Wole Soyinka : « Candidat à la présidentielle ? Pourquoi pas ! »
De la littérature à la politique, il n’y a qu’un pas que le premier Prix Nobel africain a franchi en créant son propre parti.
À 76 ans, Wole Soyinka n’a rien perdu de sa pugnacité. Auréolé de la tignasse blanche des sages et des rebelles, le premier récipiendaire africain du prix Nobel de littérature, en 1986, distribue les coups de griffe avec la vivacité de celui dont les années n’ont pas entamé la férocité. Aujourd’hui convaincu que la lutte se mène de l’intérieur, l’écrivain nigérian a fait en septembre son entrée en politique et n’exclut pas de porter les couleurs de son tout nouveau parti à l’élection présidentielle de l’année prochaine. Rencontre.
Jeune Afrique : En 2007, vous aviez déclaré à Jeune Afrique que vous ne brigueriez jamais de mandat, laissant entendre que la politique vous intéressait peu. Vous avez pourtant créé votre propre parti en septembre 2010. Pourquoi ce revirement ?
Wole Soyinka : D’abord, je n’avais pas dit que je ne ferais pas de politique, juste que je ne briguerais pas de mandat. Ensuite, tout le monde évolue, et je crois aujourd’hui que c’est de l’intérieur du système qu’on peut faire bouger les choses. Mais que j’aie participé à la création du Democratic Front for a People’s Federation et que j’aie été élu à sa tête ne veut pas dire que je serai automatiquement son candidat à l’élection présidentielle. Le choix du candidat est un exercice de démocratie.
Le Nigeria avait-il besoin d’un nouveau parti politique ?
Créer ce parti nous a pris du temps à mes camarades et à moi. Depuis 2005, nous nous battons pour qu’il soit reconnu. Entre nous, cette formation, nous la surnommons le « Zéro Kobo » : nous n’avons pas un sou, mais nous sommes riches en ressources humaines. Notre objectif est de veiller à la mise en place d’une bonne gouvernance, avec un programme pour mettre l’accent sur l’alphabétisation, l’éducation, la santé et l’accès à l’eau. Nous voulons lutter contre la corruption et l’exploitation abusive des ressources. Au fond, tout comme le Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger, nous voulons réformer le Nigeria, mais sans utiliser la violence. Ce serait une erreur. Le militantisme intellectuel a plus d’impact que celui des armes.
Pensez-vous avoir une chance ?
Il nous suffirait de faire un bon score dans un seul État. Nous pourrions en faire un modèle et montrer au reste du pays ce que sont la bonne gouvernance et le développement.
Plusieurs pays africains, dont le Nigeria, ont fêté cette année le cinquantenaire de leur indépendance. Y avait-il, selon vous, matière à se réjouir ?
Qui dit célébration, dit résultats. Où sont-ils ? Nous n’avons guère avancé sur la voie de la démocratie et revenons sans cesse au point de départ. Nous avons échangé un esclavage contre un autre. Comme à l’époque où les services secrets américains et russes se disputaient le continent, l’Afrique est aujourd’hui encore un champ de bataille. Son marché et ses ressources naturelles sont des enjeux.
Les intellectuels africains, dont vous faites partie, peuvent-ils jouer un rôle dans le développement de l’Afrique ?
Il y a toutes sortes d’intellectuels : les réactionnaires, les anarchistes, les populistes, ceux qui interviennent compulsivement en se mêlant de tout. Il y a aussi ceux qui sont récupérés par les gouvernements, auxquels ils servent de caution morale… Mais les intellectuels engagés… Ils sont soit morts, soit en exil. Ils devraient presque rédiger leur testament avant de prendre la parole ! Pourtant, ce sont de véritables fabriques d’idées et de projets qu’il serait bon que les dirigeants prennent en compte.
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