Coup de flash sur le lobby black

Il compte quarante et un membres à la Chambre des représentants et un sénateur. Depuis quarante ans, sa mission essentielle n’a guère varié : améliorer les conditions de vie des Africains-Américains. Son nom ? Le Congressional Black Caucus.

La présidente du Congressional Black Caucus Barbara Lee. © Reuters

La présidente du Congressional Black Caucus Barbara Lee. © Reuters

Publié le 26 décembre 2010 Lecture : 7 minutes.

En 1969, les membres noirs du Congrès américain – ils ne sont, à l’époque, que treize – forment une organisation qu’ils appellent le Democratic Select Committee. Dans un pays profondément marqué par la ségrégation raciale, ils décident de parler d’une seule voix pour lutter plus efficacement contre les inégalités dont souffrent les Africains-Américains. L’année suivante, ils demandent une audience au président Richard Nixon, qui refuse de les recevoir. Le groupe fonde alors le Congressional Black Caucus (CBC) et boycotte l’adresse à la nation faite par ce même Nixon en janvier 1971. Le boycott fait son effet. Dès le 25 mars, le chef de l’exécutif reçoit les parlementaires noirs pour entendre leurs doléances. Cinq jours plus tard, le CBC est officiellement introduit au Congrès. Quarante ans après, sa mission reste inchangée : « Promouvoir le bien-être public grâce à des lois visant à combler les besoins de milliers de citoyens négligés. »

Le CBC est aujourd’hui un puissant groupe parlementaire qui compte quarante et un représentants – soit environ 10 % des membres de la Chambre – et un sénateur. Il jouit d’une influence législative considérable, grâce à sa capacité à voter en bloc. « Sans nous, impossible d’atteindre les deux cent dix-huit voix nécessaires lors d’un vote à la majorité simple », expliquait James Clyburn, lors d’une conférence de presse, début octobre. La méthode du Black Caucus ? Un mélange de négociations, de concessions et, en cas de nécessité, de boycott actif.

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Certains de ses membres occupent des postes de premier plan. Élu de New York, Charles B. Rangel est par exemple le premier Africain-Américain à avoir présidé, jusqu’à très récemment, le puissant Committee on Ways and Means de la Chambre des représentants, chargé de rédiger les lois en matière fiscale. Clyburn est quant à lui la troisième personnalité démocrate du Congrès. Quatre autres membres du CBC sont à la tête de commissions importantes, dans les domaines de la justice et de la sécurité nationale notamment.

Démocrate et libéral

Il existe au Congrès plus de deux cents caucus, dont quatre constitués sur une base ethnique ou raciale : outre le CBC, il s’agit du Congressional Hispanic Caucus (démocrate), de la Congressional Hispanic Conference (républicain) et du Congressional Asian Pacific American Caucus (démocrate et républicain). Selon une règle non écrite, il faut être noir pour être membre du CBC. Quelques élus blancs, bien que représentant des districts à majorité noire, ont tenté d’y adhérer, mais ils ont été poliment éconduits. De même, bien qu’officiellement apolitique, le Black Caucus est affilié au Parti démocrate. « C’est l’aile libérale du parti. Ses membres représentent le plus souvent des communautés pauvres. Ils militent pour des causes progressistes, contrairement aux démocrates, beaucoup plus conservateurs, de la Blue Dog Coalition », commente George Dalley, l’ancien directeur de cabinet de Rangel.

Le CBC se veut la « conscience » du Congrès. « C’est nous qui mettons sur la table les causes oubliées, ou qui, simplement, ne figurent pas à l’ordre du jour », explique Barbara Lee, représentante de Californie et actuelle présidente du Black Caucus (elle sera remplacée, en janvier, par Emanuel Cleaver, du Missouri). Quelles causes ? L’accès équitable aux soins de santé et au logement, par exemple. Ou encore l’amélioration de l’éducation, le renforcement de la sécurité financière et la promotion des droits civiques.

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En 2009, ses membres ont fait passer une résolution destinée à améliorer l’alimentation dans les établissements scolaires. En décembre de cette même année, menaçant de ne plus soutenir un projet de régulation bancaire, ils ont obtenu 4 milliards de dollars afin de financer des programmes de prêts à faibles taux d’intérêt pour les propriétaires au chômage et de revitaliser certains quartiers défavorisés. Et 2 milliards supplémentaires destinés à un projet de loi sur l’emploi. En mars, lors de la réforme du système de santé, ils avaient déjà arraché un budget supplémentaire de 2,5 milliards de dollars destinés aux universités et collèges traditionnellement fréquentés par les Noirs. Pourtant, certains doutent de leur efficacité. Le CBC est accusé de ne pas en faire assez, de ne réussir à faire passer qu’un très petit nombre de projets de loi. « Mais faire adopter un texte est un challenge pour tout le monde », observe un habitué.

Ancien directeur de cabinet adjoint de Julius Caesar Watts, un parlementaire républicain qui, en 1994, refusa d’adhérer au CBC en raison de son orientation trop ouvertement démocrate, Elroy Sailor regrette lui aussi le manque de diversité au sein du Black Caucus. Objection de taille : jusqu’aux élections du 2 novembre, le Congrès ne comptait aucun républicain noir. Au total, il n’y en a eu que quatre depuis quarante ans, dont deux seulement firent le choix d’adhérer au CBC.

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Obama, une déception

Mais les républicains ne sont nullement exclus a priori. Début octobre, James Clyburn avait fait savoir que le Caucus accueillerait volontiers ceux d’entre eux qui viendraient à être élus le 2 novembre. Ce fut le cas de Tim Scott, en Caroline du Sud. Mais celui-ci est un ultraconservateur, soutenu par Sarah Palin et le Tea Party : il a décliné l’invitation. Élu en Floride, Allen West envisage en revanche sérieusement d’adhérer. De manière générale, l’élection de Barack Obama a manifestement donné des idées au Parti républicain, qui, lors des dernières législatives, n’a pas hésité à présenter quatorze candidats noirs. Paradoxalement, elle gêne davantage le Black Caucus, qui paraît souffrir d’une difficulté de positionnement et, du même coup, d’une érosion de son influence.

« Il n’y a aucune déclaration officielle à ce sujet, affirme George Dalley, mais les membres du CBC sont déçus par Obama, qui est quand même mieux placé que ses prédécesseurs pour appréhender les problèmes spécifiques de la communauté. Mais le président ne veut en aucun cas donner l’impression de favoriser les Africains-Américains… » De fait, selon le site politico.com, la nouvelle administration – et notamment les proches conseillers d’Obama, comme Valerie Jarrett – se montrerait peu réceptive aux doléances communautaires. Les membres du CBC sont rarement conviés à des réunions de haut niveau à la Maison Blanche et, quand ils le sont, les rendez-vous sont parfois annulés – ce qui est ressenti par les intéressés comme un camouflet. Bref, toujours selon politico.com, les congressmen noirs accumulent les griefs contre le président. Il est vrai que leur credo a toujours été : « pas d’amis ni d’ennemis permanents, seulement des intérêts permanents ».

Les Africains-Américains étant durement frappés par la récession, le CBC aimerait que la Maison Blanche fasse davantage pour améliorer leur niveau de vie. Avec deux priorités : l’emploi et l’éducation. Plus de 16 % des Noirs américains sont en effet au chômage, soit presque le double de la moyenne nationale.

C’est dans ce contexte que, le 14 février dernier, le New York Times a publié une enquête controversée sur le financement du Congressional Black Caucus. Selon le quotidien, le CBC et les organisations à but non lucratif qui lui sont affiliées auraient mis sur pied un tentaculaire système de collecte de fonds, présenté comme unique en son genre. Entre 2004 et 2008, ils auraient ainsi reçu de grandes entreprises et de syndicats la jolie somme de 55 millions de dollars. La plus grosse partie de ces fonds aurait été engloutie en mondanités. La Congressional Black Caucus Foundation, qui est le plus important des « bras caritatifs » du CBC et qui se définit comme un institut de recherche et d’éducation, aurait par exemple dépensé davantage pour le dîner de clôture de sa conférence annuelle, qui rassemble plus de quinze mille participants, que pour son programme de bourses d’étude. Selon le New York Times, des liens troubles se seraient tissés entre les membres du CBC et les dirigeants des entreprises sponsors, les uns et les autres siégeant côte à côte dans les conseils d’administration de ces organisations à but prétendument non lucratif.

Dans une lettre adressée au PDG du journal, le CBC a exigé des excuses et dénoncé la confusion volontairement entretenue par les auteurs à propos de « l’entité Black Caucus ». Le CBC est « un corps législatif qui n’a pas de compte bancaire et ne collecte en aucun cas de l’argent ». Les différentes organisations qui lui sont affiliées partagent une même mission : l’amélioration de la qualité de vie des Africains-Américains. Mais elles sont des entités distinctes, pourvues de statuts et de règles propres.

Fraude et corruption

Un habitué du Capitole en est convaincu : l’article du New York Times est injuste. « Il faudrait se demander qui cherche à décrédibiliser le CBC. Aucun membre du Caucus n’est riche, aucun ne finance ses campagnes électorales avec ses fonds propres, contrairement à nombre de parlementaires blancs. Les congress­men noirs sont issus de communautés pauvres, qu’ils s’efforcent de représenter. Les riches n’adhèrent pas au Black Caucus. »

Cette année, trois de ses membres ont été éclaboussés par des affaires de corruption et de fraude. Début décembre, le comité d’éthique de la Chambre des représentants a infligé à l’un des fondateurs du CBC, l’influent Charlie Rangel, 80 ans, sa sanction la plus sévère : la censure (votée par 333 voix contre 79). L’intéressé a dû abandonner la présidence du Committee on Ways and Means, mais il a été facilement réélu dans sa circonscription, en septembre.

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