Gestion de l’eau : une activité en quête de limpidité
Alors que l’accès à l’eau laisse à désirer, les opérateurs privés s’interrogent sur le modèle approprié pour intervenir en Afrique. Instabilité des contrats de concession, frilosité des géants français, émergence de nouveaux acteurs… Le secteur se cherche encore.
La colère gronde dans les faubourgs de Libreville. Depuis un an, les coupures d’eau se multiplient dans les quartiers populaires comme Gros-Bouquet ou Kinguélé. De même à Port-Gentil, en juin, l’eau courante puisée à l’embouchure de l’Ogooué est devenue saumâtre et la distribution a été stoppée cinq jours. En cause : la saison sèche, qui a abaissé le niveau des cours d’eau, mais pas seulement. Derrière ces coupures se cachent aussi les désaccords entre l’État et le concessionnaire du réseau, la Société d’énergie et d’eau du Gabon (Seeg), 240 millions d’euros de chiffre d’affaires (CA), filiale à 51 % du français Veolia.
Le leader mondial de l’eau (12,5 milliards d’euros de CA, dont 8,5 % sur la zone Afrique et Moyen-Orient) se dit abandonné par le gouvernement. Selon Patrick Fonlladosa, délégué Afrique et Moyen-Orient de Veolia Environnement, « de 1997 à 2009, l’État n’a pas mis un franc CFA dans les infrastructures durables [amortissables au-delà de la durée du contrat, soit vingt ans, NDLR], dont il a la responsabilité selon les termes de la convention. Nos obligations contractuelles prévoyaient une enveloppe de 457 millions d’euros sur toute la durée de la concession [eau et électricité], pour nos propres investissements de renouvellement, de maintenance et d’extension. Un chiffre basé sur les prévisions de la Banque mondiale. Or ces dernières se sont révélées bien en deçà de la réalité. La croissance annuelle de la demande a été non pas de 4 % comme prévu, mais de 8 %. Il y a eu de nombreuses extensions urbaines anarchiques, notamment sur les hauteurs, donc difficiles à servir. À ce jour, nous avons déjà investi 396 millions d’euros pour faire face, mais le secteur a besoin de l’appui financier de l’État ». Un appui qui s’élèverait à plusieurs centaines de millions d’euros.
« Ces affirmations n’engagent que Veolia », rétorque Régis Immongault, le ministre de l’Énergie, pour qui le rapport d’audit technique et financier de la Seeg, commandé par le président Ali Bongo Ondimba, spécifiera les manquements des différentes parties, mais « il n’a pas pour objectif la déchéance de la concession en cours ». « Ce sera au président de prendre les mesures nécessaires. »
« Nous ne sommes pas inquiets quant à l’issue de cet audit. Il aura le mérite de mettre chacun devant ses responsabilités », indique Patrice Fonlladosa, persuadé que son groupe conservera la concession jusqu’à la fin du contrat (2017). Les conclusions finales de l’audit doivent être remises le 16 décembre. Par ailleurs, début novembre, la Seeg a connu plusieurs jours de grève.
Contrats sur la sellette
Les mésaventures de Veolia au Gabon sont suivies avec attention par les entreprises du secteur. Car si ce conflit est médiatique, il n’est pas un cas isolé : l’Office national de l’eau potable (Onep, marocain), qui a pris le contrôle de la Camerounaise des eaux en 2008, se trouve en difficulté pour répondre à la demande urbaine en matière de distribution, alors que la production est entre les mains de la société publique Camwater. À Yaoundé, les besoins journaliers sont de 180 000 m3 pour une capacité de production de 100 000 m3, et les coupures se multiplient. En Algérie, ce sont les contrats de l’allemand Gelsenwasser à Annaba et de la Marseillaise des eaux à Constantine qui sont sur la sellette : le gouvernement fait procéder à des audits et envisage de les réviser.
Alors même que la Banque africaine de développement épingle dans son rapport du 22 novembre la mauvaise gouvernance des réseaux d’eau, les entreprises du secteur s’interrogent sur les meilleurs dispositifs. Si de bons élèves émergent du rapport, notamment des sociétés publiques, le constat dressé est globalement sombre. Un pays comme la RD Congo, doté de riches bassins, n’offre l’eau potable qu’à 46 % de sa population et n’a pas de réelle stratégie en la matière. Partout, l’urbanisation mal maîtrisée entraîne un accroissement des difficultés pour les sociétés qui se lancent dans des concessions (délégation de service public, investissements compris) et même dans des contrats d’affermage (investissements non compris).
L’accès à l’eau courante dans les villes africaines est passé de 50 % de la population en 1995… à 39 % en 2005. Et en l’absence de raccordement au réseau, l’eau coûte entre deux et dix fois plus cher par le secteur informel (porteurs d’eau et revendeurs). Pour remédier à cette carence, seuls 10 % des pays ont réussi à attirer des investisseurs privés, mais avec un taux d’échec très élevé, allant jusqu’à 50 % pour les concessions, selon la Banque mondiale.
Face à cette situation peu engageante, les stratégies sont variées. Le français Suez Environnement adopte une position prudente. Il gère depuis 1997 la distribution de l’eau, l’assainissement et l’électricité à Casablanca (via sa filiale Lydec, 482 millions de CA), et a signé en 2005 un contrat de management (gestion et formation) auprès de la Société des eaux et de l’assainissement d’Alger (Seaal), d’un montant de 120 millions d’euros sur cinq ans. La filiale industrielle de Suez Environnement, Degrémont, a aussi décroché de beaux marchés, notamment les usines de traitement des eaux usées du Caire et d’Alger (68 millions d’euros). Néanmoins, malgré ces contrats menés en bonne entente avec les autorités, il se dit aujourd’hui réservé sur des projets à gros investissements, notamment au sud du Sahara. « Le modèle de la concession est risqué, mais nous sommes attentifs aux opportunités. Nous pourrions par exemple signer des contrats de management », affirme Alexandre Brailowsky, directeur de l’ingénierie sociétale.
De son côté, Veolia se dit plus offensif : « Les problèmes de gouvernance ne sont pas circonscrits à l’Afrique et nous avons l’habitude d’y faire face. Ce qu’il faut, ce sont des contrats bien pensés, du sur-mesure. Il est possible de monter de bons projets s’il y a derrière une forte volonté politique et des bailleurs de fonds », assure le patron de Veolia Afrique, prenant en exemple le contrat de partenariat du groupe au Niger (1,6 million d’habitants desservis) : « La relation avec les partenaires dans ce pays dit difficile est excellente depuis la signature du contrat en 2002. » Au Maghreb, où il gère les concessions de Tanger-Tétouan (filiale Amendis) et de Rabat (Redal) depuis 2002, le groupe poursuit son expansion avec la réalisation des conduites d’eau potable des villes de la région de Marrakech (Sade).
Les Chinois ne sont pas loin
Derrière les mastodontes français, des groupes africains plus modestes commencent à percer : « L’Onep fait ses armes au Cameroun. Malgré les difficultés qu’il y rencontre, il pourrait devenir à terme un concurrent sérieux », juge Patrice Fonlladosa, tout de même dépité de s’être fait souffler le marché. Le groupe marocain participe aussi à des contrats d’assistance technique et de formation à Nouakchott et à Conakry.
De son côté, Finagestion, qui regroupe les anciennes filiales de Bouygues (Société des eaux de Côte d’Ivoire, Sénégalaise des eaux…), a aussi des ambitions. « Le secteur des utilities offre un couple risque-rendement intéressant », indiquait en 2009 Vincent Le Guennou, patron du fonds Emerging Capital Partners, majoritaire dans Finagestion.
Derrière, les Chinois ne sont pas loin. Pas encore sur des concessions d’eau, mais déjà sur les infrastructures : à Brazzaville, Degrémont Chine s’est ainsi associé avec China National Machinery Equipment Import & Export pour construire l’usine de traitement des eaux de Djiri. « Nous avons une longueur d’avance sur le volet gestion, car les Chinois ne sont pas prêts à s’engager sur la durée. Mais sur les installations, il nous est difficile de rivaliser, car les contrats chinois s’insèrent dans des échanges “matières premières contre infrastructures” », note Patrice Fonlladosa.
Offensive chinoise, nouveaux acteurs africains, frilosité des géants français, instabilité contractuelle… Le secteur de l’eau se cherche encore. Il n’y a pas de recette miracle, comme le prouve la diversité des montages qui ont fonctionné, mais il faudra bien que les États, qui rechignent à recourir aux bailleurs de fonds en raison de conditionnalités jugées abusives, et les entreprises, pas toujours prêtes à prendre des risques, fassent preuve d’inventivité et de responsabilité pour répondre aux besoins criants des populations.
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