Ces nègres qui n’aiment pas travailler

Publié le 30 novembre 2010 Lecture : 3 minutes.

Le 15 octobre 2010, parlant de la création du parfum Samsara, de LVMH, sur la chaîne France 2, le parfumeur Jean-Paul Guerlain a déclaré : « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… » Plus inquiet de l’image de ses parfums que de celle des Noirs, il a ensuite fait part de ses regrets par simple courriel, « avec le souhait que cela ne nuise pas à l’entreprise ». L’expression « travailler comme un nègre » signifie travailler durement. Paradoxalement, le nègre a toujours été considéré comme n’aimant pas travailler. Ce préjugé s’adresse aussi bien aux Noirs d’Afrique qu’à ceux de la diaspora, dont beaucoup, en Europe et aux États-Unis, sont considérés comme de simples délinquants.

Il est pertinent d’interroger l’Histoire pour analyser la notion de travail pendant la période coloniale afin d’appréhender, sinon de comprendre, les motivations des Noirs par rapport au travail. De même, on devrait s’intéresser au management, notamment dans le cadre des performances liées à la motivation des salariés dans l’entreprise. Pas seulement des Noirs !

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Le fait colonial est caractérisé par le travail forcé. Durant la colonisation, les Africains ont construit les routes et les voies de chemins de fer à coups de fouet. André Gide, dans Voyage au Congo, restitue « l’effroyable consommateur de vies humaines » que fut le chemin de fer Congo-Océan en 1921. Le recrutement de la main-d’œuvre s’apparentait à une chasse à l’homme. Partant du préjugé selon lequel les Noirs n’aiment pas travailler, il fallait les y obliger. Mais ces infrastructures répondaient surtout aux besoins des Européens. L’utilité publique mise en avant n’était pas partagée par tous.

La France avait institué l’infériorité des indigènes à travers le code de l’indigénat adopté le 28 juin 1881. La répression instaurée par les autorités coloniales n’a pas empêché les résistances : révoltes, refus de payer l’impôt, etc. Patrice Emery Lumumba déclarait en 1960 : « Nous avons connu le travail harassant, exigé en échange de salaires qui ne nous permettaient ni de manger à notre faim, ni de nous vêtir ou de nous loger décemment, ni d’élever nos enfants comme des êtres chers. Nous avons connu les ironies, les insultes, les coups que nous devions subir matin, midi et soir, parce que nous étions nègres. » Cinquante ans après, les coups physiques ont laissé place aux coups moraux. Les préjugés du « patron » Guerlain illustrent le fait raciste dans le monde du travail actuel.

Combien de Noirs qualifiés sont au chômage ? Combien d’entre eux, surdiplômés, travaillent comme ouvriers en Europe ? Quand ils exercent dans leurs domaines de compétences, force est de constater que leur évolution vers des postes de management n’est pas acquise. Par ailleurs, en Afrique, les travailleurs sont conscients du fait que l’exploitation des ressources naturelles de leurs pays ne profite qu’à une infime partie de la population (les gouvernants) et aux puissances occidentales. La question de la motivation au travail est de facto posée.

Depuis les années 1920, des chercheurs s’intéressent à l’impact des conditions de travail sur la productivité des salariés. L’école des relations humaines (représentée, entre autres, par Maslow) a effectué des recherches sur la nature et le fonctionnement de la motivation. Un salarié est d’autant plus productif qu’il est satisfait par son travail. L’énergie et la compétence ne sont que des moyens, car la question décisive n’est pas celle du comment, mais celle du pourquoi. Pourquoi s’impliquer dans un travail qui n’apporte aucune satisfaction ?

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En définitive, à supposer que la démotivation des Noirs au travail soit établie dans certaines circonstances, il est réducteur d’affirmer dans l’absolu que le Noir n’aime pas travailler. À moins de ruminer les thèses odieuses des traites négrières et de l’occupation coloniale du continent africain. Que dire du rôle socio-économique des femmes africaines, à l’exemple de ces Mama Benz qui tiennent le commerce du pagne en Afrique de l’Ouest ? On ne peut nier le courage des travailleurs noirs en Europe, eux qui, dès l’aurore, prennent le métro pour des emplois peu gratifiants. Et de ces sans-papiers qui travaillent dans les cuisines des restaurants chics de Paris, sûrement fréquentés par Guerlain.

Les Noirs ont compris depuis longtemps qu’ils sont obligés de faire trois fois plus que les autres pour être reconnus. C’est parce qu’Obama a compris le sens de l’effort et du travail qu’il est aujourd’hui à la tête du pays le plus puissant du monde.

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Félicité Sathoud est chargée de cours à l’université d’Évry, France.

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