Sidi Bouzid, ville en colère
Vendredi 17 décembre à Sidi Bouzid, dans les steppes centrales de la Tunisie. Mohamed Bouazizi, 25 ans, semble heureux. Sa charrette de marchand des quatre saisons est bien remplie, la journée s’annonce donc sous de bons auspices. Issu d’un milieu pauvre, le jeune homme a quitté très tôt le lycée pour subvenir aux besoins de sa famille. Rien ne laisse présager qu’il va tenter de s’immoler par le feu et que ce geste provoquera une explosion sociale locale semblable à celle qui a embrasé le bassin minier de Redeyef, dans la région voisine de Gafsa, il y a trois ans, et qui rappelle l’immolation, dans les mêmes circonstances, d’un autre marchand ambulant, à Monastir, en mars dernier.
Alors que Bouazizi vient d’installer sa charrette dans un endroit très fréquenté en cette veille de marché hebdomadaire, des agents municipaux font irruption pour lui signifier que cet emplacement est interdit. D’habitude, il fait mine de pousser sa charrette un peu plus loin et revient à sa place. Cette fois, on la lui confisque, ainsi que toutes ses marchandises. Ses protestations étant vaines, il se dirige vers le siège du gouvernorat (préfecture). On lui en refuse l’entrée. Le désespoir le gagne. Il se précipite pour acheter, non loin de là, un bidon de produit inflammable, revient sur les lieux pour s’en asperger et craque une allumette. Les secours interviennent très vite. Il est évacué vers l’hôpital des grands brûlés, dans le sud de Tunis, à quelque 260 km de là. Fin de l’acte I.
Acte II : la nouvelle se répand. Les premiers à se mobiliser sont les marchands des quatre saisons de la ville et les jeunes, qui organisent un sit-in devant le gouvernorat. Le lendemain, 18 décembre, des centaines d’entre eux manifestent leur colère. Des pneus et des voitures sont brûlés, des vitrines brisées. Les forces de l’ordre ripostent au moyen de bombes lacrymogènes et procèdent à des dizaines d’arrestations. Dans la région, la tension monte. L’envoi de renforts de police n’empêche pas les jeunes de manifester à nouveau dans la nuit du 20 au 21 décembre pour réclamer la libération des leurs, et les habitants des villages agricoles de Rgueb et de Menzel Bouzaiane d’organiser des marches pacifiques.
Après quatre jours de black-out médiatique, les autorités publient un communiqué dans lequel, tout en regrettant la tentative de suicide de Bouazizi, elles accusent les mouvements d’opposition et une partie de la société civile d’« instrumentaliser cet acte isolé à des fins politiques malsaines ».
Pour ces derniers, cet acte et les troubles qui se sont ensuivis traduisent le malaise social qui gagne les régions les plus défavorisées. À l’appui de cette thèse, Adel Chaouch, un député du mouvement Ettajdid, a évoqué devant le Parlement, le 21 décembre, les « files de chômeurs et de désespérés ». Officiellement, le taux de chômage est de 13 % dans l’ensemble du pays, mais à Sidi Bouzid ce taux dépasse largement 30 % chez les diplômés de l’enseignement supérieur. Cette région enclavée est celle qui se vide le plus de ses jeunes, qui lui préfèrent les villes du littoral, où les offres d’emploi sont plus nombreuses, bien que souvent précaires.
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