À contresens
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Tshitenge Lubabu M.K.
Ancien journaliste à Jeune Afrique, spécialiste de la République démocratique du Congo, de l’Afrique centrale et de l’Histoire africaine, Tshitenge Lubabu écrit régulièrement des Post-scriptum depuis son pays natal.
Publié le 27 novembre 2010 Lecture : 3 minutes.
Suis-je en train de rêver ? Non. Je suis toujours à l’arrière de la voiture louée devant un grand hôtel de N’Djamena. Comparé à la grande majorité des véhicules d’âge antédiluvien qui roulent dans la capitale tchadienne, celui-ci semble presque neuf. Le conducteur est un homme jeune, très calme. C’est alors que tout dérape. Je sais, vous mettrez mon propos sur le compte de la fatigue, du délire, de l’affabulation. Rassurez-vous : je n’ai pas le palu. Même si c’était le cas, mes yeux ont bien vu ce qu’ils ont vu.
Je suis donc à N’Djamena en ce mois de novembre. C’est la saison sèche. Le thermomètre monte en flèche. Les Tchadiens, défiant les ardeurs du soleil, vaquent à leurs occupations et marchent en pleine chaussée, à côté des automobilistes, des cyclistes, des motocyclistes. Ici, les rues, comme les avenues, n’ont quasiment pas de trottoir.
Revenons au chauffeur. Il est toujours accroché à son volant. Nous sommes presque arrivés à destination. Soudain, le loustic braque à gauche, traverse, d’un coup d’un seul, le terre-plein central, et l’on se retrouve, du même coup, sur la voie opposée, roulant à contresens. Paniqué à la vue du flot de véhicules qui foncent littéralement sur nous, je proteste énergiquement : « Comment pouvez-vous faire une chose pareille ? Qui vous a appris à traverser un terre-plein ? Et à rouler en sens inverse ? » Sans manifester la moindre émotion, droit dans ses bottes, le chauffard me répond : « J’ai simplement pris un raccourci pour aller vite au lieu d’attendre l’intersection. Ici, c’est comme ça. Ce n’est pas grave. » Ben voyons ! Irresponsable décérébré ! Et j’en ai vu d’autres, enfermés dans la même logique, qui se moquent de la prudence la plus élémentaire, du respect le plus basique des règles – et des autres.
Quand je vois un cadre représentant son pays à un colloque sur l’environnement jeter dans la rue une bouteille en plastique sans se gêner ; quand des pères et mères de famille transforment leurs quartiers en décharges publiques en se plaignant de l’insalubrité ; quand, au nom d’un prétendu rang social, d’incontournables malotrus refusent de faire la queue pour attendre leur tour dans un lieu public… je l’avoue, je suis troublé. Je ne le comprends pas. Démission collective, dites-vous ?
J’en arrive à me demander s’il n’existe pas, tout compte fait, une culture africaine de l’incivisme, du non-respect des règles établies. Dans Et si l’Afrique refusait le développement ?, la Camerounaise Axelle Kabou a parlé de notre allergie au changement. Le Malien Moussa Konaté met l’accent, dans L’Afrique noire est-elle maudite ?, sur le poids écrasant des traditions. Le sociologue français Hugues Lagrange, auteur du Déni des cultures, se réfère aussi à l’héritage culturel pour expliquer l’inconduite des jeunes Noirs des banlieues françaises… Cela suffit-il pour comprendre l’attitude de ceux qui, en Afrique, se moquent de la tranquillité des autres en déversant sur eux, nuit et jour, des décibels par centaines ? Moi qui ne partage pas cette vision culturaliste du monde, c’est de bêtise dont je préfère parler. Laquelle est, comme chacun le sait, la chose la mieux partagée par l’humanité.
N’empêche, entre le bruit et la fureur, l’incivisme prospère. Tout comme les passe-droits. Mais il n’y a pas, faut-il le redire, de prédisposition africaine à cette façon d’être. Le problème, c’est l’éducation. Il faut éduquer et rééduquer. C’est la clé du changement. Et c’est un chantier abyssal.
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