Frère George Obama

Il a été chef de gang, a connu la prison et anime aujourd’hui une fondation qui vient au secours des enfants, à Nairobi. À 28 ans, le demi-frère de Barack Obama publie son autobiographie. Rencontre.

George Obama, à Paris, le 9 novembre. © Vincent Fournier/J.A.

George Obama, à Paris, le 9 novembre. © Vincent Fournier/J.A.

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Publié le 16 décembre 2010 Lecture : 5 minutes.

Il s’appelle George. George Hussein Obama. Demi-frère kényan du président des États-Unis, il a déjà, à 28 ans, écrit l’histoire de sa vie. « On peut écrire ses Mémoires à n’importe quel âge parce qu’on peut mourir à n’importe quel âge, murmure l’intéressé. Et puis, j’ai beaucoup de choses à dire. »

Et pourtant, autant il se montre disert dans cette autobiographie très vivante, écrite dans un style alerte (en collaboration avec Damien Lewis, un grand reporter américain) et remarquablement traduite, autant il se montre peu loquace lors de sa journée d’interview, dans le hall d’un hôtel parisien. On a peine à imaginer que ce grand jeune homme à l’air timide et doux, recroquevillé dans un fauteuil, est le demi-frère du président de la première puissance du monde, et qu’il a été chef de gang, au Kenya, avant de se reconvertir en bienfaiteur du ghetto de Huruma. Car George Obama profite de la sortie de son livre en France pour faire la promotion de sa fondation, qui vient au secours des enfants des rues de Nairobi.

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Ce jour-là, il est chaperonné par un homme qu’il qualifie d’« ami » et qui, lui, se présente comme un « cousin ». Étrange accompagnateur que ce Noir chapeauté et arborant une chemise d’un blanc étincelant, qui s’exprime dans un français impeccable et ne perd pas une miette de la conversation. Est-il chargé de veiller à ce que rien d’essentiel ne filtre ? Si c’est le cas, pari gagné : George ne se livrera jamais, tête basse et voix sourde, comme un gamin têtu. Seul son regard le trahit, laissant entrevoir une intelligence très posée.

Bien que son autobiographie s’intitule Frère de…, il élude toutes les questions sur Barack Obama. En réalité, comme il le souligne dans son livre, il n’a rencontré ce dernier que deux fois : la première, sur un terrain de football, à Nairobi, quand lui-même n’avait que 5 ans ; la seconde, en 2006, à l’occasion d’un voyage au Kenya de celui qui était alors un très prometteur sénateur de l’Illinois. « Toutes ses décisions vont dans le bon sens, commente George à propos de l’action du président. Il est très critiqué, mais il fait tout son possible. Je suis fier de lui car il a accompli beaucoup de choses. Il est très occupé. Mais il doit savoir ce que nous faisons [à la fondation] et comment nous allons. De notre côté, nous lui envoyons nos vœux. »

Retour à l’islam

Même retenue sur ses choix d’adulte. « Je suis musulman et pratiquant. Mais je n’ai pas jeûné pour le ramadan. Je ne suis pas si strict que cela », explique-t-il à propos de son retour à l’islam – la religion de sa famille paternelle –, alors qu’il a été élevé dans la foi catholique. S’il revendique une préférence pour son deuxième prénom, Hussein, il a signé son livre « George ». « J’ai quatre noms, et il n’y avait pas la place sur la couverture. »

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Alors, pourquoi cet ouvrage, cette médiatisation ? « Je voulais faire comprendre ce qu’est la vie dans les ghettos. Montrer qu’on peut les éradiquer, et améliorer la vie des gens. » Impossible de ne pas faire le rapprochement avec le parcours de travailleur social de Barack Obama dans les quartiers défavorisés de Chicago, ou avec Les Rêves de mon père, publiés par le futur président avant son élection. Même volonté de changer le monde, et même vénération pour la figure de leur père, décédé dans un accident de voiture à des milliers de kilomètres de son fils Barack et alors que George n’avait que 6 mois.

« Tout ce que je sais, c’est ce qu’on a pu m’en dire dans ma famille, et je ne sais pas si c’est vrai ou faux », souffle-t-il avant d’évoquer sa tante Sarah. « La sœur de mon père m’a toujours aidé dans l’épreuve. Elle répondait à toutes mes questions sur ma famille paternelle. Elle était comme une mère pour moi. »

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Sur des sujets moins personnels, George se lâche. « Le colonialisme était mauvais, c’est sûr, mais ce n’est plus le problème du Kenya. Je parle en mon nom, car je doute que beaucoup d’Africains voient les choses de cette manière. Je suis pourtant convaincu qu’ils doivent se tourner vers l’avenir et ne pas s’éterniser sur ce qui s’est passé il y a des siècles. La corruption détruit ce pays. Le système judiciaire est complètement pourri. La plupart des personnes qui sont en prison sont innocentes. Les vrais délinquants en sortent en payant des pots-de-vin. Peut-être la prochaine génération parviendra-t-elle à redresser la situation, mais il y a beaucoup à faire pour assainir le système. Pour ma part, je ne m’intéresse pas à la politique. » On s’en doutait : dans son livre, le constat est cinglant. « Au Kenya, la politique est un gros mot. Tout le monde sait qu’elle va de pair avec la corruption, et personne ne veut prendre ce chemin. »

Le chemin que George a emprunté, lui, s’est révélé tout aussi tortueux, et le petit dernier de la famille reste frappé d’ostracisme. Quand, en 2006, Barack lui a dit qu’il souhaitait le revoir avant de quitter le Kenya, les membres du clan ont fait manquer le rendez-vous en « oubliant » de le prévenir. Aujourd’hui, le délinquant repenti se dit peu désireux de se rendre aux États-Unis, où vit pourtant sa mère.

« Beauté calme et gracieuse », Jael, la quatrième et dernière épouse de Barack Obama Sr. – et comme ce dernier issue de l’ethnie luo –, a élevé George dans la foi chrétienne. Elle a travaillé dur pour envoyer dans les meilleures écoles du Kenya ce garçon doué pour les études qui rêvait d’être pilote de ligne. Mais pour le jeune orphelin qui cherche à retrouver ses racines paternelles, l’adolescence est une période difficile.

Alcool, drogue et violence

À 14 ans, il vit le départ de Christian, son beau-père, comme une trahison. Ce Français qui l’avait élevé comme un père et qui travaillait dans une organisation humanitaire est parti un beau matin sans laisser d’adresse, sans un mot d’explication. Traumatisé, George bascule dans l’alcool, la drogue et la violence. Il quitte le coquet quartier de Umoja pour les bidonvilles, la chaleur du cocon familial pour l’école de la rue. Hussein devient son « nom de guerre », et il succombe à « l’adrénaline sacrée du combat ». Braquages, vols à la tire, bagarres entre bandes rivales… George échoue en prison. En sort grâce à sa famille, qui paie pour son élargissement. Replonge et, cette fois, honteux de lui-même, n’alerte aucun de ses proches. Il croupit neuf mois dans une geôle infâme, coincé entre une armada de poux et un cador qui fait régner sa loi sur des dizaines de prisonniers malnutris.

Cette descente aux enfers lui aura été salutaire. « J’ai toujours aimé les enfants, ce doit être dans les gènes », s’amuse-t-il aujourd’hui pour expliquer comment il s’est mué en grand frère de quartier. Au programme de sa fondation : remettre une quarantaine de gamins des rues dans le droit chemin en leur rendant leur dignité. Au lieu de rançonner les passagers des autobus, ils ramassent les ordures, s’instruisent, pratiquent un sport et vendent les produits de leur artisanat. Désormais, George veille sur sa marmaille avec une sollicitude de papa poule, à des années-lumière des fastes de la Maison Blanche. Drôle de destin ? À 28 ans, cet homme-là peut écrire sa biographie. Il a déjà une longue vie derrière lui, beaucoup de projets d’avenir et un petit garçon de 11 mois.

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