WikiLeaks : brouillage sur la ligne

Révélés par WikiLeaks, les câbles et mémos adressés à Washington par les diplomates en poste à Ankara ne ménagent pas le gouvernement islamo-conservateur, accusé, entre autres, de liaisons dangereuses avec l’Iran.

Recep Tayyip Erdogan et Mahmoud Ahmadinejad à Téhéran, en octobre 2009. © Reuters

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Publié le 6 janvier 2011 Lecture : 3 minutes.

Afrique : la bombe WikiLeaks
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« Les ambitions d’une Rolls-Royce, avec les moyens d’une Rover. » C’est ainsi que James Jeffrey, l’ancien ambassadeur des États-Unis à Ankara, qualifiait, le 20 janvier, la nouvelle politique étrangère de la Turquie et son désir de jouer les facilitateurs dans la crise du nucléaire iranien. Les télégrammes – censés rester secrets – publiés sur le site WikiLeaks confirment l’irritation de Washington à l’égard de plusieurs initiatives turques, comme la visite à Ankara de cadres du Hamas, en 2006. En mai et juin derniers, la signature d’un accord avec le Brésil et l’Iran sur le nucléaire, puis le refus de la Turquie de voter des sanctions onusiennes, avaient été précédés d’une rencontre glaciale entre Barack Obama et Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre turc.

La realpolitik conçue par Ahmet Davutoglu, le chef de la diplomatie turque, fait donc depuis longtemps l’objet de mémos très précis. L’artisan du rapprochement avec un monde arabo-musulman (Syrie, Irak, Iran, Libye) naguère hostile à la Turquie n’est pas vu d’un très bon œil, jusque dans son propre camp. Cité dans un câble du 30 décembre 2004, Vecdi Gönül, son collègue de la Défense, le décrit comme « exceptionnellement dangereux ». Son « influence islamiste » ne contribue pas à modérer Erdogan, ajoutent les diplomates américains.

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Dans deux télégrammes (3 et 17 novembre 2009), ces derniers laissent éclater leur colère lorsque Erdogan qualifie de « ragots » les informations selon lesquelles Téhéran poursuit un programme nucléaire à des fins militaires. Lorsque, au même moment, le président Abdullah Gül – ami et rival d’Erdogan – appelle l’Iran à se plier aux inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), ils notent : « Nous devons faire comprendre à Gül et aux conseillers d’Erdogan qu’il est de leur intérêt de le refréner. »

« Pour les Turcs, la stabilité régionale est primordiale et une intervention militaire contre l’Iran serait le pire des scénarios, observe le consul général Dayton, le 4 décembre 2009. Que Téhéran possède l’arme nucléaire ne vient qu’au second rang de leurs inquiétudes. La position du gouvernement a le soutien de la population, dont un tiers, selon un sondage, pense que l’Iran n’attaquerait jamais un pays musulman ami. »

Parmi les raisons de ce rapprochement, Dayton mentionne le « vide régional », aucun pays ne faisant le poids face à l’Iran, et les intérêts économiques (le commerce bilatéral s’est élevé à 10 milliards de dollars [7,5 millions d’euros] en 2008, mais l’objectif de 20 milliards en 2012 est jugé « irréaliste »), parmi lesquels la dépendance énergétique d’Ankara vis-à-vis de Téhéran n’est pas l’un des moindres.

C’est justement dans ce domaine que les Américains demandent des comptes au gouvernement d’Erdogan. Plusieurs télégrammes accusent les Turcs de contourner les sanctions onusiennes et évoquent des livraisons ou des importations de matériaux sensibles et/ou militaires « susceptibles de nuire à [leur] relation, car ils peuvent être utilisés pour tuer ou blesser grièvement des soldats de la coalition en Irak ou en Afghanistan » (26 janvier et 22 février 2010).

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Un câble du 27 février 2009 intitulé « Les accords avec l’Iran profitent aux amis d’Erdogan » explique que, dans une coentre­prise de transport de gaz, le partenaire turc n’est autre que SOM Petrol, dont le patron est un ami d’enfance du Premier ministre – ils se sont connus sur les bancs d’un imam hatip [« école coranique »]. Dans un accord de fourniture d’électricité, l’Autorité turque de régulation des marchés aurait écarté l’entreprise Kartet au profit de Savk, dirigé par un autre proche d’Erdogan. Mais, concluent les Américains, la manœuvre a échoué, en partie parce que Téhéran « n’aime pas se voir imposer des partenaires économiques ».

La Turquie comprend-elle l’Iran mieux que les autres ? s’interroge Dayton, qui rapporte l’anecdote suivante : « Le 28 octobre [2009], quand Erdogan a rencontré Ali Khamenei, le Guide suprême a donné l’impression d’être dans une capsule spatiale. Il a posé des questions à côté de la plaque sur la politique étrangère turque, puis s’est montré passif et pas intéressé par le dossier du nucléaire. » Et le diplomate américain de conclure que si la Turquie multiplie les rencontres avec le président Mahmoud Ahmadinejad et ses rivaux présumés, c’est dans l’espoir de détecter quel homme ou quelle faction s’imposera, à terme, à Téhéran : « Ankara n’a pas plus de certitudes que nous et que nos alliés sur ce qui se passe dans les coulisses du pouvoir iranien. »

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