Krotoum Konaté, directrice de l’Itab
À la tête de l’Institut technique de l’agriculture biologique à Paris, cette femme d’origine malienne a su s’imposer dans un milieu traditionnellement blanc et masculin.
« Madame la présidente ! » C’est ainsi que son beau-frère a décidé de l’appeler, avant même qu’elle ne prenne les rênes de l’Institut technique de l’agriculture biologique (Itab), à Paris. Du charisme et de la ténacité : voilà ce que l’on retient de Krotoum Konaté. Une silhouette élancée, alliée à un regard pétillant, reflète sa débordante énergie. C’est une femme sportive qui, en dépit d’un agenda bien rempli, trouve le temps de voyager et « de parcourir chaque année un pays à vélo ». Pour elle, être à la tête de l’Itab, une association dédiée au développement et au transfert de connaissances en agriculture biologique, n’est pas un accomplissement : c’est un défi. « Je suis une femme, jeune et noire, avec un nom et un prénom assez atypiques. Il a fallu que j’assume ma différence et que je gagne ma place dans un milieu professionnel conservateur », souligne-t-elle. Cette différence, elle la ressent aujourd’hui comme un avantage. À l’instar de bien des membres de la fratrie Konaté. Son frère Abou, paralysé depuis l’enfance, est l’un des rares basketteurs handisports professionnels de France.
1968. Son père, étudiant en gestion, quitte le Mali pour rejoindre la France, accompagné de sa femme, salariée chez Christofle, et de leur fils. Deuxième enfant d’une famille qui en compte quatre, Krotoum naît en 1970 à Saint-Denis, dans la proche banlieue parisienne. En dépit de moyens modestes, ses parents ne se découragent pas et font de l’éducation de leurs enfants une priorité absolue. « À l’époque, ma mère ne parlait pas français. Elle a profité de son travail au sein de l’orfèvrerie Christofle pour apprendre cette langue. C’était important pour elle de pouvoir nous encadrer dans notre scolarité. » Elle leur a en outre enseigné un goût de l’autonomie que Krotoum Konaté espère parvenir à transmettre à ses deux filles, Maketa et Yelena.
Après des études secondaires au lycée Paul-Éluard de Saint-Denis, Krotoum Konaté obtient en 1988, de justesse, un bac spécialisé dans les techniques de laboratoire. Puis, à force de volonté et de travail, elle enchaîne les mentions à l’université. « Ce n’est qu’en grandissant et en sachant ce que je voulais faire que j’ai commencé à avoir de bons résultats. » Si la jeune femme doit en grande partie sa réussite à ses parents, elle a aussi pu compter sur son oncle architecte, qui l’a accompagnée tout au long de sa scolarité et lui a appris que « la persévérance est la clé de bien des problèmes ». Après un Deug de sciences de la nature et de la vie, en 1991, à la faculté de Bobigny et une maîtrise en chimie-biochimie, en 1994, à la faculté des sciences d’Orsay, tout porte à croire que la jeune étudiante va frapper aux portes d’un laboratoire. Pourtant, elle décide de prolonger ses études et passe, en 1995, à Créteil, un DESS spécialisé en agronomie, foresterie et élevage en zones tropicales.
« J’avais envie de faire quelque chose en lien avec l’Afrique, quelque chose qui me permette d’intégrer un secteur qui m’intéresse, mais aussi de découvrir mes terres d’origine », confie-t-elle en sirotant son jus de pomme-carotte bio. Ce désir d’Afrique, Krotoum Konaté commence à l’assouvir dès 1998. Elle part alors en Guinée comme volontaire sur un programme de coopération internationale entre l’association Guinée 44, installée en Loire-Atlantique, et les agriculteurs de la région de Kindia, à 135 km de Conakry. Pendant deux ans, sa mission consiste à encadrer l’ONG locale Apek Agriculture, qui accompagne les producteurs agricoles. « C’était vraiment un échange, un accompagnement à la réflexion, je n’ai rien imposé. C’est grâce au dialogue que les gens prennent de l’assurance », explique-t-elle. Une expérience qui lui a appris à être « plus tolérante » avec ses parents, qui, malgré les pressions familiales au Mali, ont réussi à protéger leurs trois filles de « certains aspects négatifs de la tradition, en particulier le mariage forcé et l’excision ».
En France, Krotoum Konaté revendique son appartenance à la communauté noire. Mais arrivée à Kindia, elle est perçue comme une « Blanche » par les Guinéens. Cela n’empêchera pas la complicité de s’installer entre elle et ses partenaires locaux, qui préfèrent se confier à elle plutôt qu’à d’autres expatriés français. L’art de la conversation, cette volontaire française le maîtrise parfaitement. « Le 21 juillet 1999, nous étions invités à l’inauguration du Centre culturel franco-guinéen par Jacques Chirac. Ce jour-là, j’ai beaucoup plus écouté Mlle Konaté que le président de la République », plaisante Marc, « l’homme de sa vie », rencontré lors de son séjour en Guinée.
En 2000, sa mission prend fin. Elle refuse une proposition de poste au sein de Guinée 44 et rentre en France avec une idée en tête : poursuivre sa carrière dans le secteur de l’agriculture biologique. Le projet va prendre du retard. En 2001, elle accouche de sa première fille, Maketa, et prend du temps pour s’occuper de sa famille. Le décès brutal de sa deuxième fille, Tanaïs, en 2003, fera néanmoins naître en elle une force intérieure l’invitant « à se battre et à profiter de chaque instant de la vie ». Pour l’enterrement de son enfant, la jeune maman a demandé à ses proches de ne pas être habillés en noir. Un « enfant-soleil » imprimé sur des tee-shirts et des chansons africaines, c’est ainsi que Krotoum a choisi de faire ses adieux à son bébé. Sept mois plus tard, à 33 ans, elle décroche un poste de responsable de communication au sein de l’Itab. Elle en deviendra directrice un an plus tard. « Ce n’est pas anodin d’être une femme noire dans un monde agricole très masculin. Krotoum est entrée dans le jeu grâce à sa franchise et à son aptitude à renouer le dialogue avec l’ensemble de la structure », dit d’elle Alain Delebecq, président de l’Itab.
Aujourd’hui, son poste la met en contact direct avec tous les candidats à un recrutement, mais elle se défend de toute discrimination. « Je reçois des CV de tous types d’horizons. Je ne regarde jamais les noms. Ce qui m’importe le plus, c’est le contenu et les compétences. » Un moment de silence, et elle poursuit : « Il serait temps que les responsables se mobilisent contre la discrimination à l’embauche. » Pour elle, le débat sur l’identité nationale était « déplacé » et « ne ressemblait pas à cette France multiculturelle ». Interrogée sur son propre rapport à ses origines, elle sourit : « Je suis une métisse, un mélange de deux cultures. Dans ma façon d’être, il y a forcément des influences de la culture malienne et de l’environnement occidental où je vis. » Elle ne s’est rendue qu’une seule fois au Mali. Pourtant, elle n’a jamais rompu le lien avec le pays de ses ancêtres, où son père a décidé de passer le reste de sa vie. « L’idée d’y retourner nous tente beaucoup », affirme Marc. Seulement, cette fois, « pas sûr que ce soit pour une simple visite, mais pour y vivre ». Son franc-parler ? Son conjoint en témoigne : « Elle arrive à convaincre, ou parfois même à contraindre, et on accepte de sa part des choses qu’on n’accepterait pas forcément des autres, car sa détermination se cache derrière un grand sourire et beaucoup de charme. »
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