Trois opérateurs à couteaux tirés
Le leader de la téléphonie mobile, Tunisiana, est menacé par ses challengeurs Tunisie Télécom et, surtout, Orange, la marque de France Télécom arrivée en mai. La bataille fait rage sur tous les fronts.
Débarquez à l’aéroport de Tunis-Carthage et vous serez instantanément plongé dans la bataille que se livrent les opérateurs de téléphonie au pays du Jasmin . Pas un mur où ne trône un panneau publicitaire vantant les mérites de l’une des trois compagnies détentrices d’une licence de téléphonie mobile : le leader Tunisiana, l’opérateur historique Tunisie Télécom et Orange, nouvel acteur présent sur le marché depuis le mois de mai. Une omniprésence visuelle qui frappe aussi dans la capitale et le long des voies rapides qui mènent vers les faubourgs. Sans parler des spots télévisés. L’offensive médiatique est totale. Les acteurs se rendent coup pour coup, conscients que la puissance de feu marketing est une arme de séduction massive sur ce marché très concurrentiel.
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« Nous consacrons plusieurs dizaines de millions de dinars à notre communication et nous avons sans doute le budget le moins élevé du secteur », concède Thierry Marigny, directeur général d’Orange Tunisie. Signe des moyens déployés, Tunisiana se classait en 2009 au quatrième rang des plus gros annonceurs du Maghreb, avec un budget de 16,2 millions d’euros. Pas question d’improviser. Les compagnies se sont attaché les services des meilleurs publicitaires. Tunisiana et Orange sont respectivement conseillés par les américains J. Walter Thompson et McCann. Et après un bail avec le champion local Karoui & Karoui, Tunisie Télécom fait confiance depuis l’été à Havas (groupe Bolloré).
Fin du duel institutionnalisé
Force est de reconnaître que l’arrivée d’Orange bouleverse le duel presque institutionnalisé entre Tunisiana et Tunisie Télécom. Un match qui assurait aux deux compagnies de confortables revenus estimés à 1,2 milliard d’euros en 2009. Leader en termes de part de marché sur le segment du mobile (57 %, soit 5,8 millions d’abonnés), Tunisiana a réalisé en 2009 un chiffre d’affaires de 502 millions d’euros, avec une marge Ebitda (revenu avant intérêts, impôts, taxes, dotations et provisions) de 53,9 %. Ce qui en fait une véritable vache à lait pour ses deux actionnaires Orascom Telecom et Wataniya (qui appartient au qatari Qtel). « Jusqu’à présent, nous n’avons pas ressenti d’impact important sur nos résultats depuis l’arrivée d’Orange, mais nous surveillons de près ce qui se passe », indique Yves Gauthier, le directeur général de Tunisiana. De son côté, Tunisie Télécom, bien plus discret, ne publie aucun chiffre. Quant au nouveau venu Orange, il annonçait, fin octobre, la vente de 3 000 cartes SIM par jour et indiquait arracher davantage de clients à Tunisiana qu’à Tunisie Télécom…
Pour assurer une place à sa marque sous le soleil tunisien, France Télécom et ses partenaires locaux, Marwan Mabrouk et son épouse Cyrine Ben Ali Mabrouk, disposent d’un atout majeur : une licence 3G (haut débit mobile). Une technologie, encore peut présente en Afrique, qui permet de surfer confortablement, depuis un portable, sur le web, voire de regarder la télévision, mais aussi d’avoir un accès haut débit nomade (clé 3G) ou fixe (Flybox) sur un ordinateur sans passer par le réseau de l’opérateur historique. Une série d’innovations qui, associées à la commercialisation en exclusivité de l’iPhone 4, ont renforcé l’image de prestige du nouvel arrivant. Celui-ci ne communique encore aucun chiffre concernant sa part de marché, mais revendique tout de même près de 25 % d’utilisateurs haut débit parmi ses clients, quand la moyenne sur le continent atteint tout juste 3,5 %. Critiqué pour sa faible couverture au printemps (52 % de la population), Orange met en outre les bouchées doubles pour étendre son réseau.
Une course contre la montre est engagée. Car la 3G ne sera qu’un avantage de courte durée pour Orange. L’autorité de régulation a en effet annoncé fin septembre l’attribution d’une licence 3G à Tunisie Télécom, pour un montant estimé à 59 millions d’euros. Son exploitation pourrait débuter en février 2011. Orange, qui bénéficiait d’un monopole jusqu’en mai 2011, a mobilisé ses juristes pour faire respecter les délais.
Tunisiana privé de licence 3G
Mais c’est surtout Tunisiana, au final, que cette décision surprise des pouvoirs publics fragilise. Il devient le seul opérateur privé de 3G. « Le plus difficile est que nous n’avons aucune visibilité pour les années à venir », regrette Yves Gauthier, tout en affirmant que le cœur de son réseau est déjà compatible avec le haut débit mobile. « En six mois nous pouvons être opérationnels », assure-t-il. Le sujet est d’autant plus sensible que les perspectives de croissance des revenus liés à cette technologie sont très prometteuses. D’après le cabinet Pyramid Research, les échanges de données, qui représentent aujourd’hui environ 13 % du chiffre d’affaires des opérateurs, atteindront 29 % en 2015.
Tunisiana concentre donc ses forces sur les prix et la qualité des communications pour se développer. En un an, il a ainsi diminué ses tarifs (– 15 %) pour les appels destinés à son réseau et renchéri ceux vers les réseaux concurrents. Une technique qui fait chuter le revenu moyen par utilisateur mais augmente le taux de pénétration, notamment chez les jeunes. Désormais utilisée par Tunisie Télécom, cette pratique est dénoncée par Orange, qui a porté l’affaire devant le Conseil de la concurrence.
Mais malgré leur détermination, Tunisie Télécom et Tunisiana céderont des parts de marché au nouvel entrant. Et cela d’autant plus qu’Orange montera en puissance début 2011 avec de nouvelles offres à des prix attrayants. « Orange détiendra 22,4 % du marché d’ici à fin 2015 », estime Medhi Ben Saïd, de Pyramid Research.
Lutte pour La maîtrise du WEB
Pour améliorer sa rentabilité, Tunisie Télécom envisagerait de réduire ses effectifs (actuellement 8 500 employés, contre 1 600 pour Tunisiana et 1 200 pour Orange). Cette cure d’amaigrissement lui permettra de présenter un meilleur profil auprès des investisseurs lors de la prochaine introduction en Bourse d’environ 20 % de son capital, partagés entre les places de Tunis et de Paris, à la faveur d’une diminution des parts des deux actionnaires, l’État et Tecom Investments (Dubai Holding).
De son côté, Tunisiana étudie plus que jamais l’acquisition d’un fournisseur d’accès internet local. Hexabyte et GlobalNet seraient sur ses tablettes. En juillet, Tunisie Télécom avait tiré le premier en achetant Topnet, leader des offres DSL, pour 10 millions d’euros, tandis que la famille Mabrouk a apporté à Orange la société Planet. Car pour les opérateurs, l’avenir en Tunisie devrait passer à terme par des offres quadruple play comprenant fixe, mobile, télévision et internet. La hache de guerre n’est pas près d’être enterrée.
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