Odyssée électorale en vue en 2011

Législatives en février, présidentielle en avril, locales en juin : le prochain semestre sera un véritable marathon élecoral. Dans le contexte actuel d’ouverture, rien ne semble joué.

Lol Mahamat Choua (à g.), de l’opposition tchadienne (RDP), ici avec Idriss Déby Itno. © AFP

Lol Mahamat Choua (à g.), de l’opposition tchadienne (RDP), ici avec Idriss Déby Itno. © AFP

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Publié le 27 décembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Tchad : nouvelle ère ?
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Tchad : nouvelle ère ?

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L’enjeu de 2011 est triple. Premières échéances du calendrier adopté le 9 octobre dernier par les partis politiques du Tchad lors d’une réunion avec le chef de l’État, les législatives du 6 février. Elles vont permettre d’enfin renouveler l’Assemblée nationale, dont les membres actuels, élus en 2002, ont vu leur mandat de cinq ans prorogé, en 2007, dans le cadre de l’accord politique.

C’est l’occasion pour les partis de l’opposition de savoir s’ils peuvent arracher quelques sièges au Mouvement patriotique du salut (MPS, au pouvoir) et à ses alliés – le MPS détenant une écrasante majorité à l’Assemblée, avec 113 députés sur 155. La présidentielle, dont le premier tour a été fixé le 3 avril, permettra de voir ce que pèsent les principaux chefs de file de l’opposition, entre eux tout d’abord, et par rapport à Idriss Déby Itno.

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Enfin, les locales, fixées au 26 juin, seront sans doute le principal challenge de l’opposition. Premier en date depuis l’accord politique de 2007 et dans le contexte de l’ouverture engagée depuis le début de l’année, ce marathon électoral sera-t-il l’occasion de composer un nouvel échiquier politique ? Ou s’agira-t-il d’une simple promenade de santé pour le MPS ?

Atmosphère inédite

Nagoum Yamassoum, le secrétaire général du parti présidentiel, se montre prudent : « Nous sommes dans un environnement beaucoup plus concurrentiel, avec en face des partis d’une certaine envergure. Les législatives provoquent déjà un engouement qui risque de nous créer des problèmes. C’est pourquoi nous prenons nos adversaires au sérieux. »

Dans un pays où tous les scrutins organisés depuis 1996 ont été contestés, la question de savoir si les échéances de 2011 ne seront qu’une copie conforme des précédentes se pose bien évidemment. Sans verser dans l’optimisme naïf, nombre d’observateurs estiment que les conditions sont réunies pour des « élections libres, transparentes, dans un climat politique apaisé ». Ainsi, pour Gilles Desesquelles, ambassadeur de l’Union européenne (UE) au Tchad, « les élections de 2011 ne devraient pas être sujettes à contestation. Le cadre a été tracé pour qu’il n’y ait pas de fraude ». Un avis que partage le Premier ministre, Emmanuel Nadingar : « La réconciliation est une réalité au Tchad. La page de la guerre est tournée. Rien ne pourra remettre en cause la crédibilité des futures élections. »

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De fait, sur le terrain, on est loin de l’atmosphère de 2005. Cette année-là, l’opposition avait boycotté le recensement électoral et le référendum constitutionnel… ce dernier aboutissant à l’adoption de la révision de la Loi fondamentale, supprimant, notamment, la limitation du nombre de mandats présidentiels.

On est loin, aussi, de l’atmosphère de la présidentielle de mai 2006 (également boycottée par l’opposition). Loin, encore, de la psychose consécutive à la prise de N’Djamena par les rebelles, en février 2008, avec, en toile de fond, l’enlèvement d’opposants, dont Ibni Oumar Mahamat Saleh, leader du Parti pour les libertés et le développement (PLD) et porte-parole de la Coalition des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC), dont on n’a plus jamais eu la moindre nouvelle. Aujourd’hui, l’heure est à la détente politique.

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Accord, désaccords Il a fallu, pour en arriver là, que pouvoir et opposition s’assoient autour d’une table d’avril à août 2007. De ces négociations pilotées par l’UE est sorti l’Accord politique en vue du renforcement du processus démocratique au Tchad, signé par les participants le 13 août 2007, qui prévoyait le report des législatives et la constitution d’un gouvernement d’ouverture. Il est toujours d’actualité.

« Au cours des négociations, l’opposition, qui avait beaucoup exigé, a beaucoup obtenu, poussant le gouvernement à céder sur plusieurs points pour des raisons de crédibilité internationale », affirme Gilles Desesquelles, maître d’œuvre du dialogue. « L’accord politique de 2007 a été conclu au forceps, commente pour sa part l’opposant Salibou Garba. Mais il a conduit à un débauchage dans les rangs de l’opposition. Nous irons néanmoins aux élections, même en ordre dispersé, pour ne pas abdiquer. »

Saleh Kebzabo, leader de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) et porte-parole adjoint de la CPDC, réputé modéré, qualifie l’accord du 13 août 2007 de « chance historique », et, d’après lui, les présumées manipulations de l’opposition par l’argent, si elles existent, restent « marginales ».

Cependant, face à une majorité présidentielle qui semble se renforcer, l’opposition est divisée en deux camps : ceux qui sont entrés au gouvernement d’ouverture et ceux qui n’ont pas été approchés. Pour Gali Ngothé Gatta, président de l’Union des forces démocratiques/Parti républicain (UFD/PR), membre de la CPDC, « la Coalition est fragilisée parce que l’opposition est inconsistante, inconstante, sans repères ni convictions. La politique est devenue une affaire commerciale : on vend et on achète les rapports de force. » De leur côté, ceux qui ont rejoint le gouvernement ne s’en laissent pas conter : « Si nos détracteurs avaient été sollicités, ils n’auraient pas dit non », s’indigne l’un d’eux.

La stratégie des egos

Malgré la mise en place d’une Commission électorale nationale indépendante (Ceni) paritaire – dirigée par un ancien syndicaliste, Ngarmadjal Gami –, l’opposition estime que l’autre partie, la majorité, ne respecte pas toutes les dispositions de l’accord politique. En particulier son « point 4 », relatif à l’environnement démocratique et à la neutralité de l’État.

Il s’agit, notamment, de la dépolitisation et de la démilitarisation de l’administration territoriale, de l’exclusion de la vie politique des responsables de la territoriale, des agents des forces de défense et de sécurité… sans oublier un accès libre aux médias officiels. Réponse d’Emmanuel Nadingar : « L’opposition a tort de penser que tous ceux qui sont dans l’administration sont acquis au pouvoir. Et je n’ai reçu aucune plainte écrite d’un opposant qui n’aurait pas accès à la radio et à la télévision. »

Dans le camp présidentiel, certains voient les élections de 2011 comme celles de la « clarification ». Du côté de l’opposition, on peine pourtant à adopter une stratégie. « Je mets cela sur le compte d’un certain nombrilisme, explique Saleh Kebzabo ; chacun croit qu’il dispose de fiefs où il peut se passer des autres. »

Quoi qu’il en soit, pour le leader de l’UNDR, il semble plus judicieux de se mobiliser et de se battre aux législatives et aux communales « où rien n’est gagné d’avance. Pour la présidentielle, en revanche, il est certain que Déby, avec tous ses moyens, est sûr de l’emporter au premier tour. La question pour nous est de savoir si nous devons susciter plusieurs candidatures ou en proposer une seule pour le contraindre à un second tour. » Les jeux sont donc loin d’être faits.

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