Quand le roman dit la vérité

Dans son dernier livre, notre collaboratrice Joséphine Dedet revient sur les tribulations d’un trio haut en couleur : le réalisateur Erich von Stroheim, l’actrice Gloria Swanson et son amant Joseph Kennedy.

Détail de la couverture de « L’Homme que vous aimerez haïr », de Joséphine Dedet. © Belfond

Détail de la couverture de « L’Homme que vous aimerez haïr », de Joséphine Dedet. © Belfond

Fouad Laroui © DR

Publié le 30 novembre 2010 Lecture : 3 minutes.

Depuis Roxane l’éblouissante, qui avait révélé un talent d’écriture parfaitement maîtrisé et une grande maturité dans l’expression des sentiments humains, on attendait avec impatience, mais aussi avec un peu d’appréhension, le prochain roman de Joséphine Dedet. Serait-il à la hauteur d’une telle réussite ? Disons d’emblée que L’Homme que vous aimerez haïr ne déçoit pas, bien au contraire : c’est de bout en bout un plaisir (parfois un peu pervers…) de suivre les tribulations et les cogitations de « Von ».

Von ? Il s’agit de nul autre que du fameux Erich von Stroheim, de son vrai nom Eric Oswald Stroheim, réalisateur aussi génial que fantasque, acteur non moins talentueux (c’est le commandant à la minerve dans La Grande Illusion, de Jean Renoir), et à propos duquel le dictionnaire nous apprend qu’il est né le 22 septembre 1885 à Vienne et mort le 12 mai 1957 à Maurepas, en France. Avec un passage par l’Amérique, bien sûr, dont il fit la conquête par Hollywood, l’usine à rêves.

la suite après cette publicité

Mais il n’y a pas que Von dans cette histoire, on allait dire « ce film ». Quelle distribution ! Il y a d’abord le trio haut en couleur que forment, avec Erich von Stroheim, la belle Gloria Swanson et son amant Joseph Kennedy (oui, oui, le père de John, Robert et Teddy…). Joséphine Dedet n’est ni intimidée ni impressionnée par ses personnages, larger than life, comme disent les Américains, des personnages qui présentent quand même le redoutable inconvénient d’avoir vraiment existé, le plus souvent sous les spotlights… Elle les manipule avec maestria, comme si elle les avait tirés d’un chapeau. L’intrigue est d’ailleurs obligeamment résumée à mi-chemin, comme dans tout polar qui se respecte : « Un père qui joue les maîtres chanteurs, puis oublie de venir ramasser son butin. Des lettres anonymes, sans menaces précises ni timbres […]. Une star qui se plaint d’être espionnée, tout en paraissant connaître les moindres recoins de ma chambre alors qu’elle n’y a jamais mis les pieds. Un homme d’affaires en fuite. Un chef-d’œuvre inachevé. » On n’en dira pas plus. Le dénouement est exactement ce à quoi on s’attendait : imprévisible…

Féconde trouvaille

Le coup de génie est d’avoir fait de Von un voyeur. La trouvaille est féconde, car elle permet au récit de n’avoir qu’un seul narrateur, ce qui en assure la cohérence, tout en rendant ce narrateur omniscient : l’œil collé à un trou percé dans le mur, il voit tout, entend tout de ce qui se passe dans la chambre d’à côté, celle de Gloria. Il assiste ainsi (et nous aussi) aux scènes où Jo Kennedy et son amante parlent de lui, excédés mais fascinés, ce qui satisfait à la fois son masochisme et son infinie vanité.

Un mot de l’art du roman. Joséphine Dedet ressemble à ces footballeurs qui font le bonheur de leur coach car ils peuvent jouer à tous les postes. Elle est parfaitement à l’aise dans la progression narrative, dans l’esquisse des décors, dans les dialogues (avis aux producteurs éventuels : les dialogues du film sont déjà faits…). Les allers-retours entre le présent ce film, Le Bourbier, qui n’en finit pas de s’enliser – et le passé – la vie étriquée et obscure du jeune Stroheim à Vienne, dans l’Empire austro-hongrois – finissent par donner le vrai sens de ce roman, qui en acquiert une dimension psychologique fascinante. Chaque homme cache sa blessure la plus secrète. Elle détermine pourtant son caractère, ses passions, ses faiblesses, sa vie. Quelle était la blessure de Von ? Lisez l’analyse du Dr Dedet…

la suite après cette publicité

« L’homme que vous aimerez haïr » était vraiment le surnom qu’avaient donné à von Stroheim les producteurs de Hollywood, rendus fous par ses exigences et les budgets faramineux qu’atteignaient ses films. En tout cas, le pari de Joséphine Dedet est tenu : on a aimé haïr Von. Que dis-je, aimé ? Adoré…

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires