Aoual Yaya Alioum : « L’équitation, c’est comme un art martial »
Son objectif : représenter le Cameroun dans l’épreuve de dressage des JO de Londres, en 2012. En attendant, c’est en France que s’entraîne le cavalier émérite.
L a première fois qu’il est monté sur un cheval, Aoual Yaya Alioum a eu peur. Très peur. C’était dans la concession de son oncle, à Garoua, dans le nord du Cameroun, à quelques kilomètres des frontières nigériane et tchadienne. Il devait avoir 7 ans, mais il n’a pas oublié « le barbe tout blanc, assez commun », qu’il avait enfourché. Un sourire aux lèvres, il se souvient des « cabrioles » de l’animal et de la selle à laquelle il s’est accroché fort. Très fort. Aujourd’hui, il a 37 ans. En 2012, si tout va bien, il deviendra le premier cavalier noir à participer à une épreuve de dressage aux Jeux olympiques (JO). Et si ça ne marche pas ? La voix est douce, mais ferme : « Ça marchera. »
Il part de loin pourtant, Alioum. Pendant des années, il n’a monté qu’épisodiquement, pendant les vacances. En France comme au Cameroun, « l’équitation, c’est un sport de riches et de Blancs ». Il avoue, certes, des origines aristocratiques, mais sa couleur de peau l’a toujours distingué. « Des comme moi, ici, on n’en voit pas beaucoup », résume-t-il.
Aoual yaya Alioum est Peul et, « chez les Peuls, il n’est pas rare de posséder un cheval. On le monte rarement, mais on le sort de temps en temps, pour les fantasias et les fêtes de la Tabaski ». Enfant, il grandit dans le quartier cossu de Bastos, à Yaoundé, part vivre à Douala, à Ngaoundéré et à Garoua avant de revenir à Douala. Il a 14 ans lorsque son père, administrateur dans la fonction publique, l’inscrit au club équestre de la ville. Lui qui n’a jamais eu que des notes moyennes apprend vite. Il rattrape facilement le niveau de ses camarades – « des Blancs, enfants d’expatriés pour la plupart ». Son premier cheval s’appelle Kilowatt (150 000 F CFA, payés par son père), mais « celui qui [lui] donne vraiment envie », c’est Chef : 1,60 m au garrot, un caractère de cochon et une belle robe baie. « Il mordait, il tapait, personne ne pouvait l’approcher, se souvient Alioum. Moi, j’ai réussi. C’est avec lui que j’ai commencé à penser que, peut-être, j’avais des aptitudes. » Mais pas un instant il n’imagine pouvoir en faire son métier. Il veut être pilote d’avion.
Les années passent. Les universités camerounaises se mettent en grève, Alioum est envoyé au Bénin puis au Burkina Faso (« Ouaga ? J’ai adoré ! ») pour étudier. Nous sommes dans les années 1990. Puis il rentre à Douala et, cette fois, c’est sûr, il veut être vétérinaire. Sauf que c’est un BTS d’assurance qu’il décroche, avant de faire des stages dans la banque et de travailler dans l’import-export auprès d’une de ses tantes. Parcours peu linéaire pour un grand jeune homme dégingandé. Alioum s’ennuie, achète chaque mois Cheval Magazine, se passionne pour le saut d’obstacles avant de se dire que mieux vaut commencer par apprendre la technique du dressage. Il lui faut une formation, un mentor. Alioum voit grand et fait son choix : ce sera Michel Henriquet, cavalier émérite et entraîneur renommé. Le fait qu’il soit installé dans les Yvelines, en France, n’est qu’un détail.
Le jeune homme lui écrit, le convainc de le prendre comme soigneur et de lui apprendre le métier. Il se souvient des regards intrigués, vaguement suspicieux, qu’on lui lance au consulat de France où il vient déposer sa demande de visa – les mêmes qu’on lui adressera, quelques années plus tard, à la préfecture de Versailles avant de lui délivrer un titre de séjour. Mais lui n’en a cure : il a 29 ans, débarque en France en plein hiver, grelotte pendant quelques semaines, va à la mosquée, écoute RFl et Africa no 1, et comprend vite que « l’équitation, c’est comme un art martial. Il faut sans cesse répéter et sans cesse recommencer ».
Alors, jour après jour, Alioum répète et recommence. Le Cameroun lui manque, bien sûr, mais « habiter en France, c’est le prix à payer. C’est tellement rare de vivre de sa passion ! » Depuis deux ans, il évolue au Haras de la Ferrandière (Haute-Normandie), sous l’œil attentif de la propriétaire des lieux, Odile Reynaud. « Aoual, explique-t-elle, manque parfois de rigueur. Parfois, il est tellement décontracté qu’il me stresse ! Mais il est très déterminé. » Suffisamment pour aller jusqu’aux JO en 2012 ? « Il a le mental, c’est sûr, et un talent fou. » Et l’argent ? « Envoyer un athlète aux JO, c’est 2 millions d’euros en deux ans. Il faut payer les meilleurs entraîneurs, le cheval, les soins, les déplacements à l’étranger, énumère Odile Reynaud. C’est une logistique très lourde et, pour tout cela, il faut des sponsors. »
En attendant, Alioum promène sa longue silhouette entre les boxes. Veste kaki, bottes noires, il s’entraîne plusieurs heures par jour. Il ne sait pas encore s’il ira à Londres avec son propre cheval, Vasco Van Het Lindenhof (« une vraie catapulte, pas une monture d’amateur »), mais entend bien se montrer dans les grandes compétitions internationales pour se préparer, bien sûr, mais aussi « pour habituer les juges ». Car, dans le milieu, Alioum est une petite révolution, même s’il dit n’avoir jamais été la cible de remarques racistes. « Au départ, les gens étaient amusés, mais j’ai su les convaincre par le sérieux et la qualité de mon travail. »
Sur Facebook, plusieurs de ses amis ont créé un groupe de soutien. Lui espère recevoir l’appui de la Fédération camerounaise des sports équestres et être invité par la Fédération équestre internationale, « mais, pour cela, il faut que les politiques se bougent ! » Ne serait-il pas plus simple de prendre la nationalité française ? « Ah non ! Je suis né au Cameroun et je suis camerounais. Je veux travailler pour mon pays et pour mon continent ! Ici, je fais ce que j’ai à faire et je donnerai tout ce qu’il faut, mais après je retournerai chez moi. » Pour l’instant, c’est sa famille qui lui rend visite. Il sait ses parents (son père surtout, devenu chef du village de Banyo, dans le centre-est du Cameroun) « très fiers ». « Mais être le premier Noir à percer, c’est aussi une grosse responsabilité. »
Il a encore en tête les images de ce nageur bissau-guinéen, envoyé aux JO de Sydney en 2000, et les rires des commentateurs. « Je ne veux pas faire sourire, poursuit-il. Je n’irai pas à Londres pour être la risée de tous. » Alioum jette un coup d’œil à sa montre et fait mine de se lever. Dans le petit bureau où il a accepté de répondre à nos questions, il se sent maintenant à l’étroit. Il a hâte de retourner à ses chevaux : « Je dois travailler et être sérieux, ne serait-ce que pour tous ceux qui viendront après moi, pour qu’eux aussi soient pris au sérieux. Je n’ai pas le droit de me gourer. »
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