Femi Kuti, de A à Z

À l’occasion de la sortie de son nouvel album, enregistré à Lagos, le fils de Fela revient sur sa musique, son héritage, les femmes, la politique, le Nigeria… Interview.

Femi Kuti, le fils de Fela. © Vincent Fournier/J.A.

Femi Kuti, le fils de Fela. © Vincent Fournier/J.A.

ANNE-KAPPES-GRANGE_2024

Publié le 14 décembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Sur scène, il court, il saute, il transpire. Du saxophone, il passe à la trompette puis au piano, invoque Kwame Nkrumah, Patrice Lumumba, se met torse nu et retourne à son saxo. Sur scène, Femi Kuti ne tient pas en place mais là, lové contre l’accoudoir d’un vaste canapé en cuir, il paraît presque inoffensif. Presque. Voix douce, tempes grisonnantes, l’homme est affable, mais le coup de griffe n’est jamais loin. Vite, il s’anime et s’enflamme. Sa cible favorite : les hommes politiques, africains en général et nigérians en particulier. À 48 ans, Femi Kuti sort un nouvel album (Africa for Africa), enregistré à Lagos dans des conditions difficiles. Il ne s’offusque plus de la comparaison – permanente – avec son père, Fela Anikulapo Kuti, star nigériane de l’afrobeat, et voit toujours en Olusegun Obasanjo l’incarnation de tous les maux : fraude, corruption, népotisme. Fatigué, Femi Kuti ? Jamais. « Shouting is never pointless. » Crier n’est jamais vain. Rencontre avec un artiste engagé.

Bonheur

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« Si un Nigérian vous dit qu’il est heureux, demandez-lui où il vit. Probablement en France ou en Angleterre. »

Colère

« Est-il vain de se battre ? Non, jamais. Avant moi déjà, mon père criait sa colère ; il a touché beaucoup de gens au-delà des frontières du Nigeria. Les autorités espéraient que tout s’arrêterait avec sa mort en 1997, mais ça n’a pas été le cas. C’est la preuve que ce qu’il a fait n’était pas une perte de temps et que ce que je fais non plus. Mais verrai-je un jour une Afrique libre et unie, cette Afrique dont rêvait Kwame Nkrumah [premier président du Ghana de 1960 à 1966, NDLR] ? Je ne crois pas. Cela prendra du temps, mais nous devons nous battre : nous n’avons pas le droit de donner la possibilité aux hommes politiques de faire ce qu’ils veulent, de les laisser piller nos ressources et tuer nos enfants. »

Didier Drogba

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« Dans les années 1970, jamais personne n’aurait cru qu’un jour un Didier Drogba jouerait pour le club de football de Chelsea, en Angleterre. C’est énorme et ça fait évoluer les mentalités. En Afrique, nous avons beaucoup de talents, nous avons de très bons médecins et d’excellents athlètes… Drogba est la preuve que, individuellement, les Africains réussissent. C’est en tant que nation qu’ils ont un problème. »

Élections

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« Est-ce que je vais voter à la présidentielle de 2011 ? Bien sûr que non ! Au Nigeria, les élections sont des mascarades : voter ne sert à rien. Pourquoi irais-je perdre mon temps alors que je sais que ma voix ne sera pas entendue ? Je n’ai jamais voté. La seule fois où j’ai eu envie de mettre mon bulletin dans l’urne, je savais qu’Obasanjo [à la tête du pays pour la seconde fois de 1999 à 2007] allait gagner. Voter pour lui, ce n’était pas envisageable. Mon père serait sorti de sa tombe pour m’en coller une ! La politique est une énorme imposture : une fois élus, les politiciens passent le plus clair de leur temps à expliquer pourquoi ils ne font rien. La politique, ce n’est pas un métier. C’est accepter de se mettre au service du peuple. En Afrique, bien peu l’ont compris. »

Femmes

« Ah ! les femmes… Elles me quittent, elles reviennent… Je n’ai jamais su leur dire non ! J’ai eu beaucoup de petites amies et j’ai souvent eu le cœur brisé. Pourtant, je n’ai jamais été fidèle, ni même dit que je le serais. Même la femme que j’ai épousée et qui m’a aujourd’hui quitté le savait. Je ne changerai pour personne et je n’attends pas que l’on change pour moi. »

Goodluck Jonathan

« L’actuel chef de l’État n’est pas très différent de ceux qui l’ont précédé. Parce que la pression est très forte, au Nigeria comme à l’étranger, il sera peut-être obligé de réparer une ou deux routes et de satisfaire quelques revendications sociales. Mais amènera-t-il le général Babangida devant la justice ? Non. Fera-t-il en sorte qu’Obasanjo comparaisse devant la justice ? Non. Est-ce que quelqu’un devra rendre des comptes pour toutes ces années de corruption ? Bien sûr que non. »

Héritage

« Je me suis toujours senti observé et comparé à mon père. Fela a été la première superstar nigériane, ça a été quelque chose d’énorme ! La pression a été très forte et elle sera très forte aussi pour mon fils, Made. Il doit très vite comprendre ce que son grand-père a fait et ce que ça lui a coûté. Qu’il le veuille ou non, c’est son héritage et c’est un héritage très lourd. »

Indépendance

« C’était il y a cinquante ans et il n’y a vraiment pas de quoi être fier. Dans mon quartier, à Lagos, on a l’électricité une heure par jour. Les médecins ont fait grève pendant des semaines, les universités aussi. D’aussi loin que je me souvienne, ça a toujours été comme ça en Afrique. J’ai 48 ans et je continue à me battre pour que nous ayons de meilleures écoles, de meilleures routes, un système de santé qui fonctionne… Alors dites-moi, qu’est-ce qu’on fête exactement ? »

Lagos

« Je suis né à Londres, mais je n’envisage pas de vivre ailleurs qu’au Nigeria. Je dois être fidèle à ce que je dis et ce que je chante. Vivre à Lagos, c’est ce qui me donne une légitimité pour parler de la souffrance et du quotidien des Nigérians. Mon tout dernier album, Africa for Africa, c’est là-bas que je l’ai enregistré et non pas à Paris, comme les précédents. Je n’avais plus la pression des maisons de disque, mais ça a été un cauchemar ! Enregistrer à Lagos, c’est comme enregistrer sur un champ de bataille : il fait chaud, l’électricité saute, c’est compliqué… Vous vivez ce que vous chantez et cela s’entend. »

Saxophone

« Mon premier instrument, celui que j’ai acheté et avec lequel j’ai appris la musique. J’ai baigné dans le milieu, mais mon père ne m’a jamais, à proprement parler, appris la musique. Ensuite, ça a été la trompette et le piano. J’ai passé des heures à répéter ; ça a été douloureux. Mais au bout du compte, j’ai donné tort à tous ceux qui me comparaient à mon père et pensaient que je n’y arriverais pas. »

Sexe

« Ma seule chanson qui ne soit pas politique, elle parle de sexe et de la rencontre entre deux corps. C’est “Beng Beng Beng”. Ça a été un vrai succès ! Après ça, les gens se sont imaginé que je gagnais des fortunes. J’ai été très sollicité, des journalistes nigérians ont essayé de me faire chanter. »

Shrine

« Il y a dix ans, j’ai fait construire le Shrine à la périphérie de Lagos, pas très loin de l’endroit où se situait le club de mon père avant d’être détruit. Quand je suis au Nigeria, j’y joue plusieurs fois par semaine. La dernière fois que la police y a fait une descente, c’était au mois de mai. Les autorités l’ont fermé pendant deux semaines, au motif que l’on faisait trop de bruit. Mais qui est-ce qui fait du bruit ? Moi ou le muezzin qui, tous les matins, me réveille à 4 heures ? Moi ou les cloches des églises qui sonnent toute la journée ? »

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Fela Kuti en couverture de Jeune Afrique, en 1981. © Jeune Afrique.

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