La liste noire européenne à l’index

Procédures floues, coup de pouce à l’aviation européenne… Les transporteurs africains dénoncent les travers de la liste noire de l’Union européenne, actualisé fin novembre, qui exclut nombre d’entre eux du ciel du Vieux Contnent.

126 compagnies africaines ont interdiction de survoler l’Union européenne. © Reuters

126 compagnies africaines ont interdiction de survoler l’Union européenne. © Reuters

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 13 décembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Quel avenir pour Mauritania Airways ? Déficitaire depuis trois ans (1 million d’euros en 2009), le transporteur tablait sur un retour à l’équilibre cette année, puis sur un exercice bénéficiaire en 2011. Mais cette perspective s’est subitement assombrie, le soir du 23 novembre, lorsque, dans sa dernière mise à jour de la liste des compagnies interdites du survol de son territoire, l’Union européenne (UE) a décidé d’y inclure la compagnie de Nouakchott, détenue à 51 % par Tunisair.

Exit Mauritania Airways, qui n’a donc plus le droit d’opérer ses liaisons Nouakchott-Paris (hebdomadaires) et Nouakchott-Las Palmas, dans les îles Canaries (bihebdomadaires). « Les dessertes européennes représentent une petite part de notre activité par rapport à nos 13 destinations en Afrique, mais elles sont indispensables à notre rentabilité », affirme Ridha Jemaiel, directeur général.

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Le pire, c’est que la compagnie n’est pas directement visée. « Les écarts signalés par l’UE nous concernant peuvent être observés sur tous les transporteurs. Et ils sont en général très vite corrigés. Sinon, nos avions auraient été bloqués sur des aéroports européens », précise Ridha Jemaiel. Lors de leurs escales sur le Vieux Continent, les appareils sont en effet inspectés par les autorités des aviations civiles locales, qui traquent les fuites, vérifient l’état des pneus, contrôlent les licences des pilotes et du personnel navigant… Les sanctions tombent lorsque les insuffisances détectées deviennent récurrentes.

Dans le cas de Mauritania Airways, c’est en fait l’aviation civile du pays que la Commission européenne épingle. Elle affirme être en possession d’« informations prouvant que les autorités responsables de la surveillance des transporteurs aériens titulaires d’une licence en Mauritanie ne sont pas à même de remédier aux manquements en matière de sécurité ». La Commission appuie sa décision sur un rapport d’audits de l’Organisation internationale de l’aviation civile (Oaci) daté de 2009 montrant que plus de 67 % des normes internationales de sécurité ne sont pas appliquées dans ce pays.

« En fait, lorsque l’aviation civile d’un pays est épinglée pour des insuffisances graves, tous les transporteurs sous son contrôle sont aussi pénalisés. Neuf compagnies “blacklistées” sur dix sont dans ce cas », explique Jean-Pierre Delpech, président de Quali-Audit, une filiale d’Air France. Au Gabon, par exemple, Afric Aviation, un nouveau transporteur qui vient de démarrer ses activités et qui, selon Jean-Pierre Delpech, répond à tous les critères d’une bonne compagnie, est d’emblée mis sur liste noire parce que l’aviation civile gabonaise ne remplirait pas ses obligations.

Coquilles vides

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« Nous ne pouvons permettre aucun compromis en matière de sécurité aérienne », a justifié Siim Kallas, le commissaire européen chargé de la mobilité et des transports, le 23 novembre à Bruxelles lors de la présentation de la liste actualisée. Sur 270 compagnies concernées, 126 viennent du continent. Et sur 20 pays épinglés, 14 sont africains. La RD Congo, l’Angola et le Bénin recensent le plus gros bataillon de compagnies interdites.

Coïncidence ou hasard du calendrier, l’UE a présenté sa nouvelle liste noire le jour même où, à huit heures de vol de Bruxelles, le gotha du ciel africain se réunissait dans le cadre de l’assemblée générale annuelle de l’Association des compagnies aériennes africaines (Afraa), à Addis-Abeba. La sécurité et la sûreté aériennes, de même que la liste noire actualisée, ont bien entendu été au cœur des débats. Nick Fadugba, secrétaire général démissionnaire de l’Afraa, admet que « l’Afrique doit améliorer son bilan en matière de sécurité aérienne ». Mais il estime que « cette liste noire n’a servi qu’à détruire l’image de l’industrie aérienne africaine ».

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Car la grande majorité des transporteurs africains « blacklistés » n’exploitent même pas de vols réguliers vers l’Europe – notamment parce qu’ils ne possèdent pas d’avions appropriés. De plus, la plupart de ces compagnies ne sont pas opérationnelles. Elles sont déjà clouées au sol ou sont de simples coquilles vides…

L’existence de la liste noire, affirme un patron de compagnie présent à Addis-Abeba, « a rendu l’exercice de l’activité plus coûteux pour les transporteurs du continent qui y figurent, car cela induit des dépenses supplémentaires, notamment des assurances plus élevées ». Selon lui, « les principaux bénéficiaires de cette liste sont les compagnies européennes qui dominent déjà le ciel africain ».

Explication de Ridha Jemaiel : « Quand vous interdisez à un transporteur de desservir l’Europe, vous permettez automatiquement à ses concurrents d’occuper le marché laissé vacant. » Les statistiques de l’Afraa estiment à plus de 70 % la part des compagnies européennes dans l’ensemble du trafic international à destination et en provenance de l’Afrique.

Business de la sécurité

Les compagnies africaines qualifient la démarche européenne d’« ­unilatérale » et d’« injuste », et appellent à un dialogue constructif. Aucun transporteur n’est sorti de la liste depuis que celle-ci a été créée, en 2005. Et pourtant, « d’importants progrès ont été réalisés grâce aux programmes d’assistance de l’Oaci », affirme Deriba Kuma, le ministre éthiopien des Transports. Sur les cinq dernières années, le nombre d’accidents en Afrique est passé de plus de 7 par million de départs à environ 1,5. Mais ce chiffre reste au-dessus de la moyenne mondiale, qui se situe juste en dessous de 1 accident par million de départs.

Une des clés de cette avancée réside dans la maintenance et le renouvellement des flottes. De plus en plus de compagnies bénéficient des services des centres de maintenance des ténors du secteur que sont South African Airways, Royal Air Maroc, Air Algérie, Egyptair, Ethiopian Airlines et Tunisair. Toutefois, l’entretien des avions reste le maillon faible du transport aérien africain, en raison des coûts exorbitants qu’il implique. La révision d’un moteur de moyen-courrier est facturée entre 1 million et 2 millions d’euros. Ce qui représente la totalité du chiffre d’affaires de certaines compagnies.

Par ailleurs, l’apparition de nouvelles sociétés spécialisées dans l’audit et le conseil – et permettant aux compagnies d’obtenir des labels de sécurité internationaux – a contribué à relever le niveau de la sécurité aérienne. Surfant sur la pression que subissent les transporteurs africains dans ce domaine, ces sociétés (Air France Consulting, Lufthansa Consulting, Aeroconseil…) se sont multipliées. Elles sont soit des filiales de grandes compagnies internationales, soit de petites structures indépendantes.

Ainsi, Air Burkina, assisté par ­Quali-Audit, vient d’obtenir le label Iosa (IATA Operational Safety Audit). Air Ivoire, Air Mali, Equaflight (Congo-Brazzaville) et Hewa Bora (RD Congo) ont entamé des démarches pour en ­faire autant. Créé en 2003, ce programme permet d’évaluer la gestion de l’exploitation et les systèmes de contrôle des compagnies. Il a été mis en place grâce à un partenariat entre plusieurs autorités réglementaires (américaine, australienne, canadienne et européenne). Pour obtenir ce précieux sésame, les transporteurs doivent répondre à plus de 970 standards. Et pour ceux qui sont sur la liste noire, ce certificat peut permettre de lever l’interdiction totale de survol de l’Europe. C’est notamment le cas de la compagnie angolaise Taag. 

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