David Adjaye, architecte
L’architecte ghanéen David Adjaye, né à Dar es-Salaam, a installé ses bureaux à Londres, New York et Berlin. Partout, il rencontre le succès. Et se (re)tourne vers le continent.
Enfin ! Il a fallu bien de la patience pour parvenir à mettre la main sur David Adjaye, jeune architecte en vue parvenu très tôt à faire de sa signature une marque reconnue de Moscou à Washington. Coups de fil, e-mails, rien n’y faisait : l’homme était insaisissable. Un jour ici, le même jour ailleurs ou nulle part. Et puis enfin, parce qu’il fallait qu’il soit présent pour le festival L’Afrique visionnaire, organisé par le Palais des beaux-arts de Bruxelles à l’occasion du cinquantenaire des indépendances africaines, il a été possible de le coincer. Dans le calme d’une pièce réservée à l’administration dudit musée, il a accepté de s’asseoir et de se raconter. Pas trop longtemps quand même : après trois quarts d’heure d’entretien, il disparaissait comme il était arrivé, à grands pas.
Mais pour l’instant il est là, son visage jeune ne laissant pas paraître ses 44 ans, tout de noir vêtu, élégant, un peu anachronique entre les murs du bâtiment dessiné par Victor Horta en 1928. À son poignet, une montre dont les quatre cadrans indiquent l’heure de Bruxelles et celles de Londres, New York et Berlin. Adjaye Associates, son cabinet, est installé dans ces trois dernières villes, capitales du chic et du branché. « Je n’aurais pas dû mettre cette montre » : tout sourire, l’éternel pressé semble visiblement gêné par son innocente coquetterie. Mais il s’empresse d’ajouter qu’il lui faudrait ajouter un cinquième cadran. Sensible au sens du vent, le cabinet Adjaye Associates vient d’ouvrir un « petit bureau » au Qatar.
Certains pensent qu’il se donne de l’importance en affichant un agenda surchargé, mais David Adjaye ne fanfaronne pas. En dépit d’une période de disette liée à la crise économique, son cabinet se porte bien, et il passe son temps à enjamber les fuseaux horaires. Peut-être aussi a-t-il hérité d’un gène de la bougeotte transmis par son père, qui, en tant que diplomate, fut en poste en Tanzanie, en Ouganda, au Kenya, en Égypte, avant de se poser au Royaume-Uni. On s’y perd, et nombreux sont ceux qui pensent qu’Adjaye est tanzanien. Non, il est né à Dar es-Salaam de parents ghanéens.
Peu importe. Aujourd’hui, l’homme se dit « britannico-ghanéen » et précise : « J’habite le monde. J’opère au niveau global. » C’est juste. Dans la capitale russe, il vient d’inaugurer la Moscow School of Management Skolkovo. À Washington, au printemps 2009, il a remporté l’un des appels d’offres les plus prestigieux du moment : d’ici à 2015, il fera naître sur le National Mall le futur National Museum of African-American History and Culture. Un projet de 500 millions de dollars (370 millions d’euros) d’autant plus important pour un artiste né en Afrique qu’il pourrait – sous réserve d’une réélection en 2012 – être inauguré par Barack Obama, le premier président africain-américain des États-Unis. D’autres projets sont en cours, dont l’aménagement de mystérieux appartements place des Vosges, à Paris. Peut-être pour un couple de célébrités, mais on n’en saura pas plus. Parfois surnommé « le starchitecte », ce qu’il n’aime pas, David Adjaye a eu pour clients l’acteur Ewan McGregor, le styliste Alexander McQueen et le plasticien Jake Chapman. Ses collaborations se font avec les plus grands noms de l’art contemporain, à l’instar du plasticien nigérian Chris Ofili [connu pour utiliser de la bouse d’éléphant dans ses peintures, NDLR] ou de l’artiste islando-danois Olafur Eliasson. Au mois de mars 2011, Adjaye signera la scénographie de l’exposition que la Bibliothèque nationale de France consacrera au photographe américain Richard Prince – l’un des plus chers au monde.
Pour autant, le Britannico-Ghanéen ne veut pas apparaître comme l’architecte glamour d’une clientèle huppée et il préfère évoquer ses commandes publiques. Pour le Ghana, le cabinet d’Adjaye travaille actuellement sur la conception de l’Elmina College, un « village éducatif » destiné aux étudiants et aux séminaires. Plus que de dessiner un immeuble ou une tour particulièrement remarquable, l’architecte dit s’intéresser « à l’aspect performatif des bâtiments » et à « la planification urbaine ». Il souhaite concevoir chaque édifice en fonction du rôle qu’il sera appelé à jouer dans la ville. Une position politique qui remonte à ses années d’étudiant en art – sans fausse modestie, il confie avoir récolté d’excellentes notes – au sein de la Middlesex University puis de la South Bank University. Il s’explique : « Je n’étais pas intéressé par l’insularité de l’auteur contemplant la forme. Je n’aime pas l’isolement. Je me suis tourné vers la société. » Sculpteur ? Peintre ? Trop détaché du monde…
En 1994, au sortir du Royal College of Art, Adjaye n’a pas d’autre choix que de monter son cabinet. C’est la récession en Europe, il n’y a pas de travail. Il accepte tous les projets qui viennent. Pas le genre à se laisser abattre. Peut-être parce qu’il sait ce que signifie l’impossibilité de faire ce que l’on désire : l’un de ses frères est mentalement et physiquement handicapé. Sans doute aussi parce que son arrivée au Royaume-Uni, à 13 ans, l’a façonné pour le combat. « Nous n’étions plus dans une école internationale, mais dans une école de banlieue où personne n’avait jamais voyagé, se souvient-il. C’était très difficile. Nous devions apprendre à être anglais. » Un apprentissage parfois cruel. « Un jour, un professeur m’a dit : “Vous êtes africain, vous devriez faire du sport.” Mais je suis asthmatique ! »
Depuis 1994, le cabinet d’Adjaye a connu divers avatars pour devenir une entreprise de 60 personnes travaillant sur quatre continents. Parmi ses réalisations les plus connues, la bibliothèque Idea Store de Londres (2001), le Nobel Peace Center d’Oslo (2005), le musée d’Art contemporain de Denver (2007)… Ou encore des « Asem-pa », de nouveaux logements en Louisiane, construits après le passage de l’ouragan Katrina. Cette diversification n’empêche pas Adjaye de s’intéresser de très près à son continent d’origine. « L’Afrique fait désormais partie intégrante de ma carrière », dit celui qui s’est inspiré d’une sculpture yorouba pour le futur musée de Washington. « Les objets cultuels m’inspirent. Ils ont leur propre langage. Ils portent l’ADN de l’Afrique », dit-il. Ses goûts le portent aussi vers les paysages urbains des capitales africaines. David Adjaye a entrepris de photographier méthodiquement les villes d’Afrique, leurs mutations et évolutions imprévues, en fonction des résonances qu’il peut trouver avec ses propres préoccupations d’architecte – et en particulier la notion de frontières entre intérieur et extérieur, particulièrement fluide sur le continent. Ce travail, toujours en cours, a débouché sur une exposition au Design Museum de Londres, en 2009, puis sur l’exposition « Geo-Graphics » de Bruxelles, dans le cadre de L’Afrique visionnaire…
L’homme a-t-il une place dans la vie de l’architecte ? Sans sécheresse excessive, la question est balayée : « Je ne suis pas marié. Je n’ai pas d’enfants. » Avant de laisser le courant d’air repartir, on apprendra tout de même qu’Adjaye fait des petits : il enseigne à Princeton et Barcelone.
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