Etonnants voyageurs : de Mopti à Bamako
Pour la huitième fois, le festival littéraire se tenait au Mali. Une édition ouverte à la poésie, au slam, au rap et au cinéma.
Cheikh Hamidou Kane, Emmanuel Dongala, Alain Mabanckou, Léonora Miano, Florent Couao-Zotti et bien d’autres : ils sont tous là, au Mali, pour parler littérature. Pour la huitième fois, le festival Étonnants Voyageurs a jeté l’ancre sur les terres d’Amadou Hampâté Bâ, bien loin de la mer et de la côte bretonne où il a vu le jour. Après les Rencontres africaines de la photographie, après la biennale Danse l’Afrique danse !, ce sont les écrivains qui débarquent : à croire qu’en matière de culture il n’y en a que pour Bamako. Mais non. Le festival, qui s’étalait du 22 au 28 novembre, ne se contente pas d’animer le Palais de la culture et le Centre culturel français de la capitale. Désireux de faire partager leur goût des mots et leur passion des phrases, certains auteurs sont allés à la rencontre des plus jeunes, à Kayes, Kita, Koulikoro, Ségou, Sikasso, Mopti et Kouakourou. Ainsi Léonora Miano s’est-elle rendue à Koulikoro, tandis que l’auteur de polars gabonais Janis Otsiemi rejoignait Sikasso. L’organisation a bien connu quelques ratés – livres des auteurs indisponibles, établissements prévenus tardivement –, mais, dans l’ensemble, l’assistance était au rendez-vous et les échanges ont révélé une sincère soif d’apprendre.
Promotion de l’écrit
Arrivé à Ségou au volant de sa vieille Mercedes, le fusil bien calé contre la portière, le docteur ès lettres Fodé Moussa Sidibé s’est attiré des dizaines de questions sur la confrérie des maîtres chasseurs donso. Il faut dire que ce défenseur de la culture malienne, auteur en 2010 de La Révolte de Zangué, l’ancien combattant, sait passionner ses auditeurs avec des explications étymologiques, des anecdotes ou des références au quotidien. Répondant au poème déclamé par un jeune lycéen (« Ô auteur, j’ai de quoi me réjouir / Car j’ai auprès de moi un guide, un porte-parole, un prophète de la nation »), il se fait le promoteur de l’écrit : « Le livre n’est pas de notre tradition. Mais nous devons nous-mêmes l’introduire dans notre manière de transmettre le savoir. Après tout, à l’origine, l’islam ne faisait pas partie de nos traditions. C’est à nous de transformer certaines valeurs pour qu’elles nous soient favorables. »
En expliquant, ensuite, que plus de 60 % des chansons d’Oumou Sangaré viennent aujourd’hui du répertoire de Toumani Koné, c’est-à-dire directement de la tradition des chasseurs, il lie le passé au présent et répond à un autre vers du jeune lycéen : « Ô auteur, grâce à toi, nous, les générations d’aujourd’hui / Connaissons notre passé, notre histoire. » Aziz Siten’k, l’un des cinq membres de l’Association des slameurs du Mali (Aslama), profite du raccourci temporel pour présenter aux lycéens cette « poésie urbaine déclamée » popularisée en France par Grand Corps Malade et exportée au Mali par Rouda. Et pour quelques minutes, la littérature devient spectacle.
Oxmo Puccino et Rouda
C’est sans doute là l’une des forces d’Étonnants Voyageurs au Mali : ne pas se limiter à la sphère du roman et de l’essai. Le festival s’ouvre sur le cinéma, la poésie, le slam, le rap – Oxmo Puccino et Rouda animent des ateliers d’écriture – et n’hésite pas à aborder des questions plus larges, comme les difficultés de l’édition au Mali ou l’avenir de la francophonie. Les lycéens qui viennent écouter les auteurs, à Ségou, Bamako ou Kayes, ont bien compris qu’au-delà des stricts enjeux culturels la politique pointait son nez. Certains profitent d’ailleurs de l’occasion pour dire leur malaise quant à l’avenir du système éducatif ou poser des questions sur certaines défaillances de l’administration. Hors sujet ? Peut-être, mais pas totalement.
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