Le temps des grandes manoeuvres

Pas sûr que l’élection présidentielle se tienne, comme prévu, en novembre 2011. Mais le pays vit déjà au rythme des ralliements et des défections annoncés.

Des partisans de l’opposant Étienne Tshisekedi. © AFP

Des partisans de l’opposant Étienne Tshisekedi. © AFP

Publié le 31 décembre 2010 Lecture : 5 minutes.

En cette fin 2010, le paysage politique congolais est entré en ébullition. Hasard ou réactions en cascade, majorité et opposition ont cumulé les annonces, meetings et discours… 2011, année électorale, a commencé avant l’heure.

Le 8 décembre, deux événements ont marqué le début des grandes manœuvres : le discours de politique générale du président Joseph Kabila, devant l’Assemblée nationale, et le retour au pays d’Étienne Tshisekedi, après trois années d’exil. Le premier était aussi solennel et parfaitement réglé que le second était populaire et brouillon. Dans son allocution, le chef de l’État a demandé à ce qu’on le juge sur ses actes, faisant un court bilan de ses quatre années de pouvoir, en tant que président élu, avant d’annoncer les réformes à venir.

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À quelques kilomètres de l’atmosphère feutrée de l’hémicycle, une foule dense et agitée s’était massée le long du boulevard Lumumba, allant de la commune de Limete à l’aéroport international de Ndjili, pour accueillir Étienne Tshisekedi. Annoncé en provenance de Bruxelles, puis d’Afrique du Sud, c’est finalement après une escale à Brazzaville que le leader historique de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) a atterri à Kinshasa.

Deux jours plus tard, il ouvrait le premier congrès de l’UDPS depuis sa création, en 1982. Premier objectif : resserrer les rangs. Comme souvent, en l’absence du chef, le parti a connu une crise profonde. Jusqu’au pied de la passerelle de l’avion qui ramenait le Sphinx de Limete au pays, les différentes mouvances se sont querellées. Tshisekedi a mis un terme aux polémiques en déclarant « une amnistie » et en demandant aux dissidents de reprendre le travail. Parmi eux, Me Jean-Joseph Mukendi, ancien conseiller du chef de l’UDPS, qui s’était fait remarquer, en 2009, en organisant un congrès du parti sans l’aval de son patron. Il tient aujourd’hui à prouver qu’il est rentré dans le rang : « Nous sommes là pour faire gagner notre parti et Étienne Tshisekedi, explique-t-il. L’UDPS est maintenant en ordre de bataille. » Tshisekedi a aussi reçu le soutien de Ne Muanda Nsemi, leader de Bundu Dia Mayala (parti politique lié à Bundu Dia Kongo, secte interdite et sévèrement réprimée en 2008). Cet appui, s’il se confirme, pourrait apporter à l’UDPS un vivier d’électeurs dans le Bas-Congo, la province où le mouvement est implanté.

Originaire du Kasaï, Étienne Tshisekedi a gardé, malgré sa longue absence, son âge – 78 ans –, et sa santé fragile, une forte notoriété à Kinshasa. Mais pour faire le poids lors de la prochaine présidentielle, il lui faudra trouver des alliés hors de la capitale.

Ce sera peut-être Vital Kamerhe. L’ex-président de l’Assemblée nationale, contraint à la démission en mars 2009 et dont on annonçait, depuis des mois, l’arrivée dans l’opposition, est enfin sorti du bois. Le 14 décembre, à l’heure où l’UDPS terminait ses travaux, il annonçait son départ du parti présidentiel (Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, PPRD), sa démission de son poste de député et la création de sa propre formation, l’Union pour la nation congolaise (UNC)… Le tout lors d’une « conférence de presse » à laquelle ont assisté plus de 3 000 personnes. « Si j’avais parlé de meeting, nous n’aurions pas obtenu l’autorisation », explique-t-il.

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Dans un discours très critique envers le pouvoir en place, dont il fustige l’inaction et la corruption, Vital Kamerhe a surtout voulu convaincre de sa sincérité. D’aucuns le soupçonnaient encore d’être un leurre et– malgré les démentis véhéments de l’intéressé – de travailler en douce pour le président Kabila. Mais les incidents survenus lors de sa visite à Goma (Nord-Kivu), le 15 décembre, et les échauffourées qui ont opposé ses partisans à des militants du PPRD marquent définitivement la rupture.

Versatilité politique

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Il revendique pour le moment une bonne dizaine de ralliements parmi les députés qui siègent à l’Assemblée sous la bannière du PPRD. Très populaire dans son fief de Bukavu (chef-lieu de la province du Sud-Kivu), il a été un des artisans de la large victoire de Joseph Kabila dans les provinces de l’Est, en 2006. Son retrait du PPRD, ajouté à la défiance de populations auxquelles on avait promis une paix qui tarde à s’installer, est un revers pour le pouvoir.

Une alliance entre le Mouvement de libération du Congo (MLC, bien implanté dans la province de l’Équateur et à Kinshasa), l’UDPS (bien implanté, lui, à Kinshasa et dans le Kasaï) et l’UNC (dont les relais sont solides dans le Sud-Kivu) serait un coup dur pour le président Kabila. Mais il connaît la versatilité du personnel politique congolais. D’ici aux élections, la vie politique locale pourrait encore réserver des surprises.

On s’agite également dans le camp présidentiel. La majorité a enregistré plusieurs ralliements, dont celui du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP). Le ministre de la Décentralisation, Antipas Mbusa Nyamwisi, leader du Rassemblement congolais pour la démocratie-Kisangani/Mouvement de libération (RCD-K/ML), dont le fief est à Beni (Nord-Kivu), a lui aussi réaffirmé son soutien au chef de l’État.

L’élection présidentielle verra donc au moins trois prétendants de poids : Joseph Kabila, Vital Kamerhe et Étienne Tshisekedi. Reste l’inconnu du MLC. Son chef, Jean-Pierre Bemba, est actuellement jugé à La Haye pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par ses troupes en Centrafrique en 2002 et 2003. Même s’il peut toujours, en théorie, se présenter à l’élection, il est peu probable qu’il soit disponible et lavé de tout soupçon avant le début de la campagne. Son soutien n’en est que plus convoité : s’en prévaloir pourrait permettre d’emporter Kinshasa, où la bataille s’annonce délicate (l’ex-Premier ministre, Antoine Gizenga, allié au président Kabila, y compte lui aussi de nombreux partisans). Vital Kamerhe a donc rendu visite à Bemba en prison, en août. Quant à Tshisekedi, il a reçu à son domicile Fidèle Babala, son ancien directeur de cabinet.

Qui mènera le MLC à la présidentielle ? François Muamba, secrétaire général du parti, peut-il endosser le costume ? Le MLC choisira-t-il de ne pas présenter de candidat et de s’allier avec un Tshisekedi ou un Kamerhe ? Les inconnues sont nombreuses. Les uns et les autres se consultent et se jaugent, mais il reste encore quelques mois avant que les alliances ne soient officielles.

À Kinshasa, nombreux sont ceux qui parient sur un report du premier tour, officiellement prévu en novembre 2011. Premier obstacle à l’avancée des préparatifs : la mise en place de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Pouvoir et opposition se reprochent mutuellement d’avoir désigné des représentants trop marqués politiquement. La majorité récuse le député MLC et l’opposition s’offusque de la nomination du pasteur Daniel Ngoyi Mulunda Nyanga. Pressenti pour être le président de la Ceni, il distribuait, il y a encore quelques mois, des cartes de visite qui le désignaient comme « conseiller spirituel » du chef de l’État. Pas sûr, dans ces conditions, que la communauté internationale accepte de financer un processus qui n’offre pas de garantie de transparence. Une communauté internationale à laquelle il a tout de même été demandé de contribuer à hauteur de 266 millions de dollars.

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