La téléphonie fera-t-elle sauter la banque ?

Le porte-monnaie mobile est promis à un bel avenir en Afrique. Une aubaine pour les opérateurs, qui en profitent pour fidéliser leurs abonnés et générer des profits. Seuls perdants : les établissements financiers.

Le simbox consiste à faire passer un appel international pour un appel local via l’internet. © Reuters

Le simbox consiste à faire passer un appel international pour un appel local via l’internet. © Reuters

Julien_Clemencot

Publié le 31 décembre 2010 Lecture : 5 minutes.

En matière de transfert d’argent ou de paiement des factures via téléphone mobile, les avis sont unanimes : « Safaricom est la plus belle des success stories, personne au monde n’a réussi pour le moment à l’égaler », reconnaît Mung-Ki Woo, directeur des services mobiles d’Orange. En trois ans, M-Pesa, l’offre de l’opérateur kényan, a conquis plus de 10 millions d’utilisateurs et servi à transférer près de 5 milliards d’euros. Rien qu’en 2009, le service a enregistré 670 millions de transactions et a représenté 9 % des revenus de Safaricom, filiale du britannique Vodafone.

Des chiffres qui donnent le tournis à la concurrence. Soumis à une compétition terrible sur le prix des services de base (voix et SMS), les opérateurs du continent voient dans les porte-monnaies mobiles une opportunité de fidéliser leurs abonnés et d’enrayer la baisse de leur rentabilité. « On change moins facilement de banque que d’opérateur », relève Jean-Michel Huet, du cabinet BearingPoint. Depuis deux ans, pas un mois ne se passe sans l’annonce d’un nouveau lancement, qu’il s’agisse de MTN, de Vodacom, de Bharti, de Tigo ou de Maroc Télécom. « Avant, on en parlait beaucoup, mais il y avait peu d’abonnés. Aujourd’hui le phénomène décolle », confie Mung-Ki Woo, dont l’offre Orange Money totalise plus de 1 million de clients dans cinq pays africains.

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« Cet engouement est simple à comprendre, explique Mehdi Ben Saïd, du cabinet Pyramid Research. En Afrique subsaharienne, moins de 10 % de la population est bancarisée, quand plus de 40 % possède un téléphone. » Les porte-monnaies mobiles seraient donc destinés à trouver leur public, car ils répondent à un véritable besoin, notamment en matière de transfert d’argent des villes vers les campagnes grâce à un simple SMS (voir ci-dessous).

Leurs atouts majeurs ? « Des formalités simplifiées pour les créer et des réseaux de points de vente très denses, y compris hors des grandes villes », souligne Jean-Michel Huet. Car si l’envoi de l’argent est dématérialisé, les dépôts et les retraits des montants transférés se font dans des boutiques agréées (épiceries, téléboutiques ou pharmacies). Rien qu’au Kenya, Safaricom compte près de 20 000 relais. Autant dire qu’il y en a un dans tous les villages ou presque.

Nouveau relais de croissance

Pour François Roger, directeur financier du groupe Tigo, ces services représentent sans nul doute un relais de croissance important pour les années à venir. L’opérateur luxembourgeois a d’ailleurs lancé il y a quelques mois ce type d’offre au Ghana et en Tanzanie. Un axe de développement qu’il entend explorer seul partout où les autorités rendront cela possible : « Nous ne souhaitons partager ni nos revenus ni notre base d’abonnés. » Et la compagnie ne s’interdit rien. Au point qu’elle envisage, en plus, la possibilité d’accorder de petits crédits à ses utilisateurs, toujours sans l’appui de partenaires financiers. « Nous proposons déjà des prêts de minutes de communication à nos abonnés quand ils ont épuisé leurs cartes prépayées. C’est un savoir-faire que nous possédons », justifie François Roger.

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Un discours qui passe mal chez les banquiers. Bien sûr, ils refusent de parler de menace ou de risque. Mais beaucoup enragent à l’idée de voir un marché considérable, composé notamment de consommateurs non bancarisés mais économiquement valorisables, leur passer sous le nez. Dans les pays francophones, les organismes financiers craignent que le régulateur accorde des agréments bancaires donnant la liberté aux opérateurs d’agir seuls. « Il n’est pas exclu de penser qu’un jour les sociétés de téléphonie pourront, en tant que lobby, solliciter un agrément direct », admet Ousseynou Sow, secrétaire exécutif du Club des dirigeants de banques et établissements de crédit d’Afrique.

Pour les institutions bancaires, toutes les occasions sont bonnes pour défendre leur rôle et leur savoir-faire. « Offrir des services financiers via le téléphone est une activité sensible, et l’expertise des banques en matière de conformité [lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme, etc., NDLR] permet de mieux minimiser les risques », rappelle Ismahill Diaby, responsable du développement commercial de la Bicici, filiale de BNP Paribas en Côte d’Ivoire.

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Face à l’offensive des télécoms, le secteur s’organise pour défendre ses intérêts. À preuve, la séance de travail organisée le 16 décembre à Dakar par le Groupement interbancaire monétique de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (GIM-UEMOA) afin que ses membres – une centaine de banques – arrêtent une position commune. « Notre souhait est de voir les porte-monnaies mobiles adossés à de véritables comptes bancaires, explique Blaise Ahouantchédé, directeur général du GIM-UEMOA. C’est le seul moyen, selon nous, de développer véritablement les services financiers [comme le crédit à la consommation ou la monétique] sur le continent. » En réaction aux projets des opérateurs, certaines banques ont décidé de déployer leur propre solution. C’est notamment le cas de la Société générale avec Yoban’tel, au Sénégal.

Logiques de partenariat

Reste que, pour le moment, la prise de pouvoir des opérateurs sur les services financiers par téléphone demeure une menace relative, car la plupart des compagnies de télécoms préfèrent travailler en partenariat avec les banques. C’est le cas d’Orange (BNP Paribas), de Maroc Télécom (Attijariwafa Bank), de MTN (Ecobank et la Société générale de banques en Côte d’Ivoire). « Il ne faut pas sous-estimer l’apport du partenaire bancaire dans la gestion des flux financiers », confirme Mung-Ki Woo, arguant que, sur ce marché, il y a encore suffisamment de place pour tous les acteurs.

Les banquiers doivent-ils se sentir rassurés ? Pas sûr. En Asie, certains groupes de téléphonie ont trouvé la parade aux obligations imposées par les régulateurs, en devenant actionnaires d’institutions financières. Ainsi en 2009, Globe Telecom a acquis avec la bénédiction de la Banque centrale philippine 40 % des parts de Pilipinas Savings Bank. Il y a deux mois, c’était au tour de China Mobile, premier opérateur au monde avec 550 millions d’abonnés, de prendre 20 % du capital de Shanghai Pudong Development Bank, contre un montant de plus de 4 milliards d’euros. Les télécoms gagnent du terrain.

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