Luis Moreno-Ocampo, la bête noire du prétoire
Tant pis si ses détracteurs l’accusent de ne s’en prendre qu’aux Africains. Tant pis si les États refusent de coopérer avec la CPI. Le procureur Luis Moreno-Ocampo n’est jamais aussi à l’aise que dans le prétoire. Il y affronte, depuis le 22 novembre, le Congolais Jean-Pierre Bemba.
Qui aura attendu l’ouverture du procès de Jean-Pierre Bemba devant la Cour pénale internationale (CPI), le 22 novembre, avec le plus d’impatience ? L’accusé est « prêt » et « veut y aller », disait récemment l’un de ses avocats. En cellule depuis mai 2008, il s’est échauffé et a joué un rôle actif dans la préparation de sa défense, soufflant souvent des arguments à ses avocats. Le 22 novembre, SA vérité devait commencer à éclater au sujet des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité dont il est accusé.
L’accusateur s’est préparé aussi à un grand numéro. Depuis son élection au poste de procureur de la CPI, en avril 2003, l’Argentin Luis Moreno-Ocampo n’avait encore jamais affronté dans le prétoire un poids lourd comme Jean-Pierre Bemba. Ex-seigneur d’une puissante rébellion, vice-président de la RD Congo pendant trois ans, à quelques pas de la victoire face à Joseph Kabila à la présidentielle de 2006 puis leader de l’opposition : le pedigree de son adversaire a du panache. Plus que celui des trois ex-chefs de milice congolais (Thomas Lubanga, Mathieu Ngudjolo et Germain Katanga) qui ont jusqu’à maintenant été les seuls accusés à comparaître devant la CPI.
Le face-à-face entre Bemba et Moreno-Ocampo est public, filmé et retransmis sur le site internet de la Cour. Au premier, les caméras doivent rappeler des souvenirs de campagne. Le second se remémore peut-être la flamboyante époque de Forum, une émission de téléréalité argentine diffusée à la fin des années 1990 et dans laquelle il tenait le premier rôle. Il y jouait l’« arbitre » entre un quidam et son voisin trop bruyant, un mari et sa femme volage… Sa mission : rabibocher les deux larrons après avoir expliqué le droit, sur un ton affable et pédagogique.
Hyperactif
Luis Moreno-Ocampo, 58 ans, marié et père de quatre enfants, ne s’est jamais contenté d’une officine de juriste. Trop étroit, peut-être, pour cet hyperactif souvent en bras de chemise. Depuis ses débuts, il se frotte aux caméras. Jeune diplômé de la faculté de droit de l’université de Buenos Aires, il est procureur adjoint dans le procès des principaux responsables de la junte argentine, de 1985 à 1987. « On le voyait plus que le procureur », se souvient une juriste. Ensuite, associé dans un cabinet d’avocats, il défend des figures médiatiques comme le footballeur Diego Maradona.
Quand il frappe fort, il aime le faire savoir. Le 14 juillet 2008, il révèle avoir réclamé un mandat d’arrêt contre le président soudanais, Omar el-Béchir. Inédite bien que prévue par le statut de Rome (le texte fondateur de la CPI), l’arrestation d’un chef d’État en exercice est presque une cause perdue. Surtout si l’intéressé se sait visé. Luis Moreno-Ocampo explique ainsi sa démarche à Jeune Afrique : « Arrêter un chef d’État en exercice ne relève pas de l’opération de police. Il faut un consensus des États et donc qu’ils le sachent. Quand Milosevic [l’ancien président serbe, NDLR] a été arrêté, le mandat était public. »
Pour Béatrice Le Fraper, sa conseillère politique jusqu’en mai dernier, avec cette annonce, le procureur fait aussi œuvre de pédagogie : « Il veut absolument expliquer ce qu’il fait pour habituer les États à l’existence de la Cour », dit-elle. Mais les dirigeants du continent ne goûteront pas la leçon de choses. Par solidarité, ils dénoncent les manières unilatérales de Luis Moreno-Ocampo. Ils le soupçonnent d’être sous l’influence des États-Unis, qui n’ont jamais caché leur hostilité au président soudanais. En juillet, après l’ajout du crime de génocide aux crimes de guerre et crimes contre l’humanité déjà reprochés à El-Béchir, l’Union africaine (UA) arrête une position : reconnaissant la CPI pour la plupart, les États membres ne coopéreront pas à l’arrestation du chef de l’État soudanais. Jean Ping, président de la Commission de l’UA, fustigera un « acharnement sur l’Afrique » de la CPI et de son procureur. D’autres dénonceront les effets pervers du chef d’inculpation pour génocide : vider cette notion – contestable dans le cas du Darfour – de son sens et radicaliser le pouvoir à Khartoum.
Si le bureau du procureur envisage des inculpations sur d’autres continents (notamment en Colombie, en Palestine, en Géorgie et en Afghanistan), les seules affaires officiellement ouvertes ont l’Afrique pour théâtre (RD Congo, Ouganda, Centrafrique et Soudan). Luis Moreno-Ocampo se défend pourtant d’être partial : « Je suis un expert en crimes, pas en Afrique.
Malentendu originel
Mais derrière l’hostilité affichée, le jeu diplomatique empêche les États de boycotter la Cour. À Paris, le 14 juillet dernier, Luis Moreno-Ocampo s’est entretenu en tête à tête avec les présidents tchadien, Idriss Déby Itno, sénégalais, Abdoulaye Wade, et burkinabè, Blaise Compaoré. À l’époque où le Malien Alpha Oumar Konaré en présidait la Commission, l’UA a transmis des documents à la CPI sur le Darfour. Les enquêteurs du bureau du procureur mènent leurs entretiens dans l’affaire du Darfour au Tchad, en Ouganda et au Kenya. Le président tanzanien soutient l’ouverture d’une enquête de la CPI sur les violences postélectorales au Kenya. Mais ces prises de position restent discrètes.
Entre le continent et le procureur, il y a en fait un malentendu originel. Aux premières heures de la CPI, Luis Moreno-Ocampo a concentré ses efforts sur des affaires déférées par des chefs d’État. Toutes sont africaines : exactions de l’Armée de résistance du Seigneur (LRA) en Ouganda, crimes en Ituri (nord-est de la RD Congo) et en Centrafrique. « Des États promettaient de coopérer, avec leurs services de police, explique le juriste sénégalais Sidiki Kaba, ancien président de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH). C’était pour le procureur un moyen de faire exister la Cour, toute jeune à l’époque. » Des mandats d’arrêt sont lancés. Ils mènent la CPI à quelques résultats concrets – arrestations des miliciens en Ituri, notamment – et, pour les pays concernés, aident à marginaliser certains adversaires politiques.
CPI et chefs d’État africains, même combat ? L’impression domine un temps, suscitant cette fois la méfiance des ONG, très engagées en faveur de la création de la CPI dans les années 1990. En décembre 2004, à Londres, le président ougandais, Yoweri Museveni, et Luis Moreno-Ocampo donnent une conférence de presse commune. De concert, ils révèlent des détails de l’enquête sur la LRA. Les ONG, qui attendent une mise en cause de l’armée ougandaise, dénoncent une entorse à l’indépendance de la Cour. Un ancien conseiller donne sa version des faits : « Pour le procureur, l’Ouganda était un premier cas idéal pour faire parler de la Cour. Il y avait des enfants-soldats, des viols et un chef clairement identifié [Joseph Kony, NDLR]. » Quitte à donner l’impression d’un contrat avec les pouvoirs, qui n’a jamais existé. Le mandat d’arrêt contre Omar el-Béchir en est la preuve.
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