WikiLeaks : le business africain vu par Washington
Les câbles des ambassades américaines publiés par le site internet ne parlent pas que de politique. Ils s’attardent aussi sur les coulisses de l’économie, où s’activent lobbyistes peu scrupuleux et dirigeants corrompus.
Afrique : la bombe WikiLeaks
Si les télex dévoilés par WikiLeaks ne reflètent qu’une vision américaine de l’Afrique, ils mettent au moins en évidence les préoccupations, sinon les ambitions, de Washington. Pas de révélations tonitruantes, mais la confirmation, bien souvent, de faits supputés. Ou le fil « confidentiel » d’événements aujourd’hui connus, car relayés par la suite dans les médias, les câbles datant de une ou de plusieurs années. S’il est d’ailleurs une morale à toutes ces histoires, c’est que tout, ou presque, finit toujours par se savoir. Même en matière d’économie.
Pfizer : des méthodes peu diplomatiques
Les intérêts américains sont bien sûr au cœur des débats. Le premier laboratoire mondial, Pfizer, est l’objet de câbles échangés en 2009 entre l’ambassade de Lagos et Washington. Que le géant du médicament ait recouru à des tests sur des populations en Afrique, ce n’est plus un secret. Mais les méthodes utilisées par Pfizer pour se tirer d’affaire sont détaillées dans un câble diplomatique daté du 20 avril 2009. Il s’agit en l’occurrence de l’affaire du Trovan, un antibiotique expérimental utilisé en 1996 dans l’État de Kano lors d’une épidémie de méningite, et qui aurait provoqué la mort ou le handicap de plusieurs enfants. Aucune demande d’autorisation d’administration dudit médicament n’avait été faite auprès des parents.
La justice nigériane, saisie en 2007, demandait 2 milliards de dollars de dommages et intérêts. Recours à des enquêteurs pour fouiller le passé du ministre de la Justice, fuites dans les journaux d’affaires de corruption… Les méthodes peu diplomatiques de Pfizer font leur effet : le laboratoire ne déboursera finalement que 75 millions de dollars.
Shell : infiltrations à tous les étages
L’autre affaire nigériane dévoilée par WikiLeaks concerne le groupe pétrolier anglo-néerlandais Shell. En 2009, la vice-présidente pour l’Afrique de la compagnie, Ann Pickard, se plaint de l’insécurité grandissante en mer, qui fait grimper les coûts d’extraction de pétrole dans le Delta du Niger. Mais elle confie aussi, lors d’un entretien avec l’ambassadeur, avoir des discussions à tous les niveaux de l’État. Cela notamment dans le but d’obtenir des modifications du projet de loi sur le secteur pétrolier. L’un des points qui embarrassent la compagnie serait l’interdiction, dès 2010, du torchage des gaz extrêmement polluants issus de l’extraction, qui pourrait coûter à Shell 4 milliards de dollars d’investissement. Fin 2010, le torchage est toujours pratiqué : une victoire du lobby pétrolier ?
Dans ses discussions avec la vice-présidente de Shell, l’ambassade s’intéresse par ailleurs de près à la présence chinoise. Ann Pickard, peu inquiète, indique que le groupe pétrolier a des informateurs dans la plupart des ministères. Elle raconte avoir récupéré une lettre envoyée à une compagnie pétrolière chinoise dans laquelle l’État nigérian explique que l’offre pour un permis d’exploration ne serait pas assez bonne.
Chine : une présence étroitement surveillée
Ailleurs sur le continent, la Chine apparaît comme un partenaire potentiel des Américains. Dans une note en provenance de Nairobi, datée de février 2010, une coopération dans le domaine des infrastructures, et particulièrement sur le projet de port en eau profonde de Lamu, est évoquée. Une éventualité qui inquiète l’ambassadeur du Kenya en Chine, Julius Ole Sunkuli. Selon ses propos, cités dans un câble américain envoyé depuis Pékin, les Africains ont été déçus par des décennies d’hégémonie occidentale dans l’aide au développement, et l’arrivée de la Chine aurait rééquilibré la balance. Ainsi, des propositions d’infrastructures, attendues depuis des décennies, auraient fleuri. Pour Sunkuli, une coopération entre Européens, Américains et Chinois en Afrique pourrait modifier les pratiques chinoises et ralentir les projets.
Une série de télex en provenance des ambassades américaines au Kenya et en Angola apportent un autre éclairage. La présence de Pékin est « exponentielle », selon la note américaine. China National Offshore Oil Corporation, Shengli Engineering & Consulting Company, Sinohydro, China Wu Yi, TBEA International… Toutes les entreprises chinoises implantées sont scrutées, les investissements égrenés. Parfois, le futur partenaire est dénoncé pour ses pratiques. Comme pour l’attribution d’un marché d’équipement des services de renseignements kényans (NSIS) à l’opérateur chinois ZTE, obtenu grâce à des pots-de-vin, notamment des frais d’hôpitaux payés au directeur de la division des opérations du NSIS, Joseph Kamau, pour un total de 5 000 euros…
Corruption : pots-de-vin et "compensations"0, 0);">
La corruption tient une place importante dans la plupart des notes économiques. On y retrouve d’ailleurs le ministre nigérian de la Justice, Michael Aondoakaa, demandant à Shell un pot-de-vin de 20 millions de dollars pour signer un document : 2 millions immédiatement, 18 millions plus tard. Ann Pickard raconte, toujours en 2009, que les acheteurs de pétrole doivent systématiquement arroser le patron et le directeur général de la Nigerian National Petroleum Corporation, mais aussi la first lady d’alors, Turaï Yar’Adua, de millions de dollars pour chaque départ de cargo.
En Ouganda, les coulisses d’une bataille pour la prise de contrôle des permis d’exploration sur le lac Albert sont au cœur d’un câble daté de décembre 2009. Selon Tim O’Hanlon, vice-président Afrique du britannique Tullow Oil, détenteur des permis avec le canadien Heritage Oil, qui souhaitait vendre ses actifs, l’italien ENI aurait recouru à des « compensations » pour obtenir le soutien d’officiels ougandais, dont le ministre de l’Énergie Hilary Onek, et celui de la Sécurité, Amama Mbabazi. Aujourd’hui encore, l’affaire n’a pas trouvé d’issue, et la bataille se poursuit. Toujours en coulisses.
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