Barack contre Obama
Pour faire adopter certaines de ses réformes par un Congrès désormais hostile, le président a choisi la voie du compromis avec les républicains. Du coup, les démocrates « libéraux » hurlent à la trahison.
Pas facile de renier ses promesses ! Paralysé par le succès des républicains aux récentes législatives partielles, le président américain vire de bord et tente de préserver la classe moyenne, qui l’a porté à la Maison Blanche mais a rechigné à voter démocrate, en novembre. Sa volte-face en matière fiscale indigne son aile gauche, mais elle est paradoxalement de bon augure pour l’Amérique et… pour la réélection de Barack Obama en 2012.
Qu’est-ce qui a traumatisé le camp démocrate ? Que le président abandonne son projet de ne pas prolonger au-delà du 1er janvier 2011 les exonérations fiscales octroyées par son prédécesseur aux foyers gagnant plus de 250 000 dollars (185 000 euros) par an. Le 7 décembre, il a signé un compromis avec les républicains qui prolonge de deux ans ce cadeau fiscal, qui coûtera quelque 700 milliards de dollars au budget fédéral. Goutte d’eau qui a fait déborder le vase, il a accepté que les 6 400 familles les plus riches du pays profitent d’un taux d’imposition sur les successions plus avantageux.
« Trahison », se sont récriés les représentants démocrates. « Efficacité », leur a répondu Obama, qui a obtenu en échange la réduction des impôts pour les foyers touchant moins de 250 000 dollars. En cas de blocage républicain, ces derniers auraient dû payer, en moyenne, 3 000 dollars supplémentaires au titre de l’impôt sur le revenu. Le chef de l’exécutif a aussi fait accepter la prolongation de treize mois des indemnités des chômeurs en fin de droits, des avantages fiscaux pour les petites entreprises, des aides aux étudiants les moins fortunés, et l’engagement de revoir ce « paquet fiscal » dans deux ans.
Aux « idéalistes » de son camp qui brandissent la menace de présenter contre lui un candidat « libéral » en 2012, il tient un discours qui guidera sa politique dans les deux ans à venir : « Je suis toujours aussi opposé aux allègements d’impôts pour les riches. Nous ne pouvons pas nous le permettre, budgétairement. Lorsqu’ils arriveront à expiration, dans deux ans, je me battrai pour qu’ils ne soient pas reconduits. »
Malheureusement, il s’est révélé impossible de « faire bouger les républicains » sur la question de la baisse des impôts pour les riches, qui est un peu « leur Graal », le « cœur de leur doctrine économique ». Obama constate que ses adversaires ont « pris en otage » le peuple américain en refusant que la classe moyenne bénéficie de réductions d’impôts si les riches n’en profitaient pas. « Je sais qu’il est tentant de refuser de négocier avec les preneurs d’otages, explique-t-il, mais je ne voulais pas que la classe moyenne en souffre. »
Coup de pouce à la croissance
Autre avantage, ces réductions d’impôts vont permettre de « remettre de l’argent dans la poche des consommateurs » et constituent un coup de pouce à la croissance. Elles pourraient aussi contribuer à faire baisser le chômage (9,8 % actuellement). Répliquant aux « puristes » démocrates, Obama a rappelé que la création d’un système de retraite, commencée modestement avec l’instauration par Franklin Roosevelt d’une assurance pour les veuves, de même que sa propre réforme de la couverture maladie Medicare et son extension à 40 millions d’Américains, constituaient autant de « trahisons d’un idéal abstrait ». Mais, dit-il, « ce pays a été fondé sur le compromis ; si l’on ne pensait qu’en termes d’idéaux, il n’y aurait pas d’union ». Son « étoile polaire », qui lui dicte sa route dans sa quête du consensus ? « Ce qui aide le plus les Américains. » Sa mission ? « Tout faire pour relancer l’économie et les créations d’emplois. » Le 15 décembre, le Sénat a adopté le compromis que le président lui proposait.
À l’évidence, celui-ci a repris à son compte la méthode qui avait si bien réussi à Bill Clinton, dans les années 1990. Le coup semble jouable, comme le prouve le soutien que les caciques républicains, l’ancien président George Herbert Bush en tête, apportent à son projet de faire, avant Noël, adopter par le Congrès le traité Start, qui prévoit une nouvelle réduction des fusées et des ogives nucléaires américaines et russes.
Fin d’un tabou
Sur deux autres dossiers, il va devoir faire preuve de réalisme et de patience. D’abord, sur celui de l’homosexualité dans l’armée. Le 9 décembre, le Sénat a voté par 57 voix contre 40 la fin du tabou interdisant aux homosexuels de déclarer leur sensibilité « gay », ce qui a déjà conduit 14 000 d’entre eux à quitter l’armée. Mais il fallait 60 voix et un nouveau vote sera nécessaire. Obama devra donc s’assurer le ralliement de quelques sénateurs républicains.
Ensuite, sur celui de la fermeture du camp de Guantánamo, que la Chambre des représentants a, le 9 décembre, rendue impossible en interdisant au gouvernement d’utiliser des fonds budgétaires pour « transférer ou libérer sur le sol américain Khaled Cheikh Mohammed ou l’un des autres détenus ». L’administration voulait supprimer le camp et acheter une prison dans l’Illinois pour y enfermer les 174 prisonniers qui y restent. Hélas, le même texte interdit d’acheter « une prison dans le but d’y incarcérer toute personne détenue sur la base navale de Guantánamo ». Pourtant rien n’est encore joué.
Obama va devoir manœuvrer finement, reculer sur un texte pour en faire adopter un autre, décevoir ses troupes pour obliger les républicains à se rallier à ses objectifs, histoire d’apparaître in fine comme le vrai défenseur des Américains. Les Baoulés de Côte d’Ivoire ont inventé un joli proverbe pour vanter ces zigzags entre idéal et réalité : « Le chemin tortueux ne déforme pas la bassine que l’on porte sur la tête. »
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