Coup d’accélérateur indien

Les entreprises du pays avancent leurs pions sur le continent. En cinq ans, elles ont acquis quatre-vingts sociétés dans des secteurs très variés. Mais pour ne pas se faire distancer par Pékin, New Delhi veut aussi s’intéresser aux grands chantiers africains.

Une boutique Zain à Nairobi, au Kenya. © Reuters

Une boutique Zain à Nairobi, au Kenya. © Reuters

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 30 novembre 2010 Lecture : 5 minutes.

De Freetown à Nairobi en passant par Niamey, et de N’Djamena à Antananarivo via Kinshasa, quelque 40 millions d’abonnés de l’opérateur mobile Zain s’apprêtent à devenir, d’ici à la fin de l’année, des clients d’Airtel, la marque commerciale du groupe indien Bharti. Au Gabon, c’est déjà chose faite depuis le 19 novembre. Bharti Airtel, le leader de la téléphonie mobile en Inde, se positionne désormais comme le troisième plus grand opérateur mobile sur l’ensemble du continent, derrière le sud-africain MTN (90 millions d’abonnés) mais devant le groupe français Orange (50 millions).

Cette montée en puissance de l’Inde sur le marché africain de la téléphonie mobile, rendue possible par ce qui est encore la plus grande opération de rachat de l’année en Afrique (l’acquisition des actifs du koweïtien Zain dans quinze pays africains pour 8,5 milliards d’euros), n’est que la face visible de l’offensive que mène le tigre d’Asie sur le continent. Tout comme l’opération réalisée par son compatriote Essar Group, le 9 novembre dernier, au Zimbabwe, pays en pleine reconstruction après plusieurs décennies de crise sociopolitique. Le conglomérat indien pesant près de 15 milliards de dollars (11 milliards d’euros), déjà présent dans la téléphonie mobile au Congo-Brazzaville, a acquis 54 % de l’aciériste Ziscosteel pour 500 millions de dollars. Et il s’est engagé auprès des autorités de ce pays à relancer la société zimbabwéenne, autrefois poids lourd africain de la métallurgie (1 million de tonnes d’acier produit par an), et qui avait suspendu ses activités en 2008, en raison d’une dette de plus de 300 millions de dollars.

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Accélérer les acquisitions

« L’Inde va accroître, dans les années à venir, ses financements et sa présence dans la réalisation de grands projets en Afrique », prédit Olivier Guillard, directeur de recherche à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris, à Paris). Sur ces cinq dernières années en effet, la troisième puissance économique d’Asie a d’ailleurs déjà accéléré ses acquisitions sur le continent. Selon les chiffres de l’agence Bloomberg, environ quatre-vingts acquisitions et prises de participation ont été réalisées par les entreprises indiennes en Afrique depuis 2005, pour un montant de 16 milliards de dollars.

Si le montant de ces investissements est encore loin derrière ceux de la Chine (31 milliards de dollars au cours des cinq dernières années), ils ont la particularité d’être conclus très souvent – à quelques exceptions près – sans tambour ni trompette, mais surtout d’être réalisés dans des secteurs très variés allant de l’énergie à tous les biens de consommation, en passant par la pharmacie.

Ainsi, pendant que tous les regards étaient focalisés sur le rachat des activités africaines de Zain par Bharti Airtel en juin dernier, Godrej Consumer Products (GCP), un groupe spécialisé dans les produits cosmétiques à bas prix basé à Mumbai (ex-Bombay), rachetait au même moment le fabricant de savon nigérian Tura, dont les produits sont commercialisés dans toute l’Afrique de l’Ouest. Le montant de l’opération n’a pas été révélé, mais, en 2008 déjà, GCP avait racheté le sud-africain Kinky, fabricant de produits de soins pour les cheveux, pour un montant de 27 millions d’euros.

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Au Maroc, Tata Hispano, filiale du géant indien Tata Motors spécialisée dans la conception et la commercialisation de bus, vient d’annoncer un investissement de 8 millions d’euros dans une chaîne d’assemblage pour augmenter sa production et ses exportations vers l’Afrique subsaharienne. Dans le royaume, le groupe Tata est présent dans la fabrication d’acide phosphorique, en coentreprise avec l’Office chérifien des phosphates (OCP), et dans plusieurs SS2I.

Autre exemple : Karuturi Global, l’un des leaders mondiaux de la production de roses, s’apprête à lever plus de 100 millions de dollars pour louer des terres en Éthiopie et produire des denrées alimentaires pour le marché est-africain. Bloqué par des difficultés d’acquisition de terres en Inde, le groupe Karuturi s’est tourné vers l’Afrique et a acheté ses premières parcelles en Éthiopie en 2004 pour augmenter sa production. Depuis, ses revenus ont été multipliés par onze, pour atteindre plus de 110 millions de dollars.

En fait, « les sociétés indiennes, qui sont déjà bien implantées sur leur marché domestique, misent sur l’Afrique comme un relais de croissance à moyen et à long terme », explique un homme d’affaires ouest-africain fraîchement rentré d’Inde. Certes, leur marché intérieur est encore en pleine croissance, mais, comme toutes les grandes compagnies internationales, les indiennes sont très attirées par la montée d’une classe moyenne en Afrique. Selon les derniers chiffres de Proparco, la branche de l’Agence française de développement (AFD) destinée au secteur privé, les consommateurs africains solvables seront 132 millions en 2020 et dépenseront quelque 584 milliards de dollars par an. « Les groupes indiens veulent se positionner comme une alternative à la Chine en apportant, outre le capital, le savoir-faire. Ils sont dans une démarche de production locale avec, à la clé, des créations d’emplois », explique un avocat d’affaires. D’après ce dernier, les entreprises indiennes sont convaincues de pouvoir reproduire en Afrique leur modèle très efficace de production à bas coût.

Mais il n’est pas sûr que cela soit suffisant pour la conquête du marché africain, face à l’impressionnant rouleau compresseur chinois. Surtout que, très souvent, les négociations peuvent prendre beaucoup de temps avant la conclusion d’une acquisition et d’une prise de participation. De fait, le gouvernement indien est en train de repenser et de restructurer sa stratégie en Afrique, avec à la clé l’instauration de davantage de négociations d’État à État. « Comme la Chine, l’Inde se placera de plus en plus sur des grands projets comme la construction de routes, de raffineries… », explique Olivier Guillard. Autrement dit, l’Inde est en passe de compléter sa stratégie d’approche du marché et d’y inclure le modèle chinois : infrastructures contre pétrole et minerais.

Soutenir son industrialisation

« Il ne faut pas se leurrer, affirme le chercheur de l’Iris, la priorité des Indiens, c’est d’abord l’approvisionnement en énergie et en ressources minérales dont le pays a besoin pour soutenir son industrialisation. » Pour preuve, la décision de l’Inde, dont les réserves de change sont estimées à plus de 250 milliards de dollars, de créer pour la première fois un fonds souverain destiné à financer les acquisitions de la société publique Oil and Natural Gas Corporation (ONGC) à l’étranger, notamment en Afrique. Dans le viseur du sous-continent : l’or noir de l’Angola, du Soudan, de l’Ouganda (lac Albert)… En effet, début novembre, le gouvernement indien a officiellement manifesté son intérêt pour le pétrole angolais. Ainsi, ONGC pourrait proposer très prochainement à ExxonMobil 2 milliards de dollars pour racheter ses actifs dans l’offshore de ce pays. Les compagnies pétrolières du pays (ONGC, Oil India Ltd, Essar Oil et Reliance Industries) sont très peu présentes dans l’exploration et la production en Afrique. Et pourtant, les hydrocarbures sont vitaux pour un pays qui importe 80 % de ses besoins et doit trouver de nouvelles ressources pour alimenter ses raffineries et soutenir sa croissance.

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