Les aléas de la dissidence

Les apparences sont parfois trompeuses. Si le sinueux Idrissa Seck multiplie les allers-retours, le fidèle Macky Sall a pris le large.

Idrissa Seck et Macky Sall. © AFP/Jacques Torregano pour J.A./Montage J.A.

Idrissa Seck et Macky Sall. © AFP/Jacques Torregano pour J.A./Montage J.A.

Publié le 6 janvier 2011 Lecture : 5 minutes.

Face aux Wade, qui ?
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Face aux Wade, qui ?

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Idrissa Seck et Macky Sall n’ont pas grand-chose en commun. À 51 ans, le premier, qui se présente déjà comme « le quatrième président » du Sénégal, est un tribun hors pair, presque trop sûr de lui. C’est un coutumier des coups d’éclat et des déclarations ravageuses. Plus jeune de deux ans, le second, au contraire, est longtemps passé pour un lieutenant fidèle. Effacé. Presque trop timide. Ils ont cependant deux points en commun. Le premier est Abdoulaye Wade, dont ils ont été, un temps, le numéro deux. Le deuxième est d’avoir tous deux trompé leur monde à l’approche de la présidentielle de 2012 en optant pour deux stratégies qui ne correspondent pas à l’image qu’ils se sont façonnée.

On pouvait penser de Seck qu’il la jouerait en solo et qu’il se présenterait comme la seule alternative crédible à Abdoulaye Wade, comme en 2007. Mais celui qui est tombé en disgrâce en 2004, qui a mis en scène une réconciliation d’opérette à la veille du premier tour du scrutin il y a trois ans puis a rejoint furtivement les rangs de l’opposition, est finalement revenu au bercail début 2009. Aujourd’hui, il fait le pari de l’héritage au sein du Parti démocratique sénégalais (PDS). Logique, pour celui qui s’est toujours présenté comme le « fils politique » de Wade, en opposition au « fils biologique », Karim.

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« Idrissa estime qu’il ne pourra l’emporter qu’en étant au sein de la machine libérale », indique un de ses compagnons de route. Le PDS est, avec le Parti socialiste (PS), le seul mouvement politique implanté dans l’ensemble du pays, rappelle le politologue Babacar Justin Ndiaye. C’est, après dix années au pouvoir, une machine à gagner les élections.

Les ennemis de Seck

Mais le pari est risqué. Avant de convaincre les électeurs, il lui faudra gagner une formation méfiante et divisée. Au sein du PDS, nombreux sont ceux qui n’ont pas avalé la couleuvre de son retour. « Il a dit trop de choses quand il était dans l’opposition. On ne peut pas lui pardonner », indique un cadre du parti. « Il s’est fait beaucoup d’ennemis, car c’est quelqu’un de cassant et de suffisant », note un observateur indépendant. « Il tente de recoller les morceaux, mais c’est compliqué. Il a face à lui la famille du président – sa femme et son fils n’en veulent pas –, mais aussi le ministre de l’Intérieur [Ousmane Ngom, lui aussi tombé en disgrâce avant de retrouver la confiance du président, NDLR] et celui de la Justice [Cheikh Tidiane Sy]. »

C’est autour de Karim que les avis sont les plus tranchés. Il arrive au ministre d’État de rendre visite aux opposants Moustapha Niasse et Amath Dansokho ; il aurait même gardé des liens d’amitié avec Macky Sall, affirme l’entourage de ce dernier – ils se sont notamment vus le jour de la Korité (la fin du ramadan), en septembre. En revanche, le dialogue est rompu avec Seck.

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Attaquer le « père »

L’opposition de plus en plus ouverte de l’ancien Premier ministre à une nouvelle candidature de Wade en 2012 n’a pas arrangé les choses. En reprenant le principal argument des opposants selon lequel cette candidature irait à l’encontre de la Constitution, Seck « est allé trop loin », estime un observateur indépendant. « Quand il s’en prenait à Karim, cela passait. Mais en attaquant frontalement le père, il s’est tiré une balle dans le pied. » Le 10 décembre, le comité directeur du PDS a demandé au conseil de discipline de prononcer son exclusion. « Le seul et unique candidat du parti pour les élections prochaines, c’est maître Abdoulaye Wade. Quiconque conteste cette décision devrait subir des sanctions disciplinaires », expliquait alors Mamadou Lamine Ba, l’un des membres de cette instance.

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Le maire de Thiès est-il allé trop loin ? « Seck considère qu’il est un actionnaire du PDS, juste après Wade, et que sa revendication est légitime, explique M. Ndiaye, le politologue. S’il se fait exclure du parti, il continuera de revendiquer son appartenance à la famille libérale, et des pans entiers du PDS pourraient le rejoindre. »

Mais s’il dispose d’un certain poids dans le parti, « ses revirements incessants l’ont décrédibilisé au sein de la population », estime un journaliste. Dans les récents sondages réalisés par deux cabinets de la place (Bâ Djibril & Associés et Moubarak Lô), à Dakar et dans sa banlieue, il est loin des premiers, avec des intentions de vote d’à peine 5 %. Celui qui passait pour le plus talentueux de sa génération est désormais un outsider comme les autres.

On ne peut pas en dire autant de Macky Sall. L’ancien Premier ministre, lui aussi banni en 2007 – après avoir convoqué Karim Wade à l’Assemblée nationale afin qu’il s’explique sur les travaux de l’Agence nationale de l’organisation de la conférence islamique (Anoci) –, surfe sur le sondage Moubarak Lô, qui le donne deuxième au premier tour, meilleur candidat de l’opposition, et, surtout, devant Abdoulaye Wade en cas de tête-à-tête. Brisant son image d’éternel second, il a surpris son monde en coupant les ponts avec la famille libérale. « Le divorce est consommé. Un retour est impossible », jure aujourd’hui le président de l’Alliance pour la république (APR). « Je souhaite au contraire que les partisans du PDS me rejoignent. » Un appel qui ne laisse pas insensible : « Il est sérieux et il a su se faire un nom auprès des Sénégalais », juge un cadre du parti libéral.

Le potentiel de Macky

« Macky a le potentiel, mais son parti n’est pas assez présent sur le terrain », estime un membre de l’alliance de l’opposition, Benno Siggil Sénégal (BSS), à laquelle l’APR adhère. « Seul, il ne pourra pas l’emporter. En revanche, il peut faire perdre le PDS. On l’a vu en 2009 lors des élections locales : sa défection a fait très mal au parti », rappelle M. Ndiaye.

Au PDS justement, certains n’ont pas perdu espoir de le récupérer. En coulisses, des émissaires des deux camps se rencontrent pour tenter de rapprocher Wade et son ancien Premier ministre. Mais Sall, inflexible, a compris que son intérêt se trouve au sein du BSS. S’il n’est pas en totale adéquation avec la plateforme politique élaborée en 2009 par Benno (notamment sur la question du régime, qu’il veut présidentiel), il entend faire la différence en distançant les autres leaders de l’opposition : Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse, notamment. Celui qui a déjà déclaré sa candidature est persuadé qu’il sera au second tour face à Wade et espère pouvoir compter, alors, sur leur soutien. Il jouit pour cela d’un atout rare en politique : personne, qu’il se trouve au PDS ou au Parti socialiste, ne le hait.

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