L’Amérique latine et nous
Pour la première fois de son histoire, le Brésil sera dirigé par une femme, Dilma Rousseff, élue le 31 octobre. Mais ce n’est pas une surprise dans cette partie du monde. Depuis une décennie, l’Amérique latine se distingue par une affirmation sans précédent du pouvoir féminin, avec l’accession à la magistrature suprême de trois autres dames, l’Argentine Cristina Kirchner (depuis octobre 2007), la Costaricaine Laura Chinchilla (depuis mai 2010) et la Chilienne Michelle Bachelet, qui gouverna son pays de 2006 à 2010. Toutes ces femmes sont les héritières d’Isabel Martínez de Perón, qui prit en main le destin de l’Argentine de 1974 à 1976, alors même qu’aucune expérience politique ni diplôme supérieur ne l’y habilitaient. Qui dit mieux que cette Amérique latine-là ? Sans doute pas l’Europe, ce continent qui n’en a pas fait autant pour ses femmes, du moins jusqu’à la fin du XXe siècle. L’on se souvient à peine du passage malheureux d’Édith Cresson au poste de Premier ministre de la France, en 1991, mais bien plus du règne, en Grande-Bretagne, de Margaret Thatcher (1979-1990). Et si les pays scandinaves entendent aujourd’hui rattraper le retard et donner l’exemple, ce n’est pas l’Italie de Berlusconi qui fera croire que le machisme est mort et enterré.
Paradoxalement, c’est du côté de l’Asie qu’il faut chercher l’équivalent de ce qui se passe en Amérique latine. La voie royale y fut ouverte, dès la fin des années 1960, par Indira Gandhi, en Inde. Quelques années plus tard, cinq pays seront gouvernés par des femmes : Corazon Aquino aux Philippines, Benazir Bhutto au Pakistan, Sirimavo Bandaranaike au Sri Lanka, Khaleda Zia au Bangladesh et Tansu Ciller en Turquie. Aucune autre région du monde n’a atteint ce record de femmes chefs d’État ou de gouvernement sur une durée aussi courte. Une belle brochette de chefs, dont quelques-unes en foulard, ce qui prouve au bon croyant mahométan que le pouvoir au féminin est bien « halal » et peut se consommer sans modération. Que l’adage des mollahs selon lequel « aucun peuple ne réussira s’il confie sa gouvernance à une femme » est caduc.
Maintenant, qu’en est-il du monde arabe ? Quel prétexte avanceront le Maghreb, le Moyen-Orient et le Proche-Orient pour expliquer leurs réticences à confier le pouvoir aux femmes ? Certains arguent que ces pays restent arc-boutés sur le modèle méditerranéen le plus rétrograde. On leur rétorquera que l’Égypte avait connu ses reines, le Maghreb et le Machrek, ses Didon et ses Kahina. Par contre, on chercherait en vain une femme au pouvoir dans les pays du Golfe. Car, de mémoire de sarrasin, on n’a pas souvenir d’une dame qui aurait dirigé l’Arabie musulmane. Le mal serait-il donc spécifiquement arabe, plus que berbère, méditerranéen ou islamique ? Le fait est que les Arabes rechignent à faire leur le précepte d’une réalité nouvelle qui dit que Dieu ne change une société que si celle-ci change le statut de ses femmes. Qu’aucun projet de modernité ne peut se conjuguer sans elles.
En attendant qu’il y ait des Lula arabes qui portent à bout de bras leurs dauphines, c’est aux femmes du monde arabe de se faire reconnaître comme des alternatives possibles. Et de prouver qu’en féminisant le monde, elles pourraient en diminuer les maux et les plaies.
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