La voie des armes
Forces de défense et de sécurité (FDS) aux ordres de Gbagbo, Forces armées des Forces nouvelles (FAFN) au service de Ouattara. Les deux camps ont leurs soldats dévoués, équipés et entraînés.
À défaut d’une légitimité par les urnes, Laurent Gbagbo s’est assuré du soutien de son armée – celle de hauts gradés placés à la tête de troupes d’élite comptant autour de 4 000 hommes. Et ce bien avant l’élection présidentielle. « Le chef de l’État soigne ses hommes, qu’il arrose de billets de banque et de grades. Il a ainsi créé des liens forts et noué des relations personnelles avec les patrons de l’armée », confie un « sécurocrate » du palais.
En bon stratège, Gbagbo avait pris les devants. Le 3 août dernier, il a promu au grade supérieur tous les « corps habillés » des Forces de défense et de sécurité (FDS). Une générosité renouvelée, le 7 décembre. Un joli cadeau en solde et une substantielle augmentation des dépenses militaires, qui représentaient déjà plus de 10 % du budget de l’État. Mi-août, le président ivoirien avait par ailleurs discrètement convié tous les officiers supérieurs placés à des postes de commandement au temple de l’Église protestante méthodiste unie du quartier de Cocody Ambassades.
L’objectif de ce rassemblement « militaro-religieux » est à peine voilé : obtenir des généraux les signes d’une reconnaissance et qu’ils jurent fidélité devant Dieu. Le 3 décembre, dans la foulée de l’annonce des résultats de l’élection présidentielle par le Conseil constitutionnel, le chef d’état-major des forces armées, le général Philippe Mangou – accompagné par l’ensemble des hauts gradés des FDS –, faisait allégeance devant les caméras de télévision de la Radio Télévision ivoirienne (RTI) « suite à la réélection de monsieur le président de la République ».
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Pas sûr toutefois qu’en coulisses cette belle unanimité soit de mise. Le mur pourrait bien se lézarder. Selon des sources informées, Philippe Mangou – dont la fidélité à Gbagbo, le pouvoir et l’influence donnent lieu à toutes les spéculations – serait prêt à mettre sa démission sur la table si le Palais exigeait le lancement d’opérations meurtrières. Le général de corps de gendarmerie, Édouard Tiapé Kassaraté, émettrait également des réserves sur un usage disproportionné de la force. « Au sein de l’état-major, bon nombre de gradés n’ont guère envie de se lancer dans une guerre. Les généraux se sont tellement embourgeoisés qu’ils ne prendront aucun risque. Ils cherchent avant tout à protéger leur patrimoine et préserver leur vie », estime un analyste militaire.
Mais Laurent Gbagbo peut compter sur les commandants des unités d’élite, fidèles d’entre les fidèles. La plupart sont allés au front en 2002 lors de la tentative de putsch des Forces nouvelles. Depuis, ces hommes liés par le prix du sang ont gravi tous les échelons militaires. En première ligne figure celui qui fait office de conseiller militaire, voire de véritable chef d’état-major : le général de gendarmerie Guiai Bi Poin, patron du Centre de commandement des opérations de sécurité (Cecos). Officiellement, les 600 hommes qui composent cette force sont chargés de combattre le grand banditisme. Officieusement, il s’agit surtout de protéger le régime.
Viennent ensuite une cohorte de hauts officiers prêts à aller au charbon : le général Firmin Detoh Letho (forces terrestres), le commandant Jean-Noël Abehi (escadron blindé), le général Bruno Dogbo Blé (garde républicaine), le vice-amiral Vagba Faussignaux (marine nationale), le commandant Boniface Konan (fusiliers marins commandos) et le colonel-major Nathanael Brouaha Ehouman (sécurité présidentielle). Guillaume Soro a nommément accusé Bi Poin, Faussignaux et Dogbo Blé de « coup d’État ».
À cela s’ajoutent les unités de police Brigade antiémeute (BAE) et la Compagnie républicaine de sécurité (CRS) prêtes à toutes les actions pour sauver « le soldat Gbagbo ». Ces forces représentent environ 5 000 hommes et détiennent tout l’arsenal de guerre de l’armée ivoirienne : avions de combat Sukhoi, drones d’observation, hélicoptères Mi-24, Puma et Mi-8, des lance-roquettes, une douzaine de blindés, des armes antiaériennes… Ces achats d’armes ont été supervisés par Bertin Kadet, conseiller militaire à la présidence, et Henri Damalan Sama, ancien attaché de défense de l’ambassade de Côte d’Ivoire en Russie.
Une puissance de feu nettement supérieure à celle des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN), l’ex-rébellion.
Soldats de la garde républicaine, le 28 novembre à Abidjan, lors du second tour.
© Émilie Régnier pour J.A.
Après la signature des accords de Ouagadougou, en mars 2007, Laurent Gbagbo a en outre tenté de recruter, en vain, Issiaka Wattara, dit Wattao, le chef d’état-major adjoint des FAFN, et Morou Ouattara, le commandant de Bouna, dans l’est du pays. Ces deux chefs militaires ont d’ailleurs régulièrement mis leurs hommes à la disposition de Gbagbo pour assurer sa sécurité pendant ses voyages dans le Nord. Si cette situation a créé des frictions au sein des Forces nouvelles, le sombre scénario écrit par Gbagbo a ressoudé les liens et reconstitué un front uni.
Puissance de feu
L’armée des ex-rebelles, qui s’est professionnalisée au fil des ans, a mis ses hommes en alerte maximale et menace de descendre sur Abidjan. Redoutable soldat, le comzone à Bouaké et chef de l’unité des Guépards, Chérif Ousmane, a prévenu que ses hommes ne resteraient pas indéfiniment les « bras croisés ». « Nous n’allons pas attaquer les premiers, nous ferons tout pour éviter un bain de sang à la Côte d’Ivoire, les Ivoiriens sont fatigués », nuance Morou Ouattara. La puissance de feu des FAFN – qui comptent 4 000 hommes opérationnels et sont dirigées depuis Bouaké par le chef d’état-major Soumaïla Bakayoko – est composée d’équipements légers, qui vont des automitrailleurs aux AK-47, en passant par des lance-roquettes et des armes de défense antiaérienne.
Selon toute vraisemblance, des hommes seraient également prépositionnés dans certains quartiers populaires d’Abidjan : Abobo, Port-Bouët 2, Koumassi et Adjamé. Des cellules dormantes prêtes à passer à l’action. La communauté internationale veille et garde un œil sur « les deux armées », redoutant une reprise des hostilités sous forme de combats de rue. La grande crainte demeure une action autonome des irréductibles « va-t-en-guerre » des deux camps, qui pourraient lancer à tout moment un raid ou une opération éclair. Les ultras prêts à en découdre ont l’arme au pied.
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