Quand le Hezbollah et Tsahal préparent la guerre
La probable inculpation de membres du Hezbollah par le tribunal spécial de l’ONU dans l’enquête sur l’assassinat de Rafic Hariri pourrait plonger le pays du Cèdre dans une crise majeure. Et provoquer une nouvelle escalade avec l’État hébreu, qui se prépare activement à l’éventualité d’un conflit armé.
Au moment où son gouvernement s’enfonce dans la paralysie, le Liban s’est vu gratifier par Israël d’un nouveau casse-tête. Le 17 novembre, le cabinet de Benyamin Netanyahou a approuvé le retrait de la partie nord de Ghajar, une localité à cheval sur la ligne bleue, la frontière tracée par l’ONU après le départ des forces israéliennes du Sud-Liban, en 2000. Cette décision, conforme à la résolution 1701, qui a mis fin au conflit entre Israël et le Hezbollah il y a quatre ans, a été favorablement accueillie par la communauté internationale. En pratique, une fois le retrait achevé, la section du village située en territoire libanais passera sous contrôle sécuritaire de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul). Seulement voilà, les 2 300 habitants de ce village, des alaouites syriens détenteurs également de la nationalité israélienne, s’y opposent catégoriquement. « Nous n’avons rien à voir avec le Liban, s’insurge Najib Khatib, le porte-parole de la localité. Et on ne peut pas exiger des habitants du secteur nord qu’ils soient soumis au contrôle des Casques bleus pour se rendre dans les institutions du village, toutes situées dans la partie sud. »
Un retrait qui tombe mal
Qualifiée de « ruse » par le Hezbollah, l’évacuation de Ghajar provoque aussi bien l’embarras que la colère des autorités libanaises, qui supportent mal de voir leur souveraineté contestée sur ce territoire de 42 km2. Le président du Parlement, Nabih Berri, l’une des rares figures politiques à avoir réagi à cette annonce, y voit très clairement un piège destiné à délégitimer le mouvement chiite : « En attendant de parvenir à une position libanaise unifiée sur la manière d’envisager la portée de cette décision, nous continuerons à réaffirmer que la résistance est une nécessité nationale pour faire face à l’agressivité d’Israël. » Il faut dire qu’en coordonnant son retrait avec la Finul l’État hébreu est doublement gagnant : en plus d’obtenir un quitus international, il reste maître de sa sécurité, puisque la force onusienne aura pour mission d’empêcher l’infiltration de militants du Hezbollah dans cette localité frontalière. Une telle prérogative risque bien de raviver les tensions avec la Finul. À la fin de juillet, le Parti de Dieu avait déjà adressé une sérieuse mise en garde à l’endroit des Casques bleus, accusés d’outrepasser leur rôle en pénétrant à l’intérieur des villages chiites pour y mener des fouilles. Plusieurs patrouilles avaient alors été violemment prises à partie par la population.
Un habitant du village de Ghajar montrant sa carte
d’identité syrienne, le 17 novembre.
© Baz Ratner/Reuters
Cette fois, le contexte est nettement plus sensible. Lourdement incriminé dans l’enquête sur l’assassinat, en 2005, du Premier ministre Rafic Hariri, le Hezbollah semble acculé de toutes parts et pourrait être poussé à la faute. Son chef, Hassan Nasrallah, a haussé le ton : « Ceux qui sont impatients de voir publié l’acte d’accusation et qui pensent que nous allons permettre l’arrestation d’un seul de nos militants se trompent. Nous couperons la main qui se tendra vers un seul d’entre eux. » Plusieurs tentatives d’intimidation ont d’ores et déjà visé les enquêteurs du Tribunal spécial pour le Liban (TSL), mis en place par l’ONU. La crainte d’un embrasement est également renforcée par les propos alarmants du vieux général chrétien Michel Aoun, allié de l’organisation chiite : « La réaction sera d’autant plus forte qu’il [le Hezbollah, NDLR] est innocent. Il ne faut pas jouer avec le feu. Quelqu’un qui se considère innocent peut déclencher une grande crise à caractère militaire. »
Rapport secret
Au début de novembre, le quotidien d’opposition libanais Al-Akhbar avait été le premier à souffler sur les braises de la guerre civile en révélant la teneur d’un rapport confidentiel du Hezbollah selon lequel le parti chiite prendrait le contrôle de larges portions du pays dès la remise des conclusions du TSL. En moins de deux heures, Beyrouth serait ainsi divisé en trois zones militaires, toutes quadrillées par les miliciens chiites. Présenté comme non violent, le plan prévoit, en outre, l’arrestation de responsables libanais accusés par la Syrie d’avoir livré de faux témoignages à la justice. Le Grand Sérail, siège du gouvernement, tomberait également entre les mains de l’organisation islamiste. Ce scénario n’est pas sans rappeler les événements de mai 2008. En réaction à une enquête sur ses réseaux de télécommunication – qui avait entraîné sa mise à l’écart du contrôle sécuritaire de l’aéroport de Beyrouth –, le Hezbollah avait investi les quartiers ouest de la capitale, à majorité sunnite. L’armée ne s’était alors pas interposée dans les combats, qui avaient fait près d’une centaine de morts en quinze jours.
Ces rumeurs de déstabilisation inquiètent au plus haut point le voisin israélien. Lors d’une récente visite au Canada, le chef d’état-major de Tsahal, Gaby Ashkenazi, a ainsi estimé qu’il existait « une menace réelle de coup d’État du Hezbollah pour prendre le pouvoir au Liban ». Les responsables israéliens n’excluent pas non plus qu’une action hostile soit menée contre leur territoire, une façon pour Hassan Nasrallah de détourner l’attention. L’hypothèse d’une escalade paraît d’autant plus plausible que le Parti de Dieu ne cesse de marteler que l’État hébreu est l’instigateur de la mort de Rafic Hariri et qu’il orchestre l’actuelle commission d’enquête.
Depuis de longs mois, Israël se prépare activement à l’éventualité d’un second round contre le Hezbollah : distribution de masques à gaz à la population, exercices de défense passive et manœuvres militaires à répétition constituent autant d’indicateurs visibles sur l’imminence d’un conflit d’envergure qui pourrait également inclure la Syrie. À défaut d’avoir pu empêcher le réarmement de sa bête noire après la deuxième guerre du Liban, l’État hébreu se tient prêt à agir face à ce qu’il considère comme une « menace stratégique ». Depuis 2006, profitant de la porosité de la frontière syro-libanaise, l’organisation chiite a triplé son arsenal et détiendrait aujourd’hui près de 40 000 roquettes, dont un tiers peuvent atteindre un rayon situé entre Tel-Aviv et Dimona, dans le désert du Néguev. Pour les renseignements militaires israéliens, une ligne jaune serait franchie depuis avril dernier, date à laquelle le Hezbollah aurait obtenu la livraison de missiles Scud et M-600, deux engins pouvant être dotés de charges non conventionnelles.
Contentieux gazier
Cet été, l’armée israélienne a même fait craindre une attaque préventive en révélant, sur la base de photographies et d’images satellites, l’emplacement exact de plusieurs dizaines de positions chiites au Sud-Liban. Déstabilisé par ces révélations, le Hezbollah avait placé ses forces en état d’alerte, jurant qu’en cas de provocation il déclencherait un déluge de feu sur les villes israéliennes. Le calme précaire qui règne à la frontière israélo-libanaise ne fait illusion pour personne. L’armée libanaise reste plus que jamais sur ses gardes depuis qu’un violent accrochage l’a opposée aux forces israéliennes en juillet dernier, faisant trois morts dans ses rangs. « Vous devez rester à l’affût de l’ennemi israélien et surveiller ses manigances », a déclaré le général Jean Kahwaji à l’occasion des festivités marquant le 67e anniversaire de l’indépendance du Liban, le 22 novembre.
Le casus belli pourrait cependant venir des mers avec la découverte de 453 milliards de m3 de gaz au large de la ville portuaire de Haïfa. Même si les prospections réalisées en juin dernier se situent bien dans les eaux israéliennes, il n’a pas encore été possible de déterminer avec exactitude l’étendue de cette nappe, qui représente une source de revenus colossale. Pour les experts énergétiques, elle se situe entre les eaux israéliennes, libanaises et chypriotes. Alors qu’Israël vient d’entamer le forage offshore, Beyrouth hausse le ton. « Tirer parti d’un gisement potentiellement commun, c’est violer les droits du Liban », a déclaré le député Ali Hassan Khalil. Le ministre israélien des Infrastructures, Ouzi Landau, ne l’entend pas de cette oreille : « Nous n’hésiterons pas à recourir à la force pour faire respecter notre droit maritime. » Sans surprise, le Hezbollah a immédiatement saisi la balle au bond pour ajouter le nouveau contentieux gazier à sa rhétorique contre Israël.
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