WikiLeaks : petits secrets du Grand Maghreb
Description des dirigeants et des personnalités du Grand Maghreb, analyse des relations interarabes et prévisions quant à l’évolution politique de ces pays nourrissent l’essentiel des commentaires, tantôt croustillants, tantôt pessimistes, des diplomates américains.
Afrique : la bombe WikiLeaks
Portraits-robots
« Cyclothymique et excentrique », Mouammar Kadhafi est décrit avec force détails dans un message que l’ambassadeur des États-Unis à Tripoli adresse au département d’État, le 29 septembre 2009. Le diplomate, qui a été amené à fréquenter de près l’équipe du « Guide » libyen pour préparer son voyage à l’Assemblée générale des Nations unies, à New York, insiste sur « ses phobies et ses bizarreries ».
On y apprend que Kadhafi, sujet au vertige, n’accepte d’être logé qu’au premier étage et ne peut gravir plus de trente-cinq marches. Il a également la phobie des vols long-courriers, et déteste survoler mers et océans. Paranoïaque, il est très dépendant d’un petit groupe de personnes de confiance où son fils Moatassim, patron du Conseil national de sécurité, fait figure de confident privilégié.
Mais le « Guide » se repose surtout – et depuis longtemps – sur son infirmière, Galina Kolotnitska, une « blonde voluptueuse » dont il ne peut se séparer, « car elle seule connaît ses habitudes et ses besoins ». « Des contacts de l’ambassade assurent que Kadhafi et Kolotnitska, 38 ans, sont amants », ajoute le diplomate.
Kadhafi est par ailleurs décrit comme un grand amateur de courses de chevaux, de spectacles de danse, et en particulier de flamenco. Quant à ses légendaires amazones, elles ne jouent plus qu’un rôle restreint dans sa sécurité rapprochée. D’ailleurs, « une seule femme garde du corps faisait partie de la délégation de 350 personnes qu’il a emmenée aux États-Unis ».
« Même s’il est tentant de prendre ces excentricités pour des signes d’instabilité, il faut garder à l’esprit que Kadhafi est un individu complexe, qui a su se maintenir au pouvoir pendant quarante ans. Il est important de garder des liens avec lui et avec son entourage, non seulement pour comprendre ses motivations et ses intérêts, mais aussi pour en finir avec les erreurs d’appréciation qui se sont accumulées pendant les décennies d’isolement [qui ont frappé la Libye] », conclut le télégramme.
Ce type de portraits est une tradition dans les milieux diplomatiques. Sakhr el-Materi, le gendre du président tunisien, en fait les frais dans un document de juin 2009, où il est décrit comme « un personnage très en vue ». « Dernièrement, il a même fait la couverture de Jeune Afrique, après être entré au capital du groupe de presse Dar Assabah. » Invité à une réception à l’ambassade américaine, Materi « parle plutôt bien l’anglais et prend plaisir à le pratiquer ». « Il aime l’exercice, sauf la course à pied. A affirmé qu’il essayait de perdre du poids et a bu du Coca Light durant la réception. » « Il a discuté pendant deux heures avec les invités, en particulier les Américains, poursuit le télégramme. A demandé qui il devrait connaître, et avec qui il lui fallait rester en contact à l’ambassade. […] Et a ostensiblement invité l’ambassadeur à déjeuner ou à dîner, ce que [ce dernier] a accepté. »
Sourires de façade
Derrière les accolades et les sourires de circonstance, les documents révèlent les dissensions qui opposent les pays arabes – et les alliances qui se nouent.
Un document daté du 24 février 2010 et classifié par l’ambassadeur Joseph E. LeBaron rapporte une conversation entre le sénateur John Kerry et Cheikh Hamad Ibn Jassim Al Thani, le Premier ministre du Qatar. Pour ce dernier, le président égyptien Moubarak n’est qu’un vieux chef d’État « qui cherche avant tout à mettre son fils à sa place et à contrer l’opposition des Frères musulmans ».
Un télégramme en provenance d’Abou Dhabi, daté de mars 2008, relate comment le ministre d’État Cheikh Hamdan Ibn Zayed a convoqué l’ambassadeur des États-Unis pour l’informer de sa politique à l’égard d’Amman et de Rabat. « La Jordanie et le Maroc entretiennent des relations extrêmement étroites avec les Émirats. Lesquels considèrent qu’il est essentiel de soutenir ces deux États arabes modérés [ils ont fourni une aide de 40 millions de dollars au Maroc après les attentats de Casablanca, NDLR]. Ces relations sont renforcées par les liens personnels qui existent entre les familles régnantes », note l’ambassadeur. « Le roi Abdallah de Jordanie, Mohamed Ibn Zayed Al Nahyan, le chef des forces armées des Émirats, et le prince Andrew de Grande-Bretagne chassent d’ailleurs régulièrement ensemble, au Maroc et en Tanzanie. »
Face à la menace terroriste
Un télégramme daté du 26 juillet 2007 rapporte une discussion entre Frances Fragos Townsend, conseillère à la sécurité intérieure et au contre-terrorisme du président George W. Bush, et Meir Dagan, le patron du Mossad, à Tel-Aviv. L’Israélien se dit préoccupé par la situation de l’Algérie, dont le Sud devient de plus en plus dangereux et où les forces islamistes menacent le pouvoir. « Le Maroc s’adapte mieux à ces questions », conclut Dagan.
Dans les jours qui viennent, WikiLeaks devrait publier une série de documents retraçant les discussions entre responsables algériens et américains.
Élections et frustrations
En Égypte et en Algérie, les diplomates déplorent le manque de transparence des scrutins et l’absence de renouvellement de la classe politique. À l’occasion de la réélection d’Abdelkader Bensalah à la tête du Conseil de la nation (le Sénat algérien), le 12 janvier 2007, un télégramme signé par le chef de mission américain rapporte que « certains sénateurs se disent frustrés que le président [Bouteflika] n’ait pas tendu la main à la jeune génération, qui devra diriger le pays une fois que Bouteflika et les responsables de sa génération auront quitté le devant de la scène ».
Toutefois, un câble du 17 janvier, signé de l’ambassadeur Ford, évoque très précisément – et en des termes plutôt flatteurs – la personnalité de Bensalah, que sa fonction désigne comme le successeur constitutionnel d’Abdelaziz Bouteflika en cas de défaillance. Ce subit intérêt s’explique alors par une analyse alarmiste de l’état de santé du chef de l’État.
En Tunisie, un télégramme du 23 juin 2009, signé par l’ambassadeur, dévoile que « le ministère tunisien des Affaires étrangères a convoqué les ambassadeurs d’Allemagne, d’Italie et d’Espagne, le 19 juin, pour les informer que son gouvernement souhaitait accueillir les détenus tunisiens de Guantánamo. Selon les diplomates européens, le message implicite était qu’ils ne devaient pas accepter la demande américaine ». Washington craignait en effet que ces hommes soient maltraités dans leur pays d’origine.
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