mouvement commun de développement (MCD). Avant d’accepter le poste que lui proposait le nouveau président élu, il a âprement négocié et obtenu de larges pouvoirs, et la garantie d’avoir les coudées franches dans bien des domaines. Il en a profité pour s’entourer d’hommes de confiance, pour la plupart issus du MCD – parti qu’il a sabordé par surprise, en 2002, avant de réintégrer le Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir).
Le président vit entre deux avions ? Biyoghé Mba, gros travailleur, se charge de mettre en musique la politique de l’« émergence » voulue par le chef de l’État. Lui n’aime pas voyager. Depuis qu’il est le chef du gouvernement, il n’a effectué que deux déplacements officiels hors du Gabon : en Chine et en Zambie. S’il met beaucoup d’énergie à s’acquitter de sa mission, il n’a pas pour autant renoncé à ses ambitions. Se sachant éjectable, il cultive sa popularité et soigne ses liens avec les électeurs de sa circonscription.
À l’inverse du chef de l’État, qui reçoit beaucoup moins que son père, il tient grandes ouvertes les portes de la maison familiale à Bikélé (dans le district d’Ikoy Tsini, près de Libreville), qu’il a transformée en bureau. Une cinquantaine de personnes s’y pressent tous les week-ends. Rien de plus normal, pense à tort cet homme peu soucieux de son image. Ses ennemis y voient des raisons de mettre en doute sa loyauté. Et le voici devenu la cible favorite de courtisans friands d’intrigues de palais, dont le travail de sape a fini par semer le doute dans l’esprit du président.
"Des bâtons dans les roues"
Le malaise a grandi au point de devenir alarmant, en octobre, lorsqu’ABO décide de réaffirmer son autorité. Plusieurs « Biyoghé boys » sont limogés sans préavis, dont Léon Ndong Nteme, le directeur général du budget, Molière Eyi Engot, directeur général des marchés publics, et Marie-Jeanne Mbazoghe, directrice générale de la marine marchande. Le même jour, s’appliquant à débrancher les réseaux de son Premier ministre, le président fait muter un autre de ses proches, Gaspard N’Nang Ella, alors gouverneur du Moyen-Ogooué, dans la province moins enviée de l’Ogooué-Lolo.
Le petit coup de balai a valeur d’avertissement. Biyoghé Mba voit rouge et menace de remettre sa démission. La crise est vite étouffée, mais a miné la confiance qui existait jusqu’au mois de juillet entre les deux hommes, quand le chef du gouvernement expliquait à Jeune Afrique que leurs « relations [n’avaient] jamais cessé d’être cordiales ».
Même au sein de son gouvernement, ses détracteurs sont légion. « Certains membres de l’équipe font tout pour lui mettre des bâtons dans les roues », accuse un haut cadre. Ses relations sont délicates avec le ministre de l’Économie, Magloire Ngambia, et avec celui du Logement, Rufin Pacôme Ondzounga. Elles ne sont pas meilleures avec un autre proche du président, le ministre de l’Enseignement technique, Léon Nzouba. Cette situation a inspiré une partie du discours présidentiel du 17 octobre dernier.
Le chef de l’État avait alors prévenu que « le temps de l’évaluation [avait] sonné » : « Certains projets connaissent une lenteur dans l’exécution. J’ai d’ailleurs fait remarquer au gouvernement que beaucoup de projets pourtant budgétisés souffraient de l’absence criarde de réalisation. […] J’ai décidé de corriger au plus vite certaines erreurs, notamment celles de casting pour placer l’homme qu’il faut à la place qu’il faut », avait martelé Ali Bongo Ondimba, sans préciser s’il pensait changer de Premier ministre ou simplement de ministres.
Motifs d’un changement
À quelques mois des législatives, le président pourrait trouver judicieux de remplacer Biyoghé Mba pour contrer une opposition qui avait rassemblé plus de 50 % des suffrages à la dernière présidentielle, avec les candidatures de Pierre Mamboundou et André Mba Obame. ABO a rencontré à deux reprises l’opposant Pierre Mamboundou, naguère chantre du changement radical à la tête de l’Union du peuple gabonais (UPG). Après plusieurs tentatives infructueuses pour parvenir à la tête de l’État, celui-ci a jeté son dévolu sur la primature. En se ralliant à Mamboundou, le chef de l’État sait qu’il divise l’électorat de l’opposition et isole l’Union nationale d’André Mba Obame. Sauf qu’il n’est pas certain que, s’il obtient le poste de chef de gouvernement, Mamboundou parviendra à faire taire sa nature d’homme d’ambition pour s’en tenir au rôle ingrat d’homme de missions…
La deuxième raison pour changer de Premier ministre est cosmétique. Ces derniers jours, la diffusion par la télévision française du documentaire Françafrique, 50 années sous le sceau du secret, de Patrick Benquet, a menacé de raviver la contestation des résultats de l’élection qui a porté ABO au pouvoir. Et pour cause : Michel de Bonnecorse, ex-conseiller Afrique de Jacques Chirac, y met en doute la régularité du scrutin. Il a depuis démenti, mais Zacharie Myboto, président de l’Union nationale, en a profité pour demander la « démission » du chef de l’État. Nommer une personnalité issue des rangs de l’opposition pourrait donc permettre de désamorcer la contestation.
Cependant, les jeux ne sont pas encore faits. Biyoghé Mba n’a pas abattu toutes ses cartes, ni commencé à faire ses cartons. Il est certes affaibli, mais il n’est pas dit que le président soit assez fort pour s’en séparer sans drame.
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