Présidentielle : le pactole baoulé
L’une des clés du second tour de l’élection présidentielle du 28 novembre se trouve dans la région de Yamoussoukro. Ce fief du PDCI, le parti houphouétiste, a représenté le tiers des suffrages d’Henri Konan Bédié au premier tour du scrutin, le 31 octobre.
Présidentielle : les deux Côte d’Ivoire
Le cortège de grosses cylindrées franchit les lourdes grilles de la concession mythique de Félix Houphouët-Boigny dans le quartier d’Assabou, à Yamoussoukro. Les voitures s’arrêtent sur le parvis de la résidence qui abrite le caveau familial du premier président ivoirien. En sortent des personnalités emblématiques du Rassemblement des houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP). On peut reconnaître l’ancien ministre de la Santé Rémi Allah Kouadio, figure du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) d’Henri Konan Bédié, et la ministre des Affaires sociales, Jeanne Peuhmond, du Rassemblement des républicains (RDR) d’Alassane Ouattara (ADO). Augustin Thiam, neveu de Houphouët, responsable départemental du RDR, qui sera bientôt investi chef du canton Akouè, sous l’appellation Nanan N’Dri Boigny III, est également de la partie. Les conciliabules vont bon train sur les dispositions à prendre pour l’organisation d’une grande cérémonie, le 15 novembre, en présence de Ouattara, mais aussi de Bédié et de plusieurs centaines de chefs traditionnels, qui viennent apporter leur caution morale à celui qui fut, il y a vingt ans, le Premier ministre du « Père de la nation »…
Pour convaincre l’électorat baoulé de reporter ses voix sur l’ancien ennemi intime de Bédié, les houphouétistes misent sur les symboles et la figure tutélaire du « Vieux ». Jean Kouacou Gnrangbé Kouadio, maire PDCI de Yamoussoukro, qui a pris la tête de la campagne d’ADO pour le second tour du 28 novembre, se fait volontiers lyrique. « Les enfants de Félix Houphouët-Boigny se sont assagis et ont compris qu’il est nécessaire de se mettre ensemble pour pouvoir gérer l’héritage politique du père. » La guerre au long cours entre Bédié et Ouattara sur fond d’ivoirité et d’accusations mutuelles ? Elle s’explique par des « incompréhensions », explique-t-on dans les rangs houphouétistes.
Consignes de vote
La base du PDCI suivra-t-elle les consignes de vote données par le sommet ? « Je n’ai pas encore entendu de murmures. J’ai plutôt vu un peuple attentif aux mots d’ordre du RHDP », affirme, sûr de lui, l’élu municipal. Il se prépare à faire le tour des villages de la région pour parler à ses « parents ». L’objectif est clair : il faut travailler pour que les scores de Bédié et de Ouattara s’additionnent lors de la « finale ». Si l’alchimie espérée se produit, Ouattara pourra compter sur plus de 80 % des voix dans la région des Lacs, où Bédié est arrivé en tête avec 69 % des voix, laissant à Ouattara et à Gbagbo respectivement 15,35 % et 12,99 % des suffrages. L’enjeu est tel que les militants du RDR font volontiers profil bas. « Ici, nous nous en remettons au PDCI. Nous suivrons les initiatives du maire et nous avons confiance car notre parti sort des entrailles du PDCI », expliquent les jeunes qui se regroupent quotidiennement dans la cour du siège local du parti « alassaniste ».
Autre lieu, autre discours. Des murs de l’Hôtel des parlementaires s’échappe un joyeux vacarme. Une centaine de jeunes se sont donné rendez-vous pour ce qui s’apparente à une séance de « coming out » politique. Quelques responsables du PDCI dans les villages environnants sont venus pour dire qu’ils braveront le mot d’ordre du RHDP et qu’ils feront campagne pour Laurent Gbagbo. Les « nouveaux convertis », recrutés par Gogo Kouassi, un jeune professeur de lettres qui a fait son entrée en politique à la faveur de la crise ivoirienne, sont applaudis avec enthousiasme par les membres des sections locales des Jeunes patriotes de Charles Blé Goudé. Là où les émissaires du RHDP invoquent l’alliance ancestrale entre Houphouët et Péléforo Gbon Coulibaly, figure historique du nord de la Côte d’Ivoire, fief du RDR, les tribuns de La Majorité présidentielle (LMP) exaltent la fibre nationaliste de l’auditoire, appelé à tourner le dos au « candidat de l’étranger ».
Mur de méfiance
L’Hôtel des parlementaires se trouve au centre de la zone administrative et politique, vaste périmètre où les bâtiments pour un transfert effectif de la capitale politique à Yamoussoukro commencent à sortir de terre (Assemblée nationale, palais présidentiel, ministères…). Dès son accession à la magistrature suprême en octobre 2000, Laurent Gbagbo s’est évertué à briser le mur de méfiance le séparant de la notabilité locale – qui le considérait comme le jeune insolent qui avait osé défier le chef vénéré et vieillissant, en se présentant contre lui lors des premières élections multipartites de 1990. La réactivation des grands travaux de Yamoussoukro, mis en veilleuse par Bédié lors de ses six années au pouvoir, participait de cette logique de séduction. Las ! Les dignitaires sont restés fidèles au parti créé par le « fils du pays ».
Pour le second tour, les équipes de campagne de Gbagbo multiplient donc les techniques d’approche pour convaincre l’électorat baoulé. Le gouverneur du district de Yamoussoukro fait la cour aux chefs et aux « grands électeurs ». Le grand planteur Bléhoué Aka a ravivé l’alliance ancestrale entre Baoulés et Agnis pour exhorter chefs et notables à choisir le président sortant. Mais il est aussi question de travailler au corps la jeunesse, moins focalisée sur l’ère Houphouët et moins encline au respect des consignes de vote.
Au niveau national, Gbagbo a besoin de la moitié des voix de Bédié pour être certain de l’emporter, tandis que Ouattara doit rassembler plus des deux tiers de l’électorat PDCI. Les régions du « V baoulé » (Lacs, Nzi-Comoé et Vallée du Bandama) représentent à elles seules près du tiers des suffrages obtenus le 31 octobre par l’ancien président. Leur attitude est donc l’une des clés du scrutin du 28 novembre. Dans un pays où aucune élection à deux tours ne s’est jamais tenue, les oracles ne peuvent que tenter de sonder les eaux luisantes du lac aux crocodiles de Yamoussoukro, pour deviner qui l’emportera.
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