Mamadou Tandja, un président déchu bien encombrant
Que faire du président déchu Mamadou Tandja ? La Cedeao exige sa libération, le président sénégalais Abdoulaye Wade la demande, mais la junte s’y refuse pour l’instant, au risque de perdre son crédit auprès de la communauté internationale. L’ancien chef de l’État pourrait finalement être jugé pour haute trahison.
Illégal. C’est ainsi que la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qualifie le maintien en détention de Mamadou Tandja. Saisie par la famille du président nigérien renversé lors du coup d’État du 18 février, la Cour a rendu son arrêt le 8 novembre et exige la mise en liberté de l’ancien chef de l’État. Certes, l’institution communautaire n’a pas les moyens de faire appliquer sa décision.
Mais le président sénégalais Abdoulaye Wade a donné plus de poids encore à cet arrêt de la Cedeao en demandant, le 10 décembre, au chef de la junte au Niger, le général Salou Djibo, de libérer Tandja. Une demande qui fait suite à une sollicitation de la famille de l’ancien président.
Sur le plan politique, tout cela jette une ombre sur la junte militaire qui, depuis son putsch, avait réussi à engranger un capital sympathie non négligeable auprès de la communauté internationale. Son engagement à rendre le pouvoir aux civils à l’issue d’une période de transition, l’élaboration d’un calendrier électoral – jusque-là respecté – et l’efficacité de sa gestion de la menace de famine qui planait sur plus de la moitié de la population du Niger plaident en sa faveur.
Mais le Conseil suprême pour la restauration de la démocratie (CSRD) a opposé une fin de non-recevoir à la Cedeao. Selon le colonel Abdoulkarim Goukoye, porte-parole de la junte, « la libération de Mamadou Tandja pourrait mettre en péril l’ordre public, d’une part, et, d’autre part, constituerait une menace pour sa propre sécurité ». Deux arguments que balaie d’un revers de main Ali Sabo, membre de la direction du Mouvement national pour la société de développement (MNSD, parti créé par l’ancien président) : « Cela ne tient pas la route. En janvier 1996, quand le général Ibrahim Maïnassara Baré avait renversé le président Mahamane Ousmane, il l’avait libéré, ainsi que son Premier ministre, quelques jours après le coup d’État. »
D’un point de vue juridique, la stratégie du gouvernement nigérien semble bancale. Pour neutraliser la plainte émise en juillet par la famille Tandja, il a misé sur deux missives, signées par le président déchu et destinées au chef de la junte, le général Salou Djibo, et à la Cour de justice de la Cedeao. Dans ces lettres, le prisonnier se désolidarise de la démarche de sa famille pour affirmer que ses « conditions de détention sont excellentes ». Mais cela n’a pas convaincu la Cour, qui a estimé que l’argument n’était pas recevable. « Les lauriers que tresse un détenu à son geôlier sont très peu crédibles », estime Mamane Djermakoye, un cadre bancaire nigérien résidant à Lomé.
D’autant que l’initiative ne ressemble pas au personnage et aux traits de caractère qu’il a toujours privilégiés : son côté soldat, allergique à toute forme de reddition. Une attitude que confirme Moustapha Kadi, membre du Collectif des organisations de défense des droits de l’homme et de la démocratie, qui a pu rendre visite au « reclus de la Villa verte » en juillet, période au cours de laquelle il aurait signé les deux fameuses lettres : « Tandja ne comprend toujours pas pourquoi l’armée l’a renversé et n’exprime aucun regret ni ne reconnaît nulle faute. “Le peuple m’a demandé de rester, je me suis exécuté”, affirme-t-il à ses rares visiteurs. »
« Pas de preuves crédibles »
Selon la Cour de justice de la Cedeao, Tandja doit être libéré car sa détention n’est pas le fruit de poursuites judiciaires clairement exprimées. Les soupçons de malversations et de détournements ont, semble-t-il, fait long feu. « Les différentes enquêtes lancées après le putsch n’ont pas établi de preuves crédibles pour entamer une quelconque procédure », assure Ali Sabo. D’ailleurs, ni l’ex-première dame ni ses enfants n’ont été inquiétés.
Reste le chef d’inculpation de haute trahison. Selon un spécialiste du droit qui souhaite garder l’anonymat, les éléments constitutifs du crime sont établis : « Qu’est ce qu’une haute trahison ? C’est céder une partie du territoire, c’est permettre le stockage de déchets toxiques… et c’est aussi refuser de se plier à un arrêt de la Cour constitutionnelle. Dans l’ancienne Constitution comme dans la nouvelle, il est stipulé que les arrêts de la Cour s’imposent à tous et ne sont susceptibles d’aucun recours. C’est là que l’on peut considérer que Tandja s’est rendu coupable de haute trahison. Il a voulu organiser un référendum pour se maintenir au pouvoir et a demandé son avis à la Cour. Quand celle-ci a rendu un avis défavorable, il a décidé de passer outre en organisant le référendum et l’a dissoute. » Autre argument avancé pour traduire Tandja en justice pour haute trahison : le parjure.
Selon Mohamed Bazoum, ancien chef de la diplomatie et numéro deux du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS de Mahamadou Issoufou), « la décision de la Cour de justice de la Cedeao va accélérer le processus d’inculpation de Tandja. Certes, il est déjà en détention extrajudiciaire, mais le lancement d’une procédure aura pour conséquence son transfert vers une maison d’arrêt ».
Comme Moussa Traoré (président malien renversé en mars 1991, longtemps détenu dans une caserne militaire), Mamadou Tandja a plongé dans la spiritualité en passant ses journées à lire le Coran. S’il n’a toujours pas vu ses proches et sa famille (même son avocat, Me Souley Oumarou, n’a pu se rendre à la Villa verte), le président déchu est traité avec tous les égards. Ses repas sont préparés par ses femmes et lui sont livrés par son chauffeur. S’il a droit aux journaux, à la radio et la télévision, aucun téléphone cellulaire n’est admis dans son lieu de détention. En juin, il a chargé son médecin traitant, le professeur Ibrahima Touré, d’introduire auprès de la junte une demande de transfert médical vers la Tunisie pour y être opéré de la cataracte. Six mois plus tard, il n’a toujours pas eu de réponse.
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