Au rythme du Mali

De Salif Keita à Oumou Sangaré en passant par Toumani Diabaté, une kyrielle d’artistes capte et retient l’attention du monde. Retour sur un véritable phénomène.

Toumani Diabaté avec Ali Farka Touré, en 2005. © Youri Lenquette

Toumani Diabaté avec Ali Farka Touré, en 2005. © Youri Lenquette

Publié le 30 novembre 2010 Lecture : 4 minutes.

Habib Koité, Tinariwen, le Super Rail Band, Boubacar Traoré, Nahawa Doumbia, Lobi Traoré… On n’en finirait pas d’égrener les noms connus sur la scène internationale, qui témoignent ou ont témoigné du phénoménal talent musical du Mali. De la voix d’or de Salif Keita à la souriante diva engagée pour la cause des femmes Oumou Sangaré, ou à l’agriculteur chanteur et guitariste Ali Farka Touré, décédé en 2006, lauréat de deux Grammy Awards (en 1994, pour Talking Timbuktu, avec Ry Cooder, et en 2006 pour In the Heart of the Moon, enregistré avec le joueur de kora Toumani Diabaté). Sans oublier Amadou et Mariam ou Rokia Traoré, découverte à 23 ans (en 1997) au festival Musiques métisses d’Angoulême (France). D’ici à la fin de l’année, Cheick Tidiane Seck, Toumani Diabaté, Moriba Koïta, Bassekou Kouyaté… se produiront en région parisienne*.

À l’inverse, de nombreux musiciens d’Europe viennent à Bamako à la rencontre de leurs collègues maliens, dont certains ont investi dans des studios d’enregistrement performants. À la fin des années 1990, Salif Keita, star mondiale, lauréat en 2010 d’une Victoire de la musique (équivalent des Grammy Awards américains) en France, pour son album La Différence, dédié aux albinos, ouvrait le sien. Il y a moins d’un an, fin 2009, Toumani Diabaté, héros universel de la kora, faisait visiter celui qu’il venait de construire sur la terrasse de sa maison. Un studio haut de gamme qui permet de procéder sur place à toutes les étapes des enregistrements, jusqu’au mastering. « Je me réjouis d’avoir un tel lieu de travail, directement à la maison, expliquait-il alors. Cela me permet de prendre mon temps, d’enregistrer sans problème avec les musiciens d’ici. » On évite ainsi les démarches pour l’obtention aléatoire de visas, commentait le musicien.

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Le Mali et sa capitale seraient-ils devenus le nouvel épicentre de l’activité musicale en Afrique de l’Ouest, comme le fut Abidjan, détenteur du premier rôle à partir de 1975 ? Pas d’emballement ! Le tableau est loin d’être idyllique. Ici comme ailleurs sur le continent, bien avant que l’on ne parle en Occident des effets dévastateurs du téléchargement illégal, les pirates ont commencé à étouffer le foisonnant vivier des artistes maliens. Sans compter d’autres contingences locales plus récentes.

« Ils ont rasé le Hogon pour construire une mosquée ! » Dans la cour plantée de manguiers d’un hôtel calme de Bamako, à cinq minutes de l’effervescence du centre-ville, un homme s’énerve. Nous sommes en 2009. Le bon vivant et habituellement affable claviériste et chanteur Cheick Tidiane Seck arrive de Ségou, sa ville natale, où il parrainait la 5e édition du Festival sur le Niger, clôturé par sa compatriote Oumou Sangaré. Le Hogon était l’un des hauts lieux de la vie nocturne de la capitale malienne, où se produisait régulièrement Toumani Diabaté.

Une fois sa colère évacuée, Cheick Tidiane Seck raconte ce jour-là son adolescence à Sikasso, où il a connu Amadou Bagayoko, la moitié masculine du tandem Amadou et Mariam, plébiscité par le public rock occidental (en 2009, le couple a assuré les premières parties de Blur à Hyde Park, à Londres, et de la tournée américaine du groupe anglais Coldplay). Cheick Tidiane Seck a démarré sa carrière dans le Rail Band, l’orchestre du buffet de la gare de Bamako. Une institution, une légende, une page de l’histoire musicale du continent. Fondé en 1970 sous la tutelle de la Régie des chemins de fer du Mali pour animer les jardins du Buffet-Hôtel de la gare de Bamako, le Rail Band, avant de devenir quelques années plus tard le Super Rail Band de Bamako, s’affirme dès le départ comme l’un des précurseurs de la musique moderne malienne. Il est placé d’abord sous la direction du saxophoniste Tidiane Koné, chargé de recruter des musiciens et des chanteurs capables de « revaloriser le patrimoine culturel » du pays.

À l’instar de ce qui s’est passé en Guinée, où, sous l’impulsion du président Sékou Touré, des orchestres officiels avaient vu le jour à travers tout le pays pour composer un répertoire avec un son moderne tout en faisant référence à la tradition, au Mali, la construction d’une identité nationale au moment de la décolonisation s’accompagne d’une politique culturelle valorisant l’« authenticité ». Le nouveau son du Mali s’exprime notamment à travers le Rail Band, mais également à travers des groupes tels que les Ambassadeurs du motel, l’Orchestre national « A » ou le Badema. Parmi les musiciens qui feront la réputation du Rail Band, il y a l’épatant guitariste Djelimady Tounkara, à la fois novateur et profondément attaché aux traditions malinkée et bambara, descendant d’une famille de griots. Au Mali, un proverbe dit que « fade est le riz sans sauce, ennuyeux un récit épique sans mensonges, invivable une société sans griots ».

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Le Rail Band a eu comme « pensionnaires » Salif Keita et Mory Kanté, qui, lui, fut embauché d’abord comme balafoniste, puis comme guitariste, avant de remplacer au chant Salif Keita, parti rejoindre l’orchestre concurrent, les Ambassadeurs du motel. Plus récemment, la riche diversité de la musique malienne s’exprimait également à travers la voix du groupe tamasheq Tinariwen, groupe phare et emblématique de la résistance touarègue des années 1990. Autre genre porteur de sens sur le continent, le hip-hop a au Mali, comme au Sénégal ou au Burkina Faso, révélé quelques jeunes pousses prometteuses ces dernières années, telles que le trio Smod, dont l’un des membres, Sam, est le fils d’Amadou et Mariam. Derrière les anciens, une jeune génération prend le relais, continuant à perpétuer le riche héritage musical malien.

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* Afrocubism (projet réunissant des artistes cubains et maliens), le 5 décembre au Bataclan (Paris), avec, entre autres, Bassekou Kouyaté et Toumani Diabaté : Moriba Koïta, le 28 novembre à Bonneuil-sur-Marne, Badié Tounkara N’Goni Trio, le 17 décembre à Montreuil, et le Noël mandingue, le 24 décembre à Achères, dans le cadre du festival d’Africolor.

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