Affaire Fotso : chronique d’une chute annoncée
Au Cameroun, l’opération Épervier a fait une nouvelle victime. Cité dans une affaire de détournement d’argent public lors de l’achat avorté d’un avion présidentiel, l’ancien patron de Cameroon Airlines Yves-Michel Fotso, qui nie toute implication, est rattrapé par la justice.
Il savait ce qui l’attendait, mais ne supportait plus le suspense entretenu par l’appareil judiciaire de son pays. Tel un supplicié qui demande que l’on mette fin à ses tourments, Yves-Michel Fotso a, d’une certaine façon, précipité le calendrier de la procédure engagée contre lui depuis 2008. Refoulé le 2 novembre, pour la troisième fois en quatre ans, par la police des frontières alors qu’il s’apprêtait à prendre l’avion pour Bangui, où il avait rendez-vous avec des investisseurs, l’homme d’affaires a craqué.
Il a écrit dès le lendemain au président de la République et, quelques jours plus tard, au vice-Premier ministre chargé de la Justice, Amadou Ali, pour que la procédure aboutisse enfin à un procès ou à un abandon des poursuites. Il a manifestement été entendu : le 1er décembre, Yves-Michel Fotso a été arrêté et écroué à la célèbre prison centrale de Kondengui, à Yaoundé.
Autre victime de l’affaire Albatros
Il rejoint ainsi sur le banc des accusés – et derrière les barreaux – les autres protagonistes de l’affaire Albatros, notamment Jean-Marie Atangana, ancien secrétaire général de la présidence de la République, arrêté le 6 août 2008, et Jérôme Mendouga, ex-ambassadeur du Cameroun à Washington, mis en détention le 15 avril 2009. Tous sont poursuivis pour tentative de détournement d’argent public dans le cadre du projet avorté portant sur l’achat d’un aéronef destiné au président Paul Biya. Si les chefs d’inculpation contre Fotso ne sont pas encore rendus publics, l’affaire Albatros a néanmoins été l’objet de son audition, le 12 août 2008, devant le juge d’instruction Éyiké. Car en tant qu’ancien administrateur-directeur général de Cameroon Airlines (Camair), il est en première ligne.
Jérôme Mendouga, ex-ambassadeur du Cameroun à Washington, a été arrêté lui aussi.
© Maboup
Son arrestation s’est passée dans l’indifférence des Camerounais, lassés des coups d’éclat à répétition de l’opération anticorruption Épervier. Dans le fief familial de Bandjoun-Ouest, l’annonce de l’interpellation de l’héritier de l’empire industriel bâti par Victor Fotso a quand même poussé quelques dizaines de personnes à tenter une marche de protestation, promptement dispersée par la police. Il faut dire que cette petite ville densément peuplée du pays bamiléké doit tout, ou presque, à la famille Fotso : l’hôtel de ville, l’Institut universitaire de technologie, le marché, l’échangeur, sans compter les centaines d’emplois…
Un autre protagoniste de l’affaire Albatros en détention, Jean-Marie Atangana.
© Maboup
La générosité du patriarche Victor, 84 ans, a transformé ce grand village en ville moderne. Ici comme dans le reste du pays, on apprécie cet homme discret et sérieux, qui s’est enrichi dans le commerce et la manufacture après avoir quitté l’école à 15 ans, sans diplôme. Archétype de la première génération des riches Bamilékés, qui vivent chichement, sont patients, fiers mais pondérés.
Ambitieux héritier
L’univers d’« Yves » se situe à mille années-lumière de celui de son père Victor. Le Cameroun va le découvrir en 2000 lorsque, fraîchement nommé à la tête de Camair, il donne une conférence de presse épique. La langue de bois ciselée depuis des décennies par l’incontournable École nationale d’administration et de magistrature (Enam), dont sont sortis la quasi-totalité des dirigeants d’entreprises publiques, ne fait pas partie de son vocabulaire. Normal : le jeune patron – il n’a alors que 40 ans – n’en est pas issu.
Il vient du secteur privé, a été formé aux méthodes modernes de management à l’American Business Institute de New York, où il a terminé ses études, mais aussi auprès de Jacques Lacombe, un associé français – décédé en 1996 – de son père. Il est passé par les sociétés du groupe familial telles que l’Union allumettière équatoriale (Unalor), la Société de produits insecticides du Cameroun (Sopicam), la Compagnie internationale des services (CIS), et a été aussi administrateur délégué de Commercial Bank-Cameroun (CBC). Bref, il est étranger aux codes qui régissent le milieu politico-administratif de Yaoundé.
Son parler-vrai étonne les politiques. Notamment lorsqu’il évoque « les origines mafieuses » de la dette colossale de Camair, estimée à plus de 60 milliards de F CFA (91,5 millions d’euros). Un tantinet populiste, il renonce à son salaire de directeur général, décrète la fin des passe-droits, du trafic de billets, des départs retardés par des clients VIP, de la gestion sans objectifs… S’ils admirent sa combativité, les connaisseurs du milieu lui reprochent son impétuosité. « Je ne suis qu’un modeste salarié du groupe Fotso », répète-t-il à l’envi, désireux de se démarquer de l’héritage de son père. Mais jusqu’à quelle limite a-t-il poussé son acharnement à se faire un prénom ?
Victor Fotso (à g.) et son fils Yves-Michel, en 2006 à l’ambassade de France au Cameroun.
© Maboup
27 millions de dollars envolés
C’est de son passage à la tête de Camair que proviennent ses ennuis judiciaires d’aujourd’hui. Depuis 1999, Paul Biya essaie en vain de remplacer le vétuste Boeing 727 présidentiel, baptisé Le Pélican. Alors que le pays subit les restrictions budgétaires imposées par le plan d’ajustement structurel du Fonds monétaire international (FMI), l’opération n’est pas menée à son terme. Pour contourner le FMI, le ministre des Finances Michel Meva’a M’Eboutou suggère en 2001 que Camair serve de « paravent » au Trésor public pour l’achat de l’aéronef.
Un intermédiaire désigné par Yves-Michel Fotso, GIA International, propose un Boeing 737 Business-Jet vendu par le constructeur américain. Sollicitée pour le financement de l’acquisition, la Société nationale des hydrocarbures (SNH) effectue en octobre 2001 des virements d’un total de 31 millions de dollars (environ 34 millions d’euros à l’époque) sur le compte de cette société, au titre d’acompte sur le prix d’achat. GIA International, également présenté comme spécialisé dans les montages financiers, était censé finaliser le financement pour que l’avion soit livré au plus tard en mars 2003. Cela ne se fera pas.
Vérifications faites, GIA International – qui sera finalement placé en mars 2004 sous le chapitre 11 de la législation américaine sur les faillites – n’aura transféré à Boeing que 4 millions de dollars. Lorsque BNP Paribas et le Crédit lyonnais – deux banques françaises chez lesquelles la SNH a ouvert les comptes qui ont financé l’acompte – demandent des justificatifs de l’opération, silence radio. Adolphe Moudiki, le patron de SNH, n’obtient ni le contrat de vente, ni les factures de l’achat de la part de ceux qui traitent le dossier.
En attendant l’achat du Boeing, qui s’avère être un processus long de plus de deux ans, la solution intermédiaire trouvée est une catastrophe. Loué 203 000 dollars par mois, L’Albatros, un 767 de 17 ans d’âge, a un incident lors de son vol inaugural. À cause d’un fusible hors d’usage, le pilote n’a pas pu rentrer ses volets, causant des frayeurs à la famille présidentielle, qui se rendait à Paris. L’avion a été renvoyé et le scandale a éclaté. Où est passé l’argent destiné à Boeing via GIA International ? Le procès répondra peut-être aux questions qui se posent.
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