La fièvre de l’or noir s’empare du Golfe de Guinée

Alors que le Ghana s’apprête à produire son premier baril, le golfe de Guinée est victime des vertiges du brut. Une effervescence pétrolière qui aiguise l’appétit des majors et relance le débat sur la bonne gestion de cette manne tant espérée.

L’exploitation pétrolière s’étend à de nouveaux gisements en Afrique de l’Ouest. © AFP

L’exploitation pétrolière s’étend à de nouveaux gisements en Afrique de l’Ouest. © AFP

ProfilAuteur_MichaelPauron

Publié le 1 décembre 2010 Lecture : 6 minutes.

Le golfe de Guinée ne sera plus ce qu’il était. De la Sierra Leone au Bénin en passant par le Liberia, la Côte d’Ivoire et le Togo, tous se voient soudainement pris d’une fièvre de l’or noir. La mise en production, le mois prochain, de Jubilee, gigantesque champ pétrolier découvert en 2007 au large du Ghana et dont les réserves prouvées avoisinent les 1,8 milliard de barils, met la région en ébullition. Cet événement « concentre d’ores et déjà toutes les caractéristiques contemporaines de l’industrie pétrolière en termes d’enjeux géologiques, écologiques, socio-économiques et géostratégiques », assure Stéphane Essaga, directeur exécutif du Centre africain de recherche sur les politiques énergétiques et minières (Carpem).

Avec une production de départ de 120 000 barils par jour (250 000 à terme), le pays de John Atta-Mills, deuxième producteur mondial d’or et de cacao, pourrait voir son taux de croissance, de 3,5 % en 2009, au moins doubler. Le Fonds monétaire international (FMI) estime qu’en 2013 les recettes cumulées d’exportation du pétrole pourraient avoir atteint 3,5 milliards de dollars (environ 2,6 milliards d’euros), alors que les revenus combinés du cacao et de l’or ont culminé à 2,8 milliards de dollars en 2007. Sur la période allant de 2012 à 2030, les recettes attendues sont d’environ 20 milliards de dollars, soit une contribution au PIB de 4 % à 5 % par an.

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Paolo Scaroni, PDG d’ENI : « La découverte de Jubilee a changé notre vision du Golfe de Guinée ».

© Vincent Fournier, pour J.A.

Les perspectives de ce petit pays d’Afrique de l’Ouest (24 millions d’habitants pour 238 500 km2) ne sont pas sans rappeler le destin de Malabo, toutes proportions gardées. Hier l’un des pays les plus pauvres au monde, la Guinée équatoriale, brusquement propulsée quatrième producteur d’or noir d’Afrique subsaharienne (307 000 barils par jour) devant le Gabon et le Congo, est aujourd’hui un acteur incontournable de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), au point d’avoir imposé sa présidence à la Banque des États de l’Afrique centrale (Beac) en janvier, au nez et à la barbe du Gabon, puissance pétrolière déclinante (voir encadré). D’aucuns, percevant un rééquilibrage politique, vont jusqu’à prédire la fin de l’hégémonie nigériane. « Déjà, avec l’affaiblissement de la Côte d’Ivoire dû à la crise, on sent bien que le Ghana a pris de plus en plus de poids au sein de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, NDLR], estime un Ivoirien du secteur, sous le couvert de l’anonymat. Mais avec ses réserves de pétrole, son influence va être grandissante. » Pour Stéphane Essaga, cela ne fait aucun doute : « Il y aura une redistribution automatique de la puissance, grâce à l’indépendance énergétique relative que cette ressource procurera. »

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Du mirage au miracle ?

Cette nouvelle donne réveille des espoirs régionaux autrefois déçus par des forages infructueux. Les dernières découvertes réalisées dans les eaux ghanéennes (Tweneboa et Owo), portant les réserves du pays à 3 milliards de barils, sont localisées à quelques encablures seulement de la frontière ivoirienne. En Sierra Leone, l’américain Anadarko a également fait deux découvertes depuis 2009, proches de la frontière avec le Liberia. Tout porte à croire, donc, que la zone potentiellement gorgée de pétrole s’étendra bien au-delà du seul Ghana. Signe qui ne trompe pas, la mise au jour de Jubilee par des petites compagnies indépendantes (l’américain Kosmos Energy et le britannique Tullow Oil) a eu l’effet d’un électrochoc chez les majors, concentrées jusque-là sur des espaces mieux connus (Angola, Nigeria, Congo, Gabon). Elles font désormais leur retour en force.

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Selon le docteur Duncan Clarke, expert international auteur de The Struggle for Africa’s Oil Prize et PDG de Global Pacific & Partners, « les découvertes faites récemment au large de la Sierra Leone montrent bien qu’il y a une vaste zone offshore avec de fortes similitudes géologiques. On peut dire qu’il y aura d’autres découvertes du style de Jubilee dans ce secteur ».

Dès lors, la question de la bonne gestion d’une manne aussi faramineuse que celle prévue pour le Ghana se pose. Le pays échappera-t-il au « syndrome hollandais », soit la concentration de son économie dans l’industrie pétrolière au détriment des autres secteurs, quand ses voisins producteurs les plus proches ne sont pas des modèles en la matière ? Au Nigeria, 80 % du PIB est alimenté par la rente pétrolière : en cinquante ans, le pays, qui a touché au moins 600 milliards de dollars, n’a pas su diversifier son économie ; il reste soumis à la volatilité des prix du baril de brut. Autre désillusion : le Gabon, dont le pétrole exploité depuis plus de quarante ans représente plus de 50 % des revenus.

Ellen Johnson-Sirleaf, présidente du Liberia : « Nous utiliserons l’argent du pétrole pour le bien des générations futures. »

© Xinhua

Risque de déstabilisation

« Il n’y a pas de déterminisme absolu, assure Stéphane Essaga. Il suffit d’aménager une politique systématique de mise à contribution des ressources pétrolières au développement économique et social, d’investir dans l’industrie lourde, l’éducation, les infrastructures, et de diversifier ses exportations. » D’autant que d’autres acteurs entrent en jeu, et l’arrivée de multinationales n’est peut-être pas une mauvaise chose. Avec leurs propres standards, elles peuvent influer sur la manière dont sont mis en œuvre les projets. « Une major aura a priori plus de scrupules qu’une petite société inconnue, de peur qu’un scandale ne ternisse son image », précise Géraud Magrin, chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad). De même, l’intervention d’institutions internationales comme la Banque mondiale implique l’adhésion à certains standards ayant des implications dans les domaines des droits de l’homme et des populations riveraines, de l’environnement, etc. Des conditions additionnelles, comme des facilités de crédit, peuvent éventuellement s’y ajouter : au Tchad, l’accord de crédit stipulait par exemple les conditions de l’utilisation des revenus pétroliers (lesquelles n’ont finalement pas été respectées) ; en Ouganda, un fonds pour les générations futures est envisagé.

Les craintes restent cependant justifiées dans les pays aux institutions les plus fragiles. « Le pétrole fonctionne souvent comme catalyseur des évolutions antérieures, explique Géraud Magrin. La théorie de la malédiction des matières premières a moins de chances de toucher un pays où les institutions ont l’air de bien fonctionner, comme le Ghana, qu’un pays comme la Côte d’Ivoire, en situation ­post­conflit, où la rente pétrolière ne viendrait qu’amplifier une rente du cacao utilisée depuis longtemps à des fins politiques. » La présidente du Liberia, Ellen Johnson-Sirleaf, a admis en octobre, alors que l’américain Chevron faisait son entrée, qu’il y avait « un risque que le pays soit déstabilisé par les ­revenus pétroliers ».

Accra, de son côté, ne semble pas encore remplir toutes les conditions : l’autorité de régulation indépendante réclamée par les députés, censée gérer les permis d’exploration et la rente pétrolière pour éviter tout conflit d’intérêt, n’a toujours pas vu le jour. En attendant, la Ghana National Petroleum Corporation (GNPC), bras « pétrolier » de l’État, attribue les projets de développement dans lesquels, bien sûr, elle est partie prenante. « Les compagnies nationales doivent être indépendantes et les responsabilités doivent être bien définies. Force est de constater que ce n’est pas le cas partout », rapporte une source anonyme. Les bisbilles entre Accra et la société Kosmos, empêchée de revendre une partie de ses parts à l’américain ExxonMobil et priée de les céder à la GNPC malgré une offre moins intéressante, en sont une illustration probante.

Pour les experts, le monde a néanmoins changé. « Nous verrons dans l’avenir, relève Géraud Magrin. Mais la Guinée équatoriale était bien plus refermée sur elle-même hier qu’aujourd’hui. Et, même s’il y a encore des choses à améliorer dans la gouvernance, les Équato-Guinéens vivent globalement mieux. » « Nombreux sont les pays d’Afrique de l’Ouest qui sortent d’une période d’instabilité ou de guerre civile, rappelle le département américain de l’Énergie dans son rapport intitulé “International Energy Outlook 2010”. Les compagnies peuvent être dissuadées d’investir si elles croient que leur business peut être gêné par des gouvernements inexpérimentés. » La Côte d’Ivoire, déjà, est en train de revoir son code pétrolier datant de 1996. Une condition – sans être une obligation – qui contribuera à rassurer les investisseurs, nombreux, qui frappent déjà aux portes d’Abidjan.

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