ADO et la République du Golf

C’est installé dans un hôtel d’Abidjan que le président élu a pris ses premières décisions. Objectif : donner une réalité à son pouvoir et organiser la contre-attaque.

Alassane Ouattara dans les jardins du Golf Hôtel, le 8 décembre. © AFP

Alassane Ouattara dans les jardins du Golf Hôtel, le 8 décembre. © AFP

Publié le 20 décembre 2010 Lecture : 6 minutes.

Un grand hôtel d’Abidjan hébergeant un palais présidentiel, une primature et treize ministères ! C’est le spectacle ubuesque donné au Golf Hôtel depuis que la Côte d’Ivoire compte deux chefs d’État. Reclus dans cet établissement de bon standing – 306 chambres climatisées et agréablement décorées offrant une vue sur la lagune Ébrié et la baie de Cocody, un jardin, un golf, une grande piscine –, le président Alassane Dramane Ouattara (ADO), son allié, Henri Konan Bédié, et son Premier ministre (PM), Guillaume Soro, tentent d’asseoir – bien difficilement – un pouvoir reconnu par la communauté internationale mais contesté par leurs adversaires.

Pour le camp Gbagbo se joue ici la comédie d’un « roi nu » marquée du sceau de l’illégalité. L’ancienne opposition vit claquemurée et gardée par des Casques bleus de la mission de l’ONU en Côte d’Ivoire (Onuci), des soldats de l’opération française Licorne et des hommes des Forces nouvelles (FN), les ex-rebelles. « S’ils continuent, on va leur couper l’eau et l’électricité. Ils occupent un hôtel public au frais de la princesse », prévient un baron du régime Gbagbo, qui dénonce avec gourmandise ce dispositif improbable protégeant ADO.

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En attendant, le président élu et le chef du gouvernement organisent la résistance. Mieux, ils mènent une partie d’échecs tournée vers l’offensive. Objectif : donner une réalité à un pouvoir aux allures factices. Soro tient ses Conseils des ministres dans une grande tente climatisée de l’ONU. Devant le sas d’entrée, des militaires et gardes du corps en costume barrent la route aux journalistes et aux indésirables. À l’intérieur, le PM présente les dossiers urgents : défense, diplomatie, économie et communication… On prépare notamment la révocation des ambassadeurs trop fidèles au président Laurent Gbagbo, la prise de contrôle des finances publiques, la nomination des fonctionnaires dans les grandes directions de l’État. Sur une petite table attenante, Marcel Amon Tanoh, directeur de cabinet de la présidence, et Largaton G. Ouattara, son homologue auprès du chef du gouvernement, prennent des notes en élèves studieux.

À la fin du premier Conseil, le 6 décembre, la presse a été autorisée à pénétrer dans ce « lieu saint ». Hamed Bakayoko, nouveau ministre de l’Intérieur, subtilise délicatement le présentoir de son collègue de l’Économie et des Finances, Charles Koffi Diby. En poste sous Gbagbo et réputé comme étant l’un de ses proches, le grand argentier est présenté comme une grosse prise de guerre, puisque ce transfert pourrait signifier un contrôle sur les comptes publics. Mais celui qui a renoué le dialogue avec les bailleurs de fonds ces dernières années est absent et n’a fait aucune apparition publique depuis des lustres. « Il était là hier, mais il est reparti en mission », assure un conseiller de Soro.

Consultations jour et nuit

Alassane Ouattara laisse une grande marge de manœuvre à son Premier ministre pour mener l’action gouvernementale. Ce dernier reçoit et consulte, jour et nuit, dans sa suite du cinquième étage. Quant au président élu, il dispose de deux suites pour organiser ses réunions de travail et préserver un semblant d’intimité. À la première heure de la journée, il réunit son cabinet pour faire le point de la situation, gérer les urgences et la communication. Il est tenu au courant des activités des uns et des autres, fixe les grandes orientations, puis délègue. Ce qui lui permet de se concentrer sur sa diplomatie. ADO est souvent au téléphone, notamment avec les chefs d’État de la sous-région. Il rencontre également des ambassadeurs en poste à Abidjan. Et reste en contact permanent avec ses soutiens extérieurs, à Paris et à Washington principalement…

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Dans ce nouveau temple du pouvoir, les cinq salles climatisées de l’hôtel ont été réquisitionnées. On y organise en permanence des réunions : diplomatie, défense et sécurité, finances publiques, mobilisation populaire… Tandis que les partis de la coalition houphouétiste préparent les bases de leur nouvelle formation commune. Quant aux treize ministres, ils réunissent leurs cabinets dans leurs suites dispersées dans les différentes ailes de l’hôtel. Dans la salle de conférences, les équipes de com’ de la présidence, de la primature et des partis multiplient les points presse sur les activités du gouvernement, la position des Forces nouvelles, la comptabilité macabre des victimes…

À tout moment de la journée, on vient rendre compte à l’ancien président Henri Konan Bédié, dont les voix du premier tour se sont largement reportées sur Ouattara. Le « sphinx de Daoukro » s’emporte régulièrement contre Laurent Gbagbo : « C’est une forfaiture, de la voyouserie, ce qu’il fait. » Il gère aussi les grincements de dents de ses cadres qui ont dû concéder la primature et plusieurs maroquins alors que l’alliance pour le second tour faisait la part belle au PDCI. Bédié et ADO se concertent sur toutes les décisions importantes, stratégiques. Leurs épouses, Dominique et Henriette, ne passent pas une journée sans se voir.

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Pour Pascal Brou Aka, animateur historique du débat télévisé entre ADO et Gbagbo, le 25 novembre, la situation est inquiétante. « Comment a-t-on pu redescendre aussi bas, se lamente-t-il. Nous avions donné une leçon de démocratie au monde entier avec ce débat. » Nommé directeur général de la Radio Télévision ivoirienne (RTI) par ADO, il a choisi de se « placer du côté de la vérité ». Et reçoit de nombreux témoignages de soutien.

Le moral des troupes est très erratique dans les couloirs du Golf Hôtel. Les conditions de travail sont loin d’être idéales. Ministres, militants, observateurs, journalistes, hommes en armes, militants avec CV sous le bras… le capharnaüm est indescriptible. Du hall d’entrée s’échappe un brouhaha assourdissant. Le va-et-vient est incessant. Le self dégage une odeur continue de crêpes, de sandwich au jambon, de jus de fruits locaux et de bière pas vraiment fraîche. Le restaurant Ébrié et le bar Le flamboyant sont pris d’assaut. « C’est difficile, reconnaît Patrick Achy, porte-parole du gouvernement et ministre des Infrastructures. Il faut vite que l’on sorte de cette situation pour travailler à la reconstruction du pays. »

Pour se détendre, certains résidents font un footing matinal. Adama Bictogo, qui a mené la campagne à Abidjan pour le RDR, se défoule sur les courts de tennis de l’établissement. D’autres, comme Me Affoussy Bamba, porte-parole des FN, et Sidiki Konaté, bras droit de Soro, profitent de l’air frais le long de la lagune Ébrié. Mais là encore leur quiétude est dérangée. Les bulldozers de l’Onuci renforcent les défenses en posant des barbelés, édifiant des monticules et plaçant des postes d’observation. À l’entrée de l’hôtel, les voitures sont fouillées. Dans l’enceinte, les patrouilles de plus en plus fréquentes. Casques bleus, soldats Licorne et FN…, tout le monde est sur le qui-vive. Les comzones Wattao et Morou Ouattara sont régulièrement aperçus, cellulaires à la main. La nuit, les réunions se poursuivent. « On se repose de manière fractionnée, explique un proche de Soro. Le PM peut nous appeler à tout moment. »

Ne pas perdre espoir

La nuit, c’est aussi le temps des discrets émissaires voyageant d’un camp à l’autre. Beaucoup viennent prendre le pouls de la « République du Golf ». Le soir, les locataires de l’hôtel regardent les infos de la RTI et de France 24. La chaîne d’information française est reçue au Golf mais suspendue dans le reste du pays. Les nouvelles se propagent aussi par les journaux et le bouche-à-oreille. Bon nombre de rumeurs ont circulé par SMS avant que les envois de textos ne soient suspendus…

Cette mesure n’a pas mis un terme aux spéculations, incessantes. Tout le monde y va de son scénario : libération populaire, attaque armée, intervention extérieure, transfert de la République du Golf… Une république cernée, assiégée, qui va tomber d’elle-même à l’usure, selon le camp Gbagbo. « On ne perd pas espoir, rétorque Patrick Achy. On va renverser ce régime sans verser une goutte de sang. Les Ivoiriens soutiennent le pouvoir légitime, l’administration va basculer dans notre camp et nous remportons chaque jour de nouvelles victoires sur le front diplomatique. » 

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