Transrail tire la sonnette d’alarme
Incapable de moderniser le réseau ferré en raison de son endettement, le concessionnaire du couloir Dakar-Bamako va mal. L’entreprise prépare un plan de relance avec ses actionnaires : le groupe Advens et les deux États.
Le corridor ferroviaire qui relie Dakar à Bamako n’en finit pas de dérailler. « Transrail va mal », lâche Jean-Jacques Chatou, l’un des administrateurs du groupe agroalimentaire Advens (dirigé par l’homme d’affaires franco-sénégalais Abbas Jaber), actionnaire à 51 % de Transrail, la société concessionnaire de la liaison ferroviaire entre le Sénégal et le Mali depuis 2007. Les États malien et sénégalais figurent aussi au capital de l’entreprise, avec environ 10 % du capital chacun.
Avec un chiffre d’affaires de 17 milliards de F CFA (25,9 millions d’euros) et un endettement de 12 milliards de F CFA, Transrail vit des instants périlleux, alors que le corridor pourrait profiter à plein des difficultés de la Côte d’Ivoire et supplanter largement l’axe Abidjan-Bamako. Gérée au quotidien par l’opérateur ferroviaire Vecturis, la société est placée sous règlement préventif depuis août 2009. Cette disposition du droit malien, pays où réside Transrail, place une entreprise en difficulté à l’abri de ses créanciers le temps qu’elle trouve, en trois mois au plus, une solution pour rebondir.
Situation inchangée dix-huit mois plus tard. Toutefois, l’expert judiciaire, Abderamane Touré, président de la Chambre des experts-comptables du Mali, devait remettre au tribunal de commerce de Bamako, avant la fin de l’année, son rapport sur les chances de redressement de Transrail. Fin de partie ? « Personne n’a intérêt à ce que Transrail s’arrête. Et il ne faudrait pas grand-chose pour repartir », tempère Jean-Jacques Chatou.
La privatisation des 1 228 km de la ligne, en 2003, n’a pas changé la donne : les marchandises se traînent. « Transrail nous promet d’évacuer nos marchandises plus vite et à moindre coût, or ce n’est ni l’un ni l’autre ! Alors on se rabat sur le transport routier, qui charge de moins grandes quantités et pour beaucoup plus cher », tempête Ousmane Babalaye Daou, président du Conseil malien des chargeurs.
Les faits sont là. Selon le ministère malien des Transports, 270 152 tonnes de fret ont transité par rail en 2009 dans le pays. De son côté, Transrail affirme transporter 400 000 t par an. Il n’empêche : la route gagne pour l’instant la bataille du fret. L’an passé, les poids lourds ont transporté 1,35 million de tonnes. « Ils respectent rarement la réglementation sur le temps de conduite ou la charge par essieu », dénonce Éric Peiffer, directeur général de Vecturis.
Rendez-vous manqués
Mais cette mainmise de la route est davantage la conséquence des dysfonctionnements qui frappent Transrail, avec une succession de rendez-vous manqués et d’engagements non tenus. L’ancien actionnaire de référence entre 2003 et 2006, le canadien Canac, a été condamné par la justice en 2010 pour avoir siphonné les comptes de Transrail (3 milliards de F CFA). Les États du Mali et du Sénégal ainsi que des entreprises publiques – Société d’exploitation du ferroviaire des industries chimiques du Sénégal (Sefics), Compagnie malienne pour le développement des textiles (CMDT) – cumulent des arriérés de 9,7 milliards de F CFA. « Le défaut de paiement de ces dettes, dont certaines remontent à 2003, place la société dans des tensions de trésorerie permanentes et la conduisent vers la cessation de paiement », observe une note interne du 30 septembre. Si Dakar a fait un geste pour combler une partie de ses dettes en 2008, ce n’est que dans les prochaines semaines que le Mali devrait signer son premier chèque depuis 2003 pour acquitter un arriéré de la CMDT de 1,2 milliard de F CFA.
Alors que les deux États s’étaient engagés en 2007 à mettre un terme à la double imposition qui frappe la société concessionnaire, la décision attend toujours son application. Ce qui coûte de 600 millions à 1 milliard de F CFA par an à Transrail. En outre, des actionnaires se sont défaussés : en 2007, des investisseurs privés maliens devaient mobiliser 1 milliard de F CFA pour prendre 10 % du capital de la société de concession ; moins de 400 millions ont été souscrits. De même, le personnel devait acquérir jusqu’à 9 % du capital, grâce à un financement de l’État malien de 900 millions de F CFA, qui n’est toujours pas intervenu.
Du côté d’Advens, le groupe doit procéder à une augmentation de 1 milliard de F CFA qu’il reporte tant que les États n’ont pas payé leurs arriérés. Et le groupe de mettre en avant le travail de réorganisation de l’entreprise et d’assainissement de la gestion conduits depuis 2007. « À la différence du précédent concessionnaire, Advens n’a d’ailleurs effectué aucun prélèvement dans les caisses de Transrail depuis son entrée au capital », précise Eric Peiffer.
Le réseau se dégrade
Résultat ? Le capital social de Transrail est négatif depuis le 31 décembre 2009 (– 3,1 milliards de F CFA). D’où l’urgence d’une recapitalisation. « La non-reconstitution d’un fonds de roulement, cumulé aux tensions de trésorerie résultant d’un endettement à court terme, entraîne Transrail dans la spirale irrémédiable de la baisse du chiffre d’affaires résultant d’un outil de production insuffisamment entretenu », constate la note du 30 septembre.
Bref, une spirale infernale. Comme les actionnaires ne tiennent pas leurs engagements et que les principaux clients ne paient pas leurs factures, l’entreprise n’a plus les moyens d’entretenir et de moderniser la ligne Dakar-Bamako. Le réseau se dégrade, les clients s’en détournent, moins de moyens sont engagés pour l’entretien… Un plan de relance de 140 milliards de F CFA sur dix ans a été présenté par Vecturis en août 2009 : il n’a pas encore été adopté.
Pendant ce temps, des rails cassent tous les jours sur des tronçons vieux de plus de 70 ans. Le matériel n’est pas plus flamboyant. Sur 20 locomotives, une douzaine fonctionnent. Même si les déraillements sont tombés de 20 par mois en 2007 à 10 aujourd’hui, le bilan est inquiétant. Dans une étude de décembre 2009 commanditée par le Mali et le Sénégal, le cabinet Deloitte France résume l’impossible équation que doit résoudre Transrail : « On conçoit aisément qu’une activité générant un chiffre d’affaires de l’ordre de 20 milliards de F CFA, avec une rentabilité souvent proche de 5 %, peut difficilement financer des investissements s’élevant à près de 200 milliards de F CFA. » Comme en France avec la SNCF qui assure la partie commerciale et Réseau ferré de France (RFF) pour gérer les infrastructures, Deloitte propose que Transrail gère le business et que les investissements d’infrastructures soient financés par les États avec l’appui des bailleurs de fonds.
Pour sortir de l’impasse, le 13 décembre, les actionnaires et le gestionnaire Vecturis ont retrouvé les principaux créanciers au siège de l’Agence française de développement (AFD), à Paris. Parmi ces derniers, Total Sénégal, Total Mali, des groupes d’assurances… La rencontre devait déboucher sur un plan d’apurement des dettes sur deux à cinq ans. Une deuxième réunion est prévue dans les semaines à venir, à Paris, avec autour de la table les bailleurs de fonds (Banque mondiale, Banque ouest-africaine de développement, AFD…). Signe que le dossier est « brulant », la réunion se déroulera en présence du nouveau directeur général et numéro 2 de l’AFD, Didier Mercier.
Pour Advens, la ligne Dakar-Bamako demeure un élément clé de sa stratégie régionale. Le groupe est notamment en piste pour la privatisation de la CMDT – les offres sont à déposer avant la fin de l’année. La maîtrise du transport du coton vers le port de Dakar est donc l’un des enjeux importants. Le groupe a d’ailleurs confirmé sa volonté de continuer à investir dans l’entreprise et d’accueillir de nouveaux partenaires le cas échéant. Enfin, si les grands projets miniers maliens se concrétisent (alumine et bauxite pour Camec, fer pour Arcelor Mittal), ce n’est plus un potentiel de 1,2 million de tonnes par an à transporter par le rail, mais de 10 à 20 millions de tonnes. En dehors d’une ardoise faramineuse, Transrail aurait-il tout pour plaire ?
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