Cent millions de salariés

Pour la première fois, le rapport mondial sur les salaires du Bureau international du travail ouvre ses pages à l’Afrique. Hausse des rémunérations, écarts entre hommes et femmes, situation par pays… Des réponses, enfin, à de nombreuses questions.

Grève de professeurs tchadiens en 2007 pour réclamer le versement des salaires. © AFP

Grève de professeurs tchadiens en 2007 pour réclamer le versement des salaires. © AFP

Publié le 31 décembre 2010 Lecture : 4 minutes.

Un épais mystère africain vient enfin de tomber. Combien le continent compte-t-il de salariés ? Combien gagnent-ils ? Est-on mieux rémunéré en Afrique francophone ou en Afrique anglophone ? Les femmes et les hommes sont-ils traités sur un pied d’égalité ? A-t-on un meilleur salaire au Maroc qu’en Tunisie ? Les Brésiliens et les Chinois sont-ils mieux payés ? Le Bureau international du travail (BIT) vient de mettre fin au suspense dans l’édition 2010-2011 de son « Rapport mondial sur les salaires. Politiques salariales en temps de crise », publié le 16 décembre. « Après deux ans d’efforts et de contacts avec les offices nationaux de statistiques du continent », précise Patrick Belser, l’éditeur du rapport du BIT, l’Afrique figure pour la première fois dans ce tour d’horizon planétaire (115 pays) sur les rémunérations.

Première grande surprise : le continent compte 100 millions de salariés. Soit un Africain sur dix. Trop peu ? Sur une population totale qui dépasse le milliard d’habitants, l’Afrique compte 550 millions de personnes en âge de travailler (de 15 à 64 ans). Parmi elles, 360 millions ont effectivement un emploi : 100 millions sont des salariés, les autres sont des travailleurs indépendants, dans l’informel et surtout dans l’agriculture. « Si ce nombre de 100 millions peut paraître faible en termes absolus, c’est en fait un chiffre considérable. Jusque-là, un point de vue dominait selon lequel la population africaine salariée était une élite travaillant dans le secteur public. C’est donc faux, grâce à la forte croissance économique au cours de cette dernière décennie », explique Patrick Belser.

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« Le rattrapage est en marche »

Comme partout ailleurs dans le monde, les salariés africains ont été affectés par la crise. « L’impact a été réel sur la croissance des rémunérations, avec une diminution des investissements, du tourisme et des transferts des migrants », détaille Patrick Belser. De 1,4 % en 2007, la hausse du salaire réel n’a été que de 0,5 % en 2008, avant de repartir à 2,4 % en 2009 sous l’effet d’une inflation plus faible que les années précédentes. Les rémunérations des salariés du continent « progresseront en 2010 grâce aux bonnes perspectives de croissance annoncées par le Fonds monétaire international », note l’expert du BIT.

Sur la décennie écoulée, les salaires ont augmenté de 16 %. Si la performance se situe en dessous de la moyenne mondiale (22 %), elle satisferait les salariés des pays occidentaux, dont la fiche de paie n’a progressé que de 5 % au cours de la même période. « Le phénomène de rattrapage est en marche », assure Patrick Belser. Des données qu’il faut néanmoins nuancer au regard de la difficulté à mesurer les revenus dans l’économie informelle, « où la stagnation semble être la norme », note le rapport.

Cette progression s’explique par la hausse soutenue de la productivité du travail, condition nécessaire à l’augmentation du nombre d’emplois et du niveau des salaires. La part du PIB par salarié est passée de 4 269 dollars en 2000 à 5 037 dollars en 2009 au sud du Sahara. Sur la même période, la part du salariat parmi les personnes qui ont un emploi a crû de 18 % à plus de 25 %. L’écart est colossal avec le Maghreb, où le niveau réel de production par salarié est considérablement plus élevé (16 182 dollars par an), et où 54 % des détenteurs d’un emploi sont salariés, contre 46 % en 1998. « Les économies du Maghreb sont plus développées, plus proches des consommateurs européens, le personnel est mieux formé et la productivité y est trois fois plus élevée que dans les pays d’Afrique subsaharienne », compare le rapport du BIT.

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Population urbaine

Mais même entre les pays au sud du Sahara, les disparités sont colossales. Le salariat représente moins de 10 % des personnes exerçant un emploi au Burkina Faso ou au Mali. Le chiffre grimpe à plus de 17 % au Sénégal et au Cameroun pour s’envoler dans les pays anglophones : Botswana (60,5 %), Namibie (72,9 %) et Afrique du Sud  (82,3 %). Sur le continent, les pays francophones ont d’une manière générale moins de salariés que les anglophones. « Les pays qui ont des économies très diversifiées, comme le Cap-Vert, le Kenya ou la Namibie, en comptent davantage que les autres. C’est vrai aussi pour ceux qui ont des activités minières, car celles-ci emploient beaucoup de main-d’œuvre. Ou bien pour ceux qui ont une industrie manufacturière développée tournée vers l’exportation : ils jouent sur le marché mondial et attirent des investissements industriels étrangers nécessitant également une importante main-d’œuvre, comme dans le textile ou la chaussure », explique l’expert du BIT. En outre, d’importants écarts existent entre hommes et femmes : les premiers comptent 31 % de salariés parmi ceux qui ont un emploi ; les secondes seulement 17 %. Autre constat, les salariés subsahariens sont d’abord urbains : ils représentent dans les villes 31 % des emplois occupés, contre 6 % dans les zones rurales.

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Surplus de main-d’oeuvre

L’Afrique a une carte à jouer sur la scène mondiale. Si les salaires africains ont augmenté ces dernières années, ils demeurent en deçà de ce qui se pratique dans les autres pays en développement, d’Asie ou d’Amérique latine. En Chine, par exemple, les rémunérations ont doublé en dix ans. Sans avoir les moyens de concurrencer « l’usine du monde », l’Afrique a une occasion à saisir pour se positionner sur la scène internationale dans des secteurs industriels exigeant une importante main-d’œuvre.

Mais avant cela, le continent doit surmonter plusieurs obstacles. Il n’échappe pas à la question qui taraude de nombreuses économies dans le monde : la croissance est-elle créatrice d’emplois ? « Si on peut être satisfait des progrès en matière d’emploi salarié, il ne faut pas oublier que le niveau de pauvreté reste très élevé », note le BIT. De plus, le document relève que l’augmentation de la productivité ne se traduit pas par une hausse des salaires dans une même proportion. « Avec le surplus de main-d’œuvre que connaît l’Afrique, le marché du recrutement peut fonctionner sans avoir à augmenter les rémunérations », explique Patrick Belser. Ce qui explique que le salaire minimum égyptien est l’un des plus bas d’Afrique, avec seulement 14 dollars par mois.

Or les gouvernements africains doivent faire face une explosion démographique. Elle nécessitera la création de dizaines de millions d’emplois. « Les pays sont devant un défi énorme, ils ne pourront faire l’économie de politiques salariales », considère Patrick Belser.

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