A la recherche du public perdu

Pour leur 6e édition, les Récréâtrales se sont installées dans un quartier populaire de Ouagadougou. Et ont attiré de nouveaux spectateurs peu habitués au théâtre.

ProfilAuteur_SeverineKodjo

Publié le 16 novembre 2010 Lecture : 3 minutes.

La nuit vient tout juste de tomber sur Ouagadougou. Dans un nuage de poussière ocre, mobylettes et vélos se pressent en direction de Gounghin Nord (Bomsonting). Pendant une semaine, du 4 au 12 novembre, le festival des Récréâtrales a investi la rue principale de ce quartier populaire, fermée à la circulation pour l’occasion. Depuis deux ans, une vingtaine de scénographes travaillent à la transformation du lieu. De gigantesques rubans tissent une voûte céleste ajourée qu’éclairent de multiples lampions façonnés à partir de bassines colorées. Les commerçants ont décoré leurs stands.

Les habitants de la rue ouvrent leurs portes et reçoivent artistes et spectateurs. Sous les manguiers, une scène accueille pour Paroles de forgeron le comédien Gérard P. Kientega, alias « KPG », et les musiciens Winsé Payaïsside et Bala Robert Tengueri, sous l’œil bienveillant du metteur en scène Emil Abossolo-Mbo. Un poulet blanc se promène parmi les convives à la recherche de quelques vers de terre à picorer. Débute alors une soirée de contes, de chants et de proverbes. Bienvenue chez M. et Mme Bazié !

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Pour cette 6e édition des Récréâtrales, créées en 2002, le directeur Étienne Minoungou a voulu rapprocher le festival de son public. « Depuis deux ans, nous discutons avec les habitants du quartier. Nous voulions qu’ils s’emparent de l’événement en créant des espaces de rendez-vous qui ramènent du lien social. Le théâtre doit agir sur le destin des gens, concrètement », explique-t-il. Lorsqu’il s’est agi de monter les scènes dans les cours familiales, l’équipe des Récréâtrales s’est aperçue que l’installation électrique de certains particuliers ne pouvait pas supporter le branchement de plusieurs projecteurs, ou alors qu’une fosse septique défectueuse allait empêcher l’installation scénographique. Qu’à cela ne tienne ! Le festival a créé une ligne budgétaire pour réaliser les travaux nécessaires. « Faire du théâtre, ajoute Étienne Minoungou, c’est changer le monde et améliorer les conditions de vie de son voisinage. Les artistes ont parfois perdu de vue le monde dans lequel ils vivent en favorisant une conception purement esthétique de leur art. »

Pour autant, pas question pour cet homme engagé de proposer du théâtre de sensibilisation. La création artistique est bien au rendez-vous. Les Récréâtrales, soutenues financièrement par des opérateurs étrangers comme Culturesfrance, à défaut de l’être pleinement par l’État burkinabè, qui n’a versé que 6 000 euros sur les 250 000 euros du budget global de l’édition 2010, ont organisé, du 28 décembre 2009 au 5 février 2010, une résidence de création, permettant ainsi aux Ivoiriens du Cercle de recherche et d’échanges en scénographie et arts de la scène (Cresas) de monter Les Convives de la maison Sapézo et au Congolais Dieudonné Niangouna, SPR. Deux pièces inventives et surprenantes.

Farce burlesque

Totalement délirants, Les Convives de la maison Sapézo sont une farce burlesque, portée par un jeu d’acteur enlevé, qui interroge les limites éthiques de la recherche médicale et des neurosciences. Dans un genre différent, SPR est un vaudeville cacophonique. « Toto et Alex, on aurait dit sortis d’une bande dessinée, explique Dieudonné Niangouna, rencontrent une femme, Madame Jeudi, qui les met en porte à face avec sa fille, Claire, qui les met en porte-à-faux avec son petit ami, Fred, qui les met en porte-effusion vis-à-vis de sa sœur, Élodie », etc. Bref, « une histoire bordélique, poubellique de baise qui a mal tourné ». Un théâtre moderne et réjouissant qui donne à voir une autre facette du travail de l’auteur d’Attitude clando, lequel met en scène également son frère Criss (bouleversant) dans une adaptation du roman de Wilfried N’Sondé, Le Cœur des enfants léopards.

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« Le travail sur les acteurs de Dieudonné Niangouna est intéressant », commente Vincent Baudriller, le directeur du Festival d’Avignon, l’un des plus importants d’Europe, présent pour la première fois aux Récréâtrales. « Venir ici, c’est un moyen de découvrir des artistes de la région et d’échanger des savoir-faire. » Ce qu’a très bien compris la quinzaine de programmateurs européens qui ont assisté à la vingtaine de spectacles présentés lors de cette édition, qui aura attiré près de 15 000 personnes. Signe que les Récréâtrales peuvent devenir un festival de création populaire.

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