Terre interdite
Confronté à un flux migratoire sans précédent, l’État hébreu décide de durcir sa politique à l’égard des réfugiés subsahariens, dont l’expulsion ne semble plus être qu’une question de temps.
Ashdod, à 35 km au sud de Tel-Aviv, est l’une des dernières villes israéliennes qui a enregistré l’arrivée massive de clandestins africains. Selon les estimations, ils seraient 4 000 à avoir investi en quelques mois les vieux quartiers de la plus grande cité portuaire du pays. Livrés à eux-mêmes, ces demandeurs d’asile s’entassent par petits groupes dans des appartements délabrés, des squats et parfois des synagogues. D’autres, moins chanceux, errent dans les rues du matin au soir, au grand dam des riverains israéliens, qui, gagnés par un sentiment d’insécurité, se plaignent de la multiplication des agressions et signalent des rixes quotidiennes entre communautés africaines. « Ces gens n’ont accès ni à l’éducation, ni à la santé, ni à aucun autre service social », explique Dany Itzhak, membre d’un comité de quartier qui s’est créé en réaction à ce phénomène. « Que voulez-vous qu’il se passe ? poursuit-il. Sans argent, ils sont réduits à la violence et au vol. »
Ville d’immigration par excellence, connue pour avoir absorbé au plus fort des années 1990 des dizaines de milliers de Juifs d’ex-URSS, Ashdod ne semble pas disposé à réserver le même accueil à sa population africaine. Alors que le taux de chômage y est plus élevé que la moyenne nationale, les couches populaires se sentent directement menacées. « On ne veut pas d’eux ici, lâche Dudu Abutbul, ouvrier en bâtiment. Moi, j’ai besoin de 80 dollars par jour pour vivre, dit-il. Eux acceptent de travailler pour moitié moins. Oui, ce sont des malheureux. Et nous alors ? » Si cette pratique arrange bien évidemment certains employeurs, la réalité demeure plus nuancée. Munis d’un simple visa qu’ils ont l’obligation de renouveler tous les trois mois, des centaines de réfugiés, soudanais pour la plupart, sont employés dans la zone industrielle d’Ashdod, astreints à des tâches subalternes faiblement rémunérées que peu d’Israéliens acceptent d’accomplir.
Instrumentalisation
L’exode de milliers d’Africains vers Israël s’est fait en deux phases. Il y a cinq ans, les premiers d’entre eux fuyaient la guerre en Érythrée et les massacres au Darfour, convaincus que la Terre promise était leur unique refuge possible. Aujourd’hui, les clandestins affluent de toute l’Afrique subsaharienne, essentiellement pour des raisons économiques. Dans un pays où ils imaginent trouver la prospérité, la plupart viennent à la recherche d’un travail. Âgés entre 20 ans et 35 ans, ces réfugiés s’installent généralement dans le sud de l’État hébreu : à Tel-Aviv, Beer-Sheva, Arad, et dans la station balnéaire d’Eilat. Leur nombre augmente désormais de façon très rapide. D’après les données transmises par les services d’immigration, 13 000 clandestins ont franchi la frontière israélo-égyptienne depuis le mois de janvier, un flux en hausse de 300 % par rapport à l’année précédente. À titre de comparaison, 20 000 demandeurs d’asile avaient été comptabilisés dans la période comprise entre 2006 et 2009.
Fatalement, cette réalité a fini par déclencher l’hostilité de certaines franges de la société israélienne. Dans la localité de Bnei Brak, une vingtaine de rabbins ultraorthodoxes ont émis des décrets religieux affirmant que la location d’appartements à des réfugiés subsahariens était passible de châtiment divin. Ces anathèmes ont provoqué la consternation de plusieurs ONG israéliennes. Certains responsables politiques tentent pour leur part d’instrumentaliser la situation. « D’ici à quelques années, nous aurons plus de 100 000 immigrés africains », prévient le député d’extrême droite Yaakov Katz, membre de l’Union nationale. « Quand leur ville deviendra entièrement africaine, les habitants de Tel-Aviv demanderont à déménager dans les colonies de Judée-Samarie [Cisjordanie, NDLR] », poursuit-il ironiquement.
Clôture électronique
En quelques semaines, la question des réfugiés subsahariens est subitement devenue une urgence pour les autorités, qui redoutent d’être submergées par cet afflux migratoire. Relayant de nombreuses voix de son gouvernement, le Premier ministre, Benyamin Netanyahou, a martelé à plusieurs reprises que ce phénomène « mettait en danger le caractère juif et démocratique d’Israël », et qu’il constituait une « menace démographique ». Bien qu’il soit signataire de la Convention de Genève relative aux personnes déplacées, l’État hébreu n’a accordé à ce jour aucun statut de réfugié à ses demandeurs d’asile subsahariens. Mais il ne s’est jamais officiellement prononcé en faveur de leur expulsion. Conscient de son héritage moral, Israël est à l’évidence partagé entre un devoir de solidarité et la crainte de créer les conditions juridiques d’une arrivée massive d’immigrants non juifs sur son territoire, notamment celle de Palestiniens en exil, qui pourraient faire leur retour dans le cadre d’un futur accord de paix.
Les intentions israéliennes sont désormais claires et comportent un double objectif : endiguer l’infiltration de clandestins et contraindre ceux qui sont déjà présents sur le territoire à le quitter. À cet effet, le ministère de la Défense a entamé, il y a un mois, la construction d’une barrière électronique le long de la frontière israélo-égyptienne. Estimés à 365 millions de dollars, les travaux devraient durer au moins un an et demi. Ils permettront de sécuriser 140 des 250 km qui séparent le désert du Néguev de la péninsule du Sinaï. La région sert de voie de transit aux migrants subsahariens qui cherchent asile en Israël. Pour quelques milliers de dollars, ils sont conduits vers la frontière par des passeurs bédouins. Leur expédition, extrêmement périlleuse, s’achève parfois de façon tragique. Depuis le début de l’année, vingt-huit migrants ont été abattus par des militaires égyptiens avant même d’être parvenus à destination.
Un plan dissuasif
Parallèlement à l’édification d’une clôture, le gouvernement israélien vient d’approuver la création d’un immense centre de détention pour les clandestins africains. Dotée d’une capacité d’accueil de 10 000 personnes, la structure sera achevée dans un délai de six mois, à l’emplacement même du camp de Ketziot, autrefois réservé aux détenus palestiniens de la première Intifada. Le site sert déjà au contrôle des réfugiés après leur arrestation à la frontière. Cette mesure est cependant loin de faire l’unanimité. L’Organisation des droits du citoyen déplore que la seule solution trouvée au problème des réfugiés africains soit de les « enfermer dans un ghetto » qui pourrait rapidement devenir insalubre. Elle met en garde contre un possible « désastre humanitaire ». Répondant aux critiques, Benyamin Netanyahou s’est voulu rassurant. « Le centre répondra aux besoins essentiels des clandestins en leur apportant un logement, de la nourriture et des soins », a-t-il dit, soulignant que des structures similaires existaient déjà dans plusieurs pays européens.
Pour appuyer ces mesures en amont, le ministre de l’Intérieur, Eli Yishai, a présenté à la Knesset, à la fin de novembre, un plan destiné à lutter contre l’immigration africaine de l’intérieur. La proposition la plus spectaculaire vise les employeurs israéliens. À compter de janvier 2011, ils se verront interdire l’embauche de clandestins subsahariens, sous peine de poursuites judiciaires. « C’est la seule solution qui arrêtera cette vague, affirme Eli Yishai, qui prône une tolérance zéro. Si ces gens comprennent qu’il n’y a plus de travail pour eux en Israël, ils ne viendront plus ici. » La police d’immigration conditionne toutefois l’application de cette loi à la situation économique de chaque clandestin.
Dissuasif, le plan d’Eli Yishai risque d’accentuer un peu plus la détresse des demandeurs d’asile subsahariens, dont l’avenir paraît bien compromis. Soufflant le chaud et le froid, le bureau du Premier ministre assure que les ressortissants du Soudan et de l’Érythrée – qui représentent 90 % de la population des réfugiés – ne seraient pas immédiatement expulsés, l’État hébreu s’engageant au préalable à leur trouver un pays d’accueil. Très impliqué dans la gestion de ce dossier, Benyamin Netanyahou aurait entamé une médiation avec plusieurs pays du continent africain. Il leur propose d’accepter, moyennant une compensation financière, le rapatriement de leurs ressortissants. En vain pour l’instant.
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