Hissène Habré, accusé en sursis
La récente décision de la Cour de justice de la Cedeao recommandant l’institution d’un tribunal spécial pour le cas Hissène Habré paraît inapplicable, car trop onéreuse. L’UA devrait donc bientôt faire une contre-proposition pour permettre enfin au Sénégal de juger l’ancien dictateur tchadien.
Ils sont nombreux autour de la table, ce 24 novembre, à l’hôtel Méridien Président de Dakar. Il y a là les représentants de l’Union européenne (UE), de l’Union africaine (UA), de la France, des États-Unis, de la Belgique, de l’Allemagne… bref, de tous les bailleurs de fonds qui ont accepté de contribuer au financement du procès de Hissène Habré. Chassé du pouvoir en 1990, après huit années passées à la tête du Tchad, l’ancien dictateur a trouvé refuge au Sénégal. Il s’y trouve encore aujourd’hui.
Mais n’eût été l’insistance des associations de défense des droits de l’homme et des avocats des familles des victimes, la réunion aurait été annulée. Le 19 novembre, la Cour de justice de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a en effet déclaré que, seul, le Sénégal ne pouvait pas juger Hissène Habré et a préconisé la mise en place d’un tribunal spécial.
Le 24 novembre, les donateurs ont malgré tout continué à plancher sur le financement d’un procès conduit par la justice sénégalaise. Le budget qui leur avait été proposé par Dakar (27 millions d’euros) a été jugé excessif ; ils se sont donc mis d’accord sur une enveloppe de 8,6 millions d’euros – une proposition élaborée conjointement par des experts de l’UE et de l’UA. Parmi les principaux contributeurs figurent le Tchad, qui s’est engagé à contribuer à hauteur de 3 millions d’euros, l’UE, qui apportera 2 millions d’euros, les États-Unis (1,4 million) ou encore l’UA (à hauteur de 740 000 euros).
Hissène Habré quitte le tribunal de Dakar, le 25 novembre 2005.
© AFP
Des mois de travail
Le financement prévisionnel a donc été bouclé, mais l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao est venu compliquer davantage encore une affaire en souffrance depuis janvier 2000 – depuis que des victimes du président déchu ont porté plainte devant le tribunal hors classe de Dakar. La mise en place d’un tribunal spécial, du type de celui qui a été créé pour le Rwanda, pour l’ex-Yougoslavie ou pour la Sierra Leone, requiert en effet un cadre juridique sophistiqué, une logistique lourde et des moyens financiers colossaux. D’où le scepticisme de Reed Brody, porte-parole de l’ONG Human Rights Watch : « Ce type de tribunal coûte plus de 70 millions d’euros, explique-t-il. Et il a déjà fallu plusieurs mois et beaucoup de travail pour réunir les 8 millions d’euros nécessaires à l’organisation d’un procès de Habré par la justice sénégalaise. » Reed Brody rappelle aussi que « le comité de juristes africains, qui avait été mandaté en 2006 par l’Union africaine pour étudier les différentes options pour le procès de Habré, avait déjà planché sur l’hypothèse d’un tribunal spécial. Et il l’avait écarté au motif que cela coûterait trop cher et retarderait considérablement la tenue du procès ».
C’est sans doute pour contourner cet écueil que Robert Dossou, avocat et représentant spécial de la Commission de l’UA pour le procès Habré, a souligné que l’UA n’était pas liée par la décision de la Cedeao et qu’elle ne tarderait pas à faire une proposition qui permettra un dénouement rapide. Comme la plupart des organisations de défense des droits de l’homme, Robert Dossou penche pour l’organisation d’un procès à Dakar, dans les limites du budget alloué. Il s’agirait alors de créer un tribunal ad hoc composé de magistrats sénégalais et de ne juger Habré que sur quelques-uns des faits qui lui sont reprochés. Des ambitions donc revues à la baisse, mais qui permettraient de faire comparaître l’ancien président tchadien, en une sorte de remake africain des tribunaux spéciaux qui avaient été créés pour le Timor et pour la Bosnie.
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