Gouvernement de survie

Fin de l’ouverture à gauche, repli sur le noyau dur gaullo-chiraquien… La nouvelle équipe, dirigée comme la précédente par François Fillon, n’a qu’un objectif : rassurer un électorat de droite largement déboussolé, afin de faire réélire Nicolas Sarkozy en 2012.

Publié le 23 novembre 2010 Lecture : 6 minutes.

Avec un humour effronté qu’on ne lui connaissait guère, c’est Christine Lagarde, la ministre des Finances, qui a le mieux défini le remaniement : « On a un gouvernement totalement révolutionnaire… » Et d’ajouter, malignement : « …puisque le principe de toute révolution, c’est que vous faites un tour complet, à 360° ». La géométrie n’est pas seule à lui donner raison. Ce gouvernement, qui devait être de grande ampleur lorsque Nicolas Sarkozy l’a annoncé dans l’attente inquiète des élections régionales, se réduit finalement à une équipe de combat pour la survie du régime et de son chef, repliée sur ses bases gaullistes et ramenée à ses fondamentaux sarkozistes. Car, ainsi que le remarque Jean-Pierre Raffarin, « les conditions d’une victoire en 2012 ne sont pas actuellement réunies ». Alain Juppé était allé plus loin en se réservant d’être candidat si Sarkozy devait renoncer.

Telle est la principale explication de la victoire finale de François Fillon sur Jean-Louis Borloo. Après cinq mois de luttes d’influence et de règlement de comptes entre les entourages des deux prétendants, le Premier ministre est apparu le mieux placé pour diriger cette équipe du moindre risque face à une situation grosse de dangers. Avec lui, Sarkozy sait quels atouts il conserve dans son jeu.

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D’abord, une plus-value de popularité, qui, depuis deux ans et demi, ne s’est jamais démentie. Après la cuisante défaite de la droite aux régionales, 61 % des Français souhaitaient que Fillon reste à Matignon.

Ensuite, une garantie de loyauté qui exclut tout risque pour le chef de l’État de connaître à son détriment un « remake » de la dissidence balladurienne, qu’il avait malencontreusement soutenu en 1995. Et cela bien que 52 % des Français, selon ces mêmes sondages, voient en Fillon le meilleur candidat de la droite pour la présidentielle de 2012, contre 28 % seulement pour l’hôte de l’Élysée.

Troisième avantage, et non des moindres, le Premier ministre dispose du soutien constant de la majorité parlementaire, dont le président, malgré ses talents exceptionnels de meneur de campagne, aura le plus grand besoin pour l’organisation de ses tournées électorales. Sans qu’il ait à craindre, là encore, que Fillon, d’ici à cette échéance encore lointaine, se serve de la confiance du Parlement pour confronter sa légitimité à celle du chef de l’État. Avec qui d’autre Sarkozy pouvait-il être assuré de gagner au change ?

Il fut, un moment, tenté de jouer la rupture générationnelle avec Bruno Le Maire ou François Baroin, les ministres quadras de l’Agriculture et du Budget, mais, malgré les promesses de leur jeune carrière, ni l’un ni l’autre ne lui parurent suffisamment expérimentés. C’est pourquoi, au début d’octobre, Jean-Louis Borloo avait encore les faveurs des pronostics. Claude Guéant, l’influent secrétaire général de l’Élysée, n’avait-il pas, dans une émission de radio, vanté ses qualités « d’orfèvre social » ?

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Et puis, soudain, les obstacles se sont accumulés dans la dernière ligne droite. Avec des retournements d’humeur qu’on ne voit qu’en politique, ses attraits de candidat atypique, proche des gens, résolument social et un peu zozo, à l’image plutôt sympathique de sa marionnette des Guignols de l’info, sont devenus autant d’aversions.

À l’UMP, surtout, ce centriste apparaissait comme un utile appoint, mais en aucun cas comme un membre de la famille. Une partie de la majorité ne pardonne toujours pas à Borloo de lui avoir fait perdre cinquante sièges en proposant imprudemment, entre les deux tours des législatives de juin 2007, une TVA sociale aussitôt dénoncée comme une hausse des impôts par Laurent Fabius. C’est alors que sont resurgies, activées par leurs cabinets respectifs, toutes les vieilles inimitiés qui n’ont cessé de l’opposer à Fillon, l’un et l’autre populaires mais de styles radicalement opposés, avec, en toile de fond, un désaccord croissant sur les orientations économiques. Quand Borloo préconisait un « grand virage social » afin de recoller avec les syndicats et d’apaiser le sentiment d’injustice de l’opinion après la crise des retraites, Fillon privilégiait la réduction des déficits pour accélérer la sortie de crise, à l’exemple de l’Allemagne, récompensée de sa rigueur par un taux de croissance sensiblement supérieur à celui de la France.

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À l’Élysée cependant, on balançait encore les pour et les contre des deux options. On savait Fillon prêt à tourner la page de Matignon. Lorsqu’il déclara tout à trac que Sarkozy n’était pas son « mentor », on commença même à se demander s’il ne cherchait pas la rupture, assumant ostensiblement ses « différences » avec le chef de l’État ou critiquant les surenchères en matière de sécurité. Énigmatique, il évoquait pour la suite de sa carrière « de nouveaux challenges, peut-être dans la politique, peut-être en dehors ».

Tout a de nouveau basculé avec sa petite phrase surprise : « On ne gagne rien à changer de cap au milieu de l’action », au risque de paraître forcer la main du chef de l’État en sortant d’un habile attentisme pour se porter candidat à sa propre succession – audace sans précédent dans l’histoire de la république gaullienne. À moins que les deux hommes n’aient secrètement défini les règles d’une sorte de jeu de rôles dans lequel le Premier ministre manifestait son désir de rester à son poste pour aider le chef de l’État à le choisir. Après tout, chacun y trouvait son intérêt : François Fillon faisait figure de sauveur incontournable sans que Nicolas Sarkozy perde la face en accédant à son souhait.

C’est ainsi que le besoin de sécurité a finement prévalu sur les incertitudes du renouvellement, le confort de la continuité sur la thérapie Borloo du choc psychologique. « Il fallait sauver le soldat Sarkozy », conclut le politologue François Miquet-Marty, quand bien même ces cinq mois d’hésitation tranchaient étrangement avec l’image de détermination, de confiance en soi et de certitude d’avoir toujours raison donnée jusqu’ici par le chef de l’État.

Les choix du remaniement répondent en tout point à ce principe de précaution. On déblaie les obstacles, on démine les projets explosifs, on répudie les engagements qui fâchent. Le départ de Bernard Kouchner marque la fin de l’ouverture à gauche, tandis que les arrivées de Michèle Alliot-Marie au Quai d’Orsay (voir ci-contre) et, surtout, d’Alain Juppé au ministère de la Défense – avec rang de ministre d’État, ce qui en fait le numéro deux du gouvernement – achèvent de consolider dans la nouvelle équipe le noyau dur RPR, voire de neutraliser des ambitions latentes.

Changement de ton

C’en est bien fini du débat sur l’identité nationale et de ses liaisons dangereuses avec la politique d’immigration que, il n’y a pas si longtemps, Sarkozy revendiquait avec « fierté ». En délicatesse permanente avec la justice et ses magistrats, le pouvoir compte aussi sur la nomination du centriste Michel Mercier à la chancellerie pour se protéger plus efficacement contre le soupçon endémique parfois, la tentation récurrente – d’influer sur les procédures dans les dossiers sensibles. Dans la même intention, on a décidé, ou accepté, le départ d’Éric Woerth, au prétexte rituel qu’il pourra de la sorte mieux assurer sa défense dans ses démêlés judiciaires.

« Nicolas Sarkozy va-t-il se remanier ? » s’est, ironiquement, interrogé Laurent Fabius. Lors de son entretien télévisé, le 16 novembre, les journalistes n’ont pas manqué de lui poser la question : va-t-il changer non seulement ses méthodes d’hyperprésident, en instaurant une répartition plus équilibrée des rôles au sein du couple Élysée-Matignon, mais aussi, et surtout, son style et ses manières, qui lui ont valu la désaffection progressive d’une large partie de l’opinion ?

Après avoir de nouveau démontré, sur tous les sujets, sa virtuosité d’avocat, balayant les reproches, déplorant les outrances, justifiant chacune de ses décisions au nom de l’intérêt général, bousculant au passage ses interlocuteurs qui le forçaient dans ses retranchements, le chef de l’État a soudain changé de ton. Pour la première fois, avec un accent de gravité inhabituel où transparaissait de l’émotion, il a confié : « Je ne vais évidemment pas m’exonérer de mes responsabilités. Je suis déterminé, mais je suis obligé d’écouter, de me remettre en cause, j’essaie de ne pas être entêté. » Un temps, puis : « Nul n’est indispensable. »

Un Sarkozy nouveau, plus modeste et consensuel, capable d’avouer ses erreurs, est-il en train de naître ? Plutôt de renaître, corrige le socialiste François Hollande, car « il nous a déjà assuré qu’il avait changé ». La gauche en doute, la droite l’espère. Qu’il se remanie ou non, avec à ses côtés un François Fillon renforcé, rien ne pourra plus être tout à fait comme avant.

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